Bernard Desgagné, dans sa chronique intitulée Beaulieu l’intrigant publiée sur Vigile le 30 août dernier, donne, un peu indirectement, son opinion selon laquelle Mario Beaulieu serait un pion d’Ottawa. Plus précisément, il écrit :
Si vous voulez mon avis, Beaulieu, Duceppe et leurs acolytes ont drôlement l’air d’avoir les mêmes objectifs qu’Ottawa, qui fait secrètement la guerre depuis longtemps au mouvement indépendantiste québécois et qui a certainement intérêt à empêcher l’élection de véritables indépendantistes au Parlement fédéral [entre autres et surtout Martine Ouellet].
[…] En fait, on connaît très bien, à Ottawa, les vertus de l’imposture.
J’aimerais ici donner (un peu longuement) ma position sur cette question.
Un « sauveur » du peuple québécois
J’ai fait vraiment beaucoup d’heures de militantisme pendant plusieurs années à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, alors que Mario Beaulieu en était le président. Il était adoré de tous. Il a organisé maintes et maintes actions militantes en faveur de la souveraineté et du français, comme des manifestations, des pétitions, des spectacles où, par exemple, des immigrants chantaient des classiques québécois, etc. Il a opéré un rapprochement avec les souverainistes kabyles et catalans vivant au Québec. Etc.
Quand il a décidé de se présenter comme chef du Bloc, on a pu voir l’ampleur de tous ses contacts dans le milieu souverainiste partout au Québec. Ses partisans les plus militants ont été lui chercher en une seule semaine 2000 signatures sans se servir de l’internet (ce moyen était alors interdit), ce qui était un véritable tour de force illustrant parfaitement à quel point il était adulé et à quel point il suscitait des espoirs. Devant la nullité que nous présentait en permanence le P.Q., il nous apparaissait presque comme un sauveur du peuple québécois!
Sa débandade
Comment expliquer sa débandade par la suite? Le problème qui s’est posé, et solidement, et que l’on peut maintenant peut-être mieux comprendre, c’est que la S.S.J.B.M. est un endroit on ne peut plus douillet à côté du Bloc québécois dominé par des requins fédéralistes comme Duceppe (et comme Bouchard avant lui). Beaulieu était facilement et carrément un géant à la S.S.J.B.M., mais il n’était pas de taille pour les ligues majeures où évolue un Bloc québécois avec des Duceppe, Bouchard et cie.
Duceppe n’a ainsi fait qu’une bouchée de Beaulieu, qui s’est écrasé à répétition devant lui et sa gang. Martine Ouellet a combattu beaucoup plus que lui avant d’être obligée de s’avouer vaincue.
On a ainsi pu découvrir chez Beaulieu un à-plat-ventrisme doublé d’un côté vilement manipulateur et calculateur, derrière son apparence « nounours » et son image projetée à la S.S.J.B.M. de bienfaisance et de militantisme exemplaires en faveur de la souveraineté et de la langue française. S’être allié à Duceppe après s’être fait écraser par lui démontre qu’il est prêt à s’abaisser devant ses bourreaux pour ne pas être exclu du pouvoir. Mais il pourra quand même toujours essayer de faire passer cela comme une sorte d’abnégation pour que le Bloc québécois survive.
Un pion d’Ottawa?
Je suis convaincu que Beaulieu n’a jamais été à la base un pion d’Ottawa comme l’est Duceppe. Voici un argument qui me semble irréfutable en faveur de ma conviction: Ottawa n’avait absolument aucun intérêt à ce que Beaulieu aille prendre la chefferie et le contrôle du B.Q., qui était alors à cent pour cent sous contrôle fédéraliste de par Duceppe et ses sbires.
Comme je l’ai écrit dans un article publié sur Vigile le 8 septembre 2015 et intitulé L’héritage politique de Mario Beaulieu à ce jour :
Beaulieu s’est […] présenté, le 30 avril 2014, comme aspirant à la chefferie du Bloc québécois parce que seulement un candidat, à savoir André Bellavance, était dans la course et qu’il n’apparaissait guère comme un « indépendantiste décidé »: il voulait carrément faire du Bloc un parti où la souveraineté du Québec ne serait pas à l’avant-plan.
J’ajoutais plus loin :
Duceppe a commencé à démolir Beaulieu dès sa victoire, puis les députés du Bloc Jean-François Fortin et André Bellavance ont tour à tour enchaîné les coups sûrement téléguidés par leur ex-chef Duceppe lui-même. Ces deux députés ne voulaient rien savoir de Beaulieu parce qu’il parlait trop d’indépendance… Fortin a d’ailleurs depuis, plus précisément le 21 octobre 2014, créé un nouveau parti fédéral, Forces et Démocratie, dans lequel est carrément absent le projet d’indépendance du Québec. On comprend ainsi aisément que ces élus du Bloc québécois, André Bellavance et Jean-François Fortin, ont toujours été, tout comme Duceppe, à peu près aussi souverainistes que Lucien Bouchard...
