Ainsi, selon Jean-François Lisée, Mordecai Richler serait « l’un des plus grands écrivains que le Québec ait produit. » (Christiane Charette, 30 novembre 2010). Si c’est le cas, que faire alors des autres grands écrivains que le Québec a produit? Les Mavis Gallant, Anne Hébert, Nicole Brossard, A.M. Klein, Hugh MacLennan, Yves Thériault, Jacques Ferron, Irving Layton, Émile Ollivier, Dany Laferrière (le Québec et Haïti pour ces deux), Hubert Aquin, Victor-Lévy Beaulieu, Yves Beauchemin, Leonard Cohen, Michel Garneau, Michel Tremblay et tant d’autres. J’espère que Jean-François Lisée sera aussi généreux pour ces écrivains qui doivent nécessairement quelque part en dessous, car sa phrase laisse pas beaucoup de place.
Mais on se demande comment Jean-François Lisée s’y est pris pour rendre ce jugement si tranchant. Quels sont ses critères? A-t-il consulté des professeurs de littérature d’ici et d’ailleurs? A-t-il trouvé une façon de mesurer la notoriété de Mordecai Richler au-delà des frontières du Canada et du Québec? A-t-il consulté Wikipédia? Pas du tout. C’est parce qu’il aurait « adoré Barney’s Version. » (Le monde de Barney)
Pour ma part, j’ai fait ma petite consultation.
D’abord, un professeur de littérature qui a enseigné pendant 35 ans à l’Université de la Californie à Berkeley. « C’est quoi son nom, cet écrivain qui s’en prend au Québec? » m’a-t-il demandé lors d’un passage récent à Montréal. Et v’lan pour la notoriété de Richler. En revanche, ce même professeur enseignait depuis des années les romans et la poésie de Leonard Cohen.
Plus près de nous, un professeur émérite de littérature de l’Université de la Colombie-Britannique (35 ans d’enseignement). « Yes I liked The Apprenticeship of Duddy Kravitz. He (Mordecai Richler) is a major minor writer. » (Oui, j’ai aimé L’apprentissage de Duddy Kravitz. Il (Mordecai Richler) est un écrivain mineur important. » Rien de plus. À en juger de ces deux commentaires, si on devait convenir avec Jean-François Lisée que Mordecai Richler est « un des plus grands écrivains que le Québec ait produit, » alors les autres écrivains que le Québec a produit sont des poids légers, au plus des écrivains mineurs importants.
Un autre lecteur vorace à Toronto et animateur de radio rit quand on parle de la grandeur de l’oeuvre de Richler. « Il était un humoriste, un satiriste, qui, en vieillissant, voulait qu’on le prenne au sérieux, mais le pli avait déjà pris, et c’était trop tard. Il est décédé un homme amer et fâché. » Cette amertume et cette volonté d’être pris au sérieux expliquent peut-être son animosité envers le Québec et l’évolution de la société québécoise : enfin, on allait le prendre au sérieux, surtout en Ontario et à New York.
J’aime le Jean-François Lisée de 1992 qui a défié en direct sur un plateau de télévision le Mordecai Richler, grand dénigreur du Québec des journaux outre frontière. J’aime moins le Jean-François Lisée qui s’élève en critique de littérature, somme toute masochiste, qui offre une caution souverainiste à un petit mouvement – pour ne pas dire un mouvement petit – qui voudrait donner le nom de Richler à une rue de Montréal, peut-être même à la rue Saint-Urbain. En fait, un tel geste serait un non sens car si Mordecai Richler a voulu rendre cette rue célèbre, il n’aurait sûrement pas voulu que le nom Saint-Urbain disparaisse de la toponymie de Montréal pour être remplacé par le sien.
Mais Lisée se distance un peu de ceux qui voudraient une rue Mordecai Richler en suggérant que ce soit une bibliothèque. Pour ma part, je m’éloignerais encore davantage. Faisons à la mémoire de Mordecai Richler une plaque quelque part sur la rue Saint-Urbain. Cela ne dérangerait personne. Après tout, Montréal peut déjà se vanter de quelques plaques et monuments qui ne font pas l’unanimité, comme la plaque à la mémoire de la visite à Montréal en 1867 de Jefferson Davis, président déchu des États du Sud et esclavagiste, qui se trouve encore sur le mur de la Baie au centre-ville de Montréal.
