Lysiane Gagnon et le mythe Lévesque

« René Lévesque » — 20e anniversaire

[->10513]Depuis qu'une cohorte d'historiens s'emploient méthodiquement à
déconstruire notre histoire en occultant tout ce qui peut alimenter un
quelconque sentiment nationaliste dans notre parcours historique, certains
journalistes ou commentateurs se sont empressés de s'engouffrer dans cette
brèche béante ouverte par des personnes censées pourtant protéger notre
mémoire collective.
Madame Lysiane Gagnon s'est donc engagée dans cette avenue. Dans un
article intitulé: ["René Lévesque, mythes et réalités"->10513] (La Presse 27 nov.
2007), elle soutient que Lévesque a laissé "un héritage moins durable et
substantiel que celui d'Adélard Godbout." L'affirmation est de taille et
la comparaison aurait pu se révéler pertinente si l'auteure n'avait pas été
aveuglée par une partialité un peu crasse qui l'a amenée à grossir
certaines choses, à en minimiser d'autres, à en taire un certain nombre et
à en avancer de douteuses.
Madame Gagnon possède des qualités journalistiques évidentes mais manier
l'histoire demande un doigté qu'elle ne semble pas posséder surtout quand
elle semble vouloir utiliser l'histoire pour servir l'orientation très
connue du journal qui l'emploie.
Il est indéniable qu'Adélard Godbout, sous plusieurs aspects, a été un
grand premier ministre. C'est vrai que l'histoire parfois a été injuste en
faisant débuter la Révolution tranquille en 1960 alors que plusieurs germes
existaient déjà bien avant. À cet effet, le mandat 1939-44 d'Adélard
Godbout annonce bel et bien le dégel qui allait se produire une quinzaine
d'années plus tard. Godbout était un homme de son temps. Il dut composer
avec la présence du Bloc populaire, mouvement nationaliste qui avance, lui
aussi, plusieurs mesures progressistes parce qu'on retrouve dans son sein
plusieurs anciens de l'Action libérale nationale des années 30, les
premiers à parler de nationaliser l'électricité en 1934. Godbout, lui
aussi progressiste, doit donc tenter de couper l'herbe sous le pied du Bloc
populaire s'il veut battre Duplessis et se maintenir au pouvoir. Le Bloc
populaire a néanmoins été la cause de sa défaite.
Ceci étant dit, madame Gagnon ne se gêne pas pour amplifier certaines
réalisations de Godbout et elle en tait d'autres moins glorieuses. Le vote
des femmes, l'instruction obligatoire jusqu'à 14 ans et le premier code du
travail ont été, sans contredit, des réalisations majeures. Hydro-Québec
aussi. Cependant dans ce cas, il s'agit d'un modeste embryon, prometteur
certes, mais incertain. Le gouvernement Godbout a nationalisé
essentiellement une seule compagnie et pas la plus grosse, la Montreal
Light Heat and Power. Aurait-il été plus loin dans un second mandat ?
Impossible à dire. Ironiquement, c'est René Lévesque qui achèvera cette
réforme en 1962. Apport non négligeable également mais sans lendemains
immédiats pour sa lutte contre le patronage. Le retour de Duplessis a
relégué le tout dans l'ombre.
Madame Gagnon qualifie de réforme majeure le
fait d'avoir parrainé la création de la fédération des caisses Desjardins,
ce qui n'est en fait qu'une simple formalité dans la réorganisation d'un
mouvement qui existait à l'époque depuis au-delà de 40 ans. Elle attribue
à Godbout la fondation de l'Université de Montréal. De quelle fondation
s'agit-il exactement ? Sans être obligé de refaire l'histoire de
l'Université de Montréal, on peut dire qu'elle existait bien avant Godbout.
Elle a d'abord été une filiale de l'Université Laval avant de devenir
autonome. Bien difficile de qualifier cette réalisation de majeure. Quant
à l'électrification rurale, n'importe quel manuel élémentaire d'histoire
attribue cette réalisation essentiellement à Duplessis. Madame Gagnon
aurait été plus avisée, sans doute, de mentionner plutôt la création d'un
ministère de l'industrie et du commerce et la mise sur pied d'une
commission chargée d'étudier les possibilités d'instaurer une assurance
maladie. Cela aurait donné un peu plus de poids à sa démonstration.
Cependant, elle a bien laissé dans le placard deux squelettes bien
embarrassants. Pendant la seconde guerre mondiale, les provinces sont, à
toute fin pratique, en tutelle à cause du fédéral et pendant que toutes
l'attention du Québec est mobilisée par les débats
sur le vote des femmes et l'instruction obligatoire, il se passe des
choses déterminantes sur un autre front, le front constitutionnel. Les
