Ce qui semblait inimaginable il y a à peine vingt-quatre mois s’achève : une pleine session parlementaire avec aux commandes un gouvernement de la Coalition avenir Québec qui, avec plus de 40 % d’intentions de vote, écrase littéralement les autres partis.
À qui François Legault et son parti doivent-ils ce succès ? Essentiellement aux Franco-Québécois, y compris tous ceux et toutes celles qui ont choisi de les rejoindre. Mais une question existentielle se pose : ces Franco-Québécois constituent-ils une majorité ou une minorité ?
Ils sont dans les faits une minorité qui a, un temps, espéré accéder au statut de majorité. Cet espoir s’est dissous à la suite des échecs des deux référendums de 1980 et de 1995 ainsi que de l’impossibilité de réformer le système constitutionnel canadien. Rappelons la dure réalité des chiffres : moins de 2 % de francophones en Amérique du Nord, environ 22 % au Canada. Longtemps, nous avons été des « Canadiens français », condition à laquelle nous avons cru échapper grâce à un « nationalisme d’émancipation », pour reprendre les termes d’Yvan Lamonde dans son essai Un coin dans la mémoire : l’hiver de notre mécontentement, publié en 2017. Après l’hiver à quand le printemps de notre épanouissement ?Pour l’instant, dans ce Canada religieusement multiculturaliste et faussement bilingue, nous sommes une minorité un peu plus importante que les autres. Une minorité démographique, politique, culturelle. Point à la ligne. Une minorité qui se comporte comme une minorité. Exit les deux peuples fondateurs et tout ce qui en découlait ou que nous croyions qui en découlait.
Que reste-t-il, par ailleurs, de ce fort désir d’indépendance qui nous propulsait, nous donnait confiance en nous-mêmes, nous permettait de nous rêver en nation plurielle regroupée autour de la majorité francophone héritière d’une langue et d’une histoire et nous amenait, ultimement, à vouloir réenchanter, réinventer le monde ? Nous sommes, à nouveau, assignés à notre ethnie canadienne-française comme toutes les autres ethnies présentes sur le territoire canadien et québécois. Ce qui n’empêche pas des intellectuels de nous décrire en majorité xénophobe. Or le résultat des études récentes menées par le politologue André Blais, professeur à l’Université de Montréal, et son équipe démontre que les francophones d’ici sont certes nettement plus antireligieux que les autres Canadiens, mais ni plus ni moins racistes. C’est leur attitude négative par rapport aux religions qui les distingue, rien d’autre. Ils ne sont pas plus xénophobes que leurs concitoyens des autres provinces.
Cette régression à un statut ethnique et minoritaire pour ceux qui, comme moi, croient à la mixité, au métissage, au français langue publique commune, à la citoyenneté partagée comme idéal de société est un coup dur. Mais comment éviter cette régression compte tenu de la dynamique implacable du rouleau compresseur du multiculturalisme canadien qui divise les citoyens en catégories ethniques et religieuses, qui incite à afficher ses différences plutôt qu’à se rassembler ? Que représente l’interculturalisme dans ce contexte ? Le multiculturalisme plus la loi 101 comme l’a déjà affirmé Charles Taylor, ou encore une théorie qui consiste à faire reposer sur la seule supposée majorité la totalité de la responsabilité de la rencontre avec « l’autre » ainsi que son acceptation ?
Comment s’étonner, dans ces conditions, que François Legault, un ancien indépendantiste, entouré de plusieurs ex ou encore indépendantistes, porteur d’un nationalisme conservateur à certains égards mais aussi républicain, soit en phase avec ces Franco-Québécois et leurs alliés ? Penser le Québec en dehors de la perspective du pays à venir, c’est-à-dire en tant que province, exige, au minimum, de permettre un vivre-ensemble pluraliste tout en s’inscrivant dans la réalité historique et culturelle du parcours franco-québécois. De là le projet de loi sur la laïcité, largement appuyé par la population et qui, malgré les tirs croisés, mérite d’être adopté dès cette session quitte à ce qu’elle soit prolongée de quelques semaines.
Évidemment, le gouvernement caquiste ne fait pas tout bien dans ce dossier comme dans d’autres : il marche sur une fine ligne entre, d’un côté, la détermination à remplir des promesses électorales et, de l’autre, le spectre de l’arrogance ; ce qui, un jour ou l’autre, pourrait être perçu comme un refus d’entendre les bémols et de prendre en considération les questions légitimes et les critiques constructives.
Mais qu’en est-il des autres partis ? Qu’ont-ils proposé comme solution inspirante pendant cette session qui se termine ? Poser la question, c’est y répondre.