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11 commentaires
Archives de Vigile Répondre
8 décembre 2010M. Phillpot
Votre texte démontre avec éloquence que Mordecai Richler est loin d'être un écrivain qui mérite les honneurs que certains lui prêtent, et ce, n'en déplaise à Monsieur Lisée. Richler est plutôt et de tout évidence un provocateur et symbole de résistance au français et principalement au droit du Québec de décider de son avenir. Vouloir offrir un monument à quelqu'un qui a traité nos grand-mère de putes me semble relever plus de la pathologie mentale que du sado-masochisme.
Mais chez nous les trou de cul, les mafiosi et les assassins, quand on ne les élit pas comme gouvernement, on les porte aux nues comme en fait foi le monument de Wolfe à Québec. Mais ne vous en faites pas avec ça. Certes, je ne vous apprendrai pas grand-chose si je vous dit que chaque société a ses bourreaux, des Robespierre aux Adolphe Hitler en passant par les Georges Bush.
Pour moi, Neil Bissoondath vaut cent fois Mordecai Richler, cet individu insolent et imbu de lui-même dont les pamphlets servent davantage à allumer le poêle pour ne pas dire se torcher le cul...
Jean-Yves Durocher Répondre
8 décembre 2010Disons que Richler n'est pas Saul Bellow...
Qui est sans doute l'écrivain né à Montréal le plus lu au monde, il est incontournable dans les collèges américains.
Richler aurait pu méditer ceci de Bellow:
"A great deal of intelligence can be invested in ignorance when the need for illusion is deep."
Si Lachine a honoré Bellow, Prix Nobel, mérite-t-il une bibliothèque?
Pourquoi pas, s'il faut vraiment l'honorer individuellement, le pendant du Centre Yves-Thériault:
http://www2.csdm.qc.ca/Yves-Theriault/PagePrincipale.asp?SelectionPage=mnuPage_presentation
Un projet vendeur pour la Ministre des Affaires Incultes et Autres, le Centre Mordecai Richler, voué à l'anglicisation...
Je préfère encore une place sur le Plateau...
Archives de Vigile Répondre
8 décembre 2010Cher Robin,
Je suis parfaitement d'accord avec vous, le Québec a produit beaucoup de grands écrivains. Plusieurs de ceux que vous nommez méritent également de laisser leur trace dans notre paysage toponymique, c'est une évidence.
Mes connaissances littéraires sont trop minces pour que j'avance un palmarès quelconque. Je note simplement que vous jugez que Richler mérite au moins une plaque, moi je dis pourquoi pas une bibliothèque, qui ne porte pour l'instant pas de nom autre que mile-end ? Il ne me semble pas que nous soyons si éloignés l'un de l'autre.
confraternellement,
Jean-François
Jean-Yves Durocher Répondre
7 décembre 2010Assez,
Votre 40% il vient d'où?
http://www.federationcja.org/fr/montreal-juif/donnees-demographiques/
Archives de Vigile Répondre
7 décembre 2010À Côte Saint-Luc, 40% des juifs sont Sépharades.
Michaud n'a pas été accusé de propos anti-anglophones.
Vous portez bien votre nom, L'Aveugle National.
Jean-Yves Durocher Répondre
7 décembre 2010Bien qu'on ne doive pas répondre aux autres contributions, celle de Gébé Tremblay mérite correction:
La Municipalité de Côte-Saint-Luc http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2006/dp-pd/prof/92-591/details/page.cfm?Lang=F&Geo1=CSD&Code1=2466058&Geo2=PR&Code2=24&Data=Count&SearchText=Cote-Saint-Luc&SearchType=Begins&SearchPR=01&B1=All&GeoLevel=PR&GeoCode=2466058 est massivement anglophone et on est loin d'un 40% de sépharades. Qui demeurent plus à l'est du Boulevard Décarie.
Affirmer qu'ils votent à 100% non est au mieux faire preuve d'ignorance au pire de racisme. 100% c'est l'absolu, or il y a tellement d'exceptions, si c'est exceptionel d'être québécois et francophones, dans cette communauté qui ont votés OUI, appuyés publiquement le OUI qu'on se demande d'oû viennent ces bobards. S'il n'y avait que les sépharades! Phyllis Lambert, vous connaissez, c'est la soeur Bronfman que certain n'aime pas: elle est québécoise et ses propos avant le référedum était sans équivoque: elle n'était pas contre l'indépendance.