provinces acceptent de céder l'impôt sur le revenu au fédéral en échange
d'un subside annuel. Godbout accepte cela. Serait-il le père du
déséquilibre fiscal ? Entre 1941 et 1947, on estime que le gouvernement
fédéral a prélevé 2 milliards de dollars au Québec et en a retourné un peu
plus de 100 millions. L'autre squelette s'appelle maintenant
l'assurance-emploi. Godbout cède au fédéral un pouvoir qui, selon l'esprit
de la constitution de 1867, relèverait des provinces. Quand on réalise
l'importance actuelle de la caisse de l'assurance-emploi et toutes les
incidences que cela a pu avoir sur la formation de notre main d'oeuvre, on
peut parler d'un véritable dégât.
***
Quand vient le temps de parler de René Lévesque, le tableau qu'elle dresse
se caractérise par une désolante rondeur de coins. Comme on devait s'y
attendre, elle commence par un désastre, la nationalisation de l'amiante.
Désastre réel, il faut lui concéder. Elle mentionne, du bout des lèvres,
la loi sur le zonage agricole et l'assurance automobile, deux mesures
majeures pourtant. Comment peut-elle affirmer que la loi sur le
financement des partis politiques "n'a pas résisté à l'épreuve du temps"
quand le parti libéral du Canada s'en est grandement inspiré récemment pour
civiliser ses méthodes de levées de fonds ?
On se rassure un peu en constatant qu'elle trouve la loi 101 déterminante.
Elle passe cependant sous silence bien des choses. Silence sur la
création du ministère de l'environnement, silence sur la loi de la
protection du consommateur, silence sur l'abolition des clubs privés et la
création des zones d'exploitation contrôlée (ZEC), silence sur l'obtention
du congé de maternité payé dans le public et le para-public, silence sur la
loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, silence enfin
sur la gratuité des médicaments et des services ambulanciers pour les 65
ans et plus. Ça commence à ressembler à du mutisme prémédité.
C'est vrai que Lévesque a échoué dans son projet principal, que le second
mandat a été de trop et qu'il s'est terminé dans la dérive. L'échec
référendaire n'est pas vraiment le sien mais le nôtre. Les Québécois sont
tombés dans le panneau, endormis par les propos empreints de duplicité de
Trudeau concernant le renouvellement de la constitution et nous avons
poussé l'inconscience jusqu'à réélire Lévesque pour l'expédier pieds et
poings liés, sans rapport de force, à la conférence constitutionnelle de
1981 avec les résultats que l'on sait. Même là, Lévesque a trouvé le tour
de poser un geste durable. Il n'a pas signé cet accord et depuis 25 ans,
aucun premier ministre du Québec, toutes allégeances confondues, n'a osé
jongler avec la possibilité de parapher un tel document.
Madame Gagnon relève cependant avec justesse le sens démocratique de
Lévesque et surtout cette fierté qu'il a contribué à insuffler, à cette
confiance qu'il a cherché à nous communiquer en nous répétant: "Cessons
d'avoir peur et faisons-nous confiance".
Le paradoxe pour Godbout et Lévesque, c'est qu'ils ont été des artisans
involontaires de l'affaiblissement du Québec sur le plan constitutionnel.
Ils furent deux véritables progressistes dans les affaires domestiques du
Québec mais tous les deux furent des victimes de la manie centralisatrice
du gouvernement fédéral. Madame Gagnon a certes soulevé un sujet
intéressant mais, ignorance ou mauvaise foi, elle est loin d'en avoir fait
le tour. Vraiment superficiel. Ça ne mérite pas la note de passage.
Gilles Ouimet

professeur d'histoire
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Né à Mont-Laurier en 1947. Études primaires à cet endroit. Études classiques à Mont-Laurier et Hull entre 1961 et 1968. Diplômé en histoire de l’Université Laval en 1971. Enseignant à la polyvalente de Mont-Laurier entre 1971 et 2005. Directeur d’une troupe de théâtre amateur (Troupe Montserrat) depuis 2000. Écriture pour le théâtre, notamment une pièce à l’occasion du centenaire de Mont-Laurier en 1985 (Les Grands d’ici), une autre à l’occasion du 150e anniversaire du soulèvement des Patriotes (Le demi-Lys...et le Lion) en 1987 (prix du public lors du festival de théâtre amateur de Sherbrooke en 1988 et 2e prix au festival canadien de théâtre d’Halifax la même année). En préparation, une pièce sur Louis Riel (La dernière Nuit de Louis Riel). Membre fondateur de la Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides. Retraité de l’enseignement depuis 2005.





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