Grosse polémique dans certains réseaux sur Internet ces jours-ci. La raison? L’animateur Louis Lacroix, du 93,3 FM de Québec, a osé remettre en question (extrait à environ 50 minutes) le statut de vedette de la chanteuse Lhasa de Sela, décédée il y a quelques jours. Les réactions furent aussi venimeuses qu’inutiles.
Patrick Lagacé a affirmé que le comportement de Lacroix était à vomir, que plusieurs pourraient y voir un autre signe du manque « d’ouverture » de Québec, que sa radio ne fait que jouer de la musique de « matante ». Le toujours très prétentieux Marc Cassivi affirme que Lacroix est un « abruti nauséabond, qui profite du cadavre d’une fille de 37 ans pour meubler son temps d’antenne » sans même réaliser qu’il fait bien pire que lui en l’insultant gratuitement ainsi. Des dizaines de statuts Facebook que j’ai lus parlaient de Lacroix comme d’un « crisse de cave ». Un groupe Facebook a même été créé pour exiger des excuses – oui, des excuses – à Lacroix pour ses propos.
Des excuses? Quoi, il a insulté la chanteuse? Voici ce qu’il a dit en ondes:
C’est une nouvelle triste, mais… Y a une fille qui est morte, elle s’appelle Lhasa de Sela, et là on essaie de nous nous faire croire que c’est une grande vedette, pis que c’est ben grave… C’est sûr que c’est grave, elle est morte. C’est triste pour la famille, mais j’ai l’impression qu’on est en train de nous fabriquer une vedette, parce qu’y a personne de mon entourage qui connaît cette fille-là. J’ai posé la question, ce midi… Le monde m’a dit « C’est qui, ça » ? Moi je la connais pas. Personne ne la connaît dans mon entourage.
Peut-on m’expliquer ce qu’il y a d’insultant dans ces propos? Il s’agit d’une plate vérité. Lhasa de Sela était peut-être connue dans certains milieux culturels, mais pour la vaste majorité, elle était une pure inconnue. De nom, je la connaissais également, mais je n’ai jamais entendu la moindre de ses chansons et je ne connais personne, dans mon entourage immédiat, qui la faisait jouer dans des partys ou des soirées. Lhasa qui, Lhasa quoi, connais pas!
Évidemment, ce n’est pas parce qu’on ne connaît pas une artiste qu’on doit sous-estimer l’impact de sa mort sur certaines personnes. Mais la vérité – et je crois que c’est là la clef du propos de Lacroix – c’est que Lhasa de Sela semble principalement être un trip de chroniqueurs culturels, de gens branchés sur certains milieux alternatifs. Et par définition, ce qui est alternatif est souvent moins connu. Ce n’est pas une fierté que de ne pas jouer à un poste de « matante » comme semble l’affirmer Lagacé, mais plutôt un signe que Lhasa de Sela n’a jamais su se sortir de sa marginalité.
Or, est-ce étonnant? Elle a produit trois albums, trente-cinq chansons. Sur le lot, seulement trois en français, une langue qu’elle maîtrisait pourtant, elle qui vivait au Québec depuis 18 ans. Alain Brunet, le chroniqueur de La Presse qui n’a jamais manqué de démolir Daniel Bélanger, vantait, chez Lhasa de Sela, « ses assises solides dans la communauté française, ses liens étroits avec l’anglaise, et un troisième atout hispanophone, voilà qui illustre parfaitement ce cosmopolitisme et ce multilinguisme dont Montréal ne pourra jamais plus se passer. » Pour citer une des chansons de Daniel Bélanger, « tout blé qui vient d’ailleurs est bien meilleur que le tien qui n’emplit jamais les Plaines ». Tout ce qui vient d’ailleurs est fantastique, tout ce qui est multiculturel mérite le détour, et qu’importe si sa musique ne parle qu’à une minorité. Qu’importe si on déconnecte la musique et la culture de ses origines; l’important est d’avoir l’air d’appartenir à la world-culture, de chanter dans des langues étrangères, et de plaire aux chroniqueurs culturels. L’important, c’est qu’elle ait vendu un million d’albums dans le monde et que la BBC en ait parlé. Qu’elle ne se soit jamais réellement intégré au destin des Québécois en adoptant véritablement leur langue dans sa musique importe peu.