Au moment ou on s'outrage du cas Michaud, c'est lui faire honte d'être si mal informé. S'il est une personne qui a convaincu des dizaines de juifs d'être québécois, c'est bien lui.
Vas pour l'opinion, la désinformation: NON.
Archives de Vigile Répondre
7 décembre 2010Pourquoi, un grand écrivain ?
Parce-qu'il n'a pas été censuré comme les autres qui ne pensaient pas comme lui ?
Parce-qu'il a eu droit à un film inspiré de ses écrits que d'autres n'ont pas eu droit ?
Vous jugez de la grandeur d'un écrivain comme vous jugez de la grandeur d'un poisson dans un bocal !
Faites un tour en mer !
Archives de Vigile Répondre
7 décembre 2010Les jugements de Lisée.
http://www.vigile.net/L-affaire-Michaud-a-froid
Ici, Lisée parle de la communauté juive de Côte Saint-Luc. Or, 40% des juifs de Côte Saint-Luc sont Sépharades et francophones !
Son raisonnement ne tient pas, car ces Sépharades ont voté à 100% NON. Les Sépharades feraient partie de la majorité dans un pays Québec francophone.
Comment de libres propos de M. Michaud peuvent-ils être considérés comme des dénis de droits plus que les libres propos de Lisée ? Michaud aurait un pouvoir législatif ?
De quel pouvoir Michaud peut-il retirer un droit démocratique ? Par son opinion ? En exprimant simplement des faits ?
Pourquoi l'expression d'un fait est condamnable, selon Lisée ?
Je n'ai pourtant jamais entendu Lisée condamner les pressions économiques des juifs Ashkénazes (anglos) sur les juifs Sépharades (francos) pour les forçer à voter NON !
Quelles pressions physiques ou économiques repproche-t'il à Michaud d'avoir utilisé sur ces communautés ?
Jean-Yves Durocher Répondre
7 décembre 2010Mon cher Robin des Lettres,
Oui, Mordecai est un grand écrivain, nul autre que Yves Thériault admirait son talent. Mais il faut dire que Thériault était un écrivain mineur, sans grand talent, une sorte de conteur de roman à 10 cennes de Lespérance, pas digne du plateau de Pivot, il faut avoir vu la danse des fonctionnaires de la Kultur Kébécoise faire des pirouettes à un Salon du Livre de Québec pour que Pivot évite l'écrivain mineur. Heureusement, il y avait des VLB pour remettre le mineur à sa place.
Richler est-il romancier? Non, conteur. Dans Solomon Gursky Was Here qu'un contributeur semble lire, espérons-le dans toutes langues sauf le français,on verra dans la bouche de qui il mets ses mots sur les truies québécoises.
Entre la plaque et la bibliothèque il y a un monde, celui de Richler, de Tremblay et de Beauchemin qui le partage dans l'espace et le temps. Il faudrai peut-être leur donner une petite place?
Jacques Dubreuil Répondre
7 décembre 2010Bravo monsieur Philpot,
je partage votre opinion. Et j'ajoute, sans mentionner les textes les plus racistes de Mordecai, la fois où, ayant invité selon lui les plus grands écrivains canadiens à Montréal, il n'avait pensé à inviter aucun Québécois.
Quant à Jean-François Lisée, je l'aime bien mais j'ai remarqué que s'il y a un juif à un kilomètre, il perd tout jugement critique ou autre.
Jacques Dubreuil, Sherbrooke, Estrie
Archives de Vigile Répondre
7 décembre 2010J'avais jamais lu Richler. Faut dire que je le détestais. Je l'avais rencontré une seule fois et on en était presque venu aux coups.
J'ai emprunté Gursky en fin de semaine à la bibliothèque. J'ai lu 58 pages jusqu'à maintenant. Rien pour écrire à sa mère. Je ne pense pas que je vais me rendre jusqu'au bout.
Un écrivain c'est d'abord un style; on accroche dès le début. Garcia Marquez, Céline, Houellebecq, Tom Wolfe, on aime dès le début. Richler jusqu'à maintenant me dit rien. Absolument rien. Pas le moindre frisson.
Le plus grand écrivain québécois? Pour le style, en autant que je suis concerné, Réjean Ducharme. Dommage qu'il se cache autant....