Lettre à Michel Chartrand

Simonne m'a donné le mode d'emploi de ce Michel qu'elle connaissait si bien. C'est la seule personne que j'aie jamais entendu te dire: «Tais-toi donc...», mais sur un ton si doux que tu fondais devant elle.

2010 - nos disparus


Tu vas me manquer. Je ne te l'ai pas assez dit. Ces derniers jours, c'est cette pensée qui a pris toute la place dans ma tête et dans mon coeur. Pourquoi laissons-nous la vie que nous menons nous priver du bonheur de nous retrouver entre amis pour nous dire à quel point la présence de l'autre est précieuse et à quel point le départ de certains change complètement le paysage environnant? J'aurais dû. J'aurais dû te dire le rôle que tu avais joué pour moi et qui a fait de moi une meilleure personne.
C'est à Rouyn que je t'ai connu. Je travaillais avec les Métallurgistes unis auprès des mineurs de la région. Nous envisagions la possibilité d'une grève, car la vie des mineurs n'avait rien de réjouissant et les patrons, tous anglophones, n'étaient pas très réceptifs aux demandes qui leur étaient faites. Au bureau de l'Union, un jour, on nous a annoncé que Michel Chartrand avait été engagé par le syndicat pour se joindre à notre équipe comme «motivateur» auprès des futurs grévistes et les encourager à appuyer un vote de grève qui devenait inévitable. Je ne te connaissais pas. Et quand je t'ai vu arriver, j'avoue que pendant un moment je me suis dit que mes patrons étaient devenus fous.
Tu criais, tu gesticulais, tu sacrais comme un charretier. En fait, tu faisais peur à tout le monde. Dans les grosses réunions avec les mineurs, on savait à quelle heure tu commençais à parler, mais on ne savait jamais quand tu allais finir. Tu ne semblais avoir aucune limite, pour rien, jamais.
Heureusement que de temps en temps, quand nous n'étions pas nombreux, tu riais tellement de bon coeur que tu en avais les larmes aux yeux. Parfois, je crois que tu riais de toi-même et de tes excès de langage. En 1953, l'année dont je te parle, tu étais parfaitement capable de faire la distinction entre l'homme qu'était Michel Chartrand et le personnage qu'on s'arrachait comme on le fait des humoristes aujourd'hui.
Un jour, Simonne, ta douce Simonne, est venue te rejoindre. Elle ne venait que pour quelques jours parce qu'elle en avait plein les bras avec les enfants pendant tes absences. Vous avez habité chez moi. C'est là que j'ai connu le vrai Michel Chartrand.
J'ai nettement préféré celui-là à l'autre, même si je sais que l'autre était nécessaire. Simonne avait le don de te ramener sur terre, de t'obliger à changer de peau et avec son sourire en coin, elle refaisait tout doucement le ménage dans tes idées.
Simonne m'a donné le mode d'emploi de ce Michel qu'elle connaissait si bien. C'est la seule personne que j'aie jamais entendu te dire: «Tais-toi donc...», mais sur un ton si doux que tu fondais devant elle.
La grève n'a pas eu lieu à la Noranda Mines cette fois-là. Malgré le fait que tu avais chauffé la salle comme toi seul savais le faire, quand nous avons compté les votes, nous avions au-dessus de 50 % (je ne me souviens pas du pourcentage exact), mais il a été décidé par les autorités des Métallos, venues exprès de Toronto et des États, que le résultat du vote n'était pas suffisant pour tenir une grève le temps qu'il faudrait. La majorité de 50 plus 1 venait d'être mise de côté sans états d'âme malgré le fait que les femmes des mineurs, qui n'avaient pas le droit de vote, appuyaient pourtant largement leur mari.
Je t'ai revu de temps en temps par la suite. On se croisait sur un plateau de télé, dans des manifs, sur des panels. En général, tu m'accueillais toujours de la même façon: «Tabarnak, la v'là encore celle-là!» On s'embrassait, parce qu'au-delà de tout, nous étions des amis.
J'ai pleuré Simonne. Le jour de ses funérailles, je me souviens avoir aidé Gérald Godin à entrer dans l'église, car visiblement, avec sa grosse tête malade, les gens le regardaient comme s'il avait été contagieux et personne ne se précipitait pour l'aider. Puis, Pauline est arrivée.
Aujourd'hui, c'est toi que je pleure. Et je trouve dommage que tu sois parti au moment où le Québec, qui jouait le dragon endormi depuis trop longtemps, vient de se réveiller. Je sens que tu vas manquer quelque chose que tu aurais bien aimé voir...
Tu auras été, mon cher Michel, le seul homme pour qui j'aurai manifesté, un jour de Noël, afin qu'on te libère de la prison où l'on t'avait enfermé. Je n'ose pas penser à la déception qui sera la tienne si tu viens de découvrir qu'il n'y a rien après la mort... J'aime mieux imaginer que tu vas leur en faire voir de toutes les couleurs...


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