L’élitisme méprisant
Ceux qui dénoncent les propos de Lacroix et qui vantent le multiculturalisme de Lhasa de Sela font preuve d’un élitisme tout à fait méprisant. En affirmant qu’elle ne joue pas à des postes de « matante », on sous-entend que la majorité de la population est trop idiote pour exiger de la bonne musique. Au lieu de réaliser que de sa musique ne touchait pas le cœur de la majorité des gens, que personne n’avait envie d’appeler pour demander qu’on la fasse jouer, on préfère accuser les auditeurs de ces postes de radio de manquer de culture, de ne pas avoir compris le grand « cosmopolitisme et ce multilinguisme » dont Montréal et le Québec ne devrait jamais plus se passer. Là où la musique devrait faire chanter les cœurs et permettre la communion autour de sentiments unificateurs, on l’a transformé en bébelle multiculturelle qu’on fait jouer pour avoir l’air dans le vent. Je fais jouer Lhasa de Sela, donc je suis.
La musique qui joue à la radio, quoi qu’on en pense, constitue la musique du peuple. Oui, il y a des compagnies derrière cela, et oui on construit des succès de toutes pièces. Mais ces succès demeurent tout de même des chansons qui plaisent à la majorité, peu importe qui en a fait la promotion. Ce sont les citoyens des villes et des villages du Québec qui prennent leur téléphone ou qui vont sur Internet demander qu’on fasse jouer tel ou tel artiste. La musique leur parle. On peut être en accord ou non, mais ils aiment Star Académie, Céline Dion, Marie-Mai, Éric Lapointe, Daniel Bélanger. Cette musique, c’est la leur, c’est celle qui leur parle, ce sont les paroles et les accords qui expriment le mieux leur quotidien et qui leur donnent l’impression de faire partie d’un tout cohérent.
On peut le déplorer, mais Lhasa de Sela, pour eux, c’est personne. Ce n’est qu’une chanteuse espagnole ou anglophone de plus, dont ils ne comprennent pas les textes et qui n’a pas su véritablement intégrer leur quotidien. Une chanteuse qui habite au Québec, qui chante dans une langue étrangère et dont la sonorité des chansons n’a rien à voir avec l’héritage musical québécois.
Lacroix s’est simplement fait le relai de cette réalité. Il n’y a pas de sentiment négatif ou de mépris à mes yeux, mais une simple constatation: Lhasa de Sela est une inconnue au Québec. Adepte d’une world-culture faisant fi des réalités historiques nationales, elle a adhéré à un futur qui excluait le Québec et faisait de l’appartenance à un univers musical mondialisé le pré-requis nécessaire à la compréhension de sa musique. Autrement dit: elle habitait Montréal physiquement, mais n’a jamais habité le Québec culturellement ou musicalement. C’était une plante exotique dans un pot qu’on a posé dans notre jardin et elle n’a jamais réussi à y implanter ses racines.
Avant sa mort, elle était une inconnue pour la majorité de la population. Aujourd’hui, on veut en faire un symbole. Je me demande bien qui, de Lacroix ou de ceux qui voudraient qu’il s’excuse, se servent réellement de son souvenir pour atteindre leurs objectifs. Je me demande ce qui est le plus insultant: se questionner sur son impact réel dans la population québécoise ou se servir d’elle pour vanter le multiculturalisme, le multilinguisme et le multi-n’importe-quoi-qui-vient-d’ailleurs et qui ne joue pas dans des postes de « matantes ». Qui insulte le plus sa mémoire?
Une grande femme est morte. De grandes femmes meurent tous les jours. Mes sympathies à sa famille et à ses amis.
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