Ottawa était donc gras dur avec Duceppe, Bellavance, Fortin et al.; et n’avait absolument aucun avantage à changer cette situation. Donc, à mon avis, Beaulieu n’est sûrement pas à la base un vendu à Ottawa; mais il a quand même en quelque sorte accepté de jouer ce rôle en cédant à répétition devant Duceppe et sa suite. Il me dégoûte maintenant pas mal pour son côté vilement manipulateur et calculateur qu’on ne lui connaissait pas, et sa soumission lâche devant Ottawa incarné par Duceppe et cie.
Le principe de Peter
Le cas de Beaulieu illustre en quelque sorte le principe de Peter: son top a été atteint à la S.S.J.B.M., et Beaulieu est ainsi passé à son niveau d’incompétence quand il a fait le saut en politique active au Bloc québécois. Mais ça n’empêche pas qu’il peut très bien continuer ainsi si le cœur lui en dit, tout en prenant bien conscience de ses limites et de ses faiblesses. Je préfère encore de toute façon un tel Beaulieu à n’importe quel véritable Duceppien…
Sa venue en politique active a quand même permis de mettre bien en évidence l’allégeance fédéraliste de Duceppe et de sa gang. C’est loin d’être négligeable, et c’est même très positif à mon sens.
Enfin, il n’y a au fond pas de déshonneur à déchoir en étalant forcément ses faiblesses, après avoir eu le courage de se lancer corps et âme dans l’arène aux lions.
Martine Ouellet
En ce qui concerne Martine Ouellet, c’est Beaulieu lui-même qui est allé la chercher et qui l’a placée à la chefferie du B.Q.; et il l’a appuyée pas mal longtemps. Dès lors, c’est plutôt difficile d’ostraciser complètement Beaulieu pour le sort de cette dernière. Beaulieu a cessé de l’appuyer quand il a jugé que ça devenait trop dangereux pour sa propre position dans les sphères de pouvoir au Bloc québécois et en politique québécoise.
L’idée d’un traquenard par lequel Beaulieu aurait fait venir Ouellet au B.Q. rien que pour pouvoir l’amocher par la suite et la faire tomber apparaît non seulement difficile à croire mais même complètement farfelue. Voici précisément ce qu’a écrit Desgagné à ce sujet: « […] dès 2016, il [Beaulieu] cherchait manifestement à l’attirer [Ouellet] dans un traquenard. Il savait que son ami Thériault et ses collègues Pauzé et Fortin attendaient la future « cheffe » avec une brique et un fanal. »
André Lafrenaie
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1 commentaire
Bernard Desgagné Répondre
12 septembre 2018Merci, Monsieur Lafrenaie, de réagir à mon article, «Beaulieu l'intrigant», et de nous donner votre point de vue. J'ai longtemps cru, moi aussi, les explications de Mario Beaulieu concernant la campagne électorale de 2015 et ses suites. Mais force est d'admettre que ces explications sont cousues de fil blanc.
Beaulieu dit à qui veut l'entendre qu'il a été obligé de «s'écraser» devant Duceppe et son entourage. Mais quand on lui demande pourquoi, il n'a pas de réponse valable à donner. Il était président du Bloc Québécois et il avait à son service des militants dévoués, moi le premier. Il avait remporté l'élection dans sa circonscription, tandis que Duceppe avait été battu. Quelles ont été exactement les méthodes employées par Duceppe pour obliger Beaulieu à se prosterner devant lui et à ne pas exercer ses prérogatives de président? Comment Beaulieu a-t-il pu accepter que Duceppe le perdant nomme Rhéal Fortin «chef intérimaire» et qu'il choisisse le personnel des députés? Je pense que, si vous posez la question, vous verrez, comme moi, que la réponse n'est pas claire du tout.
Pour ce qui est de vos observations concernant l'arrivée de Mario Beaulieu au Bloc Québécois en 2014, avec l'appui des militants indépendantistes les plus convaincus, dont je fais partie — je suis parmi ceux qui ont aidé Beaulieu à recueillir à toute vitesse les signatures dont il avait besoin —, je vous dirais que cette arrivée peut s'expliquer selon la logique d'Ottawa.
Fort de sa réputation d'indépendantiste «pur et dur» — c'est le propre des agents du SCRS de se montrer plus catholiques que le pape pour gagner la confiance de ceux qu'ils vont finir par manipuler, et nous en avons eu de nombreux exemples dans le passé (voir Produire la menace d'Alexandre Popovic) —, Beaulieu était l'homme de la situation pour empêcher des indépendantistes sincères et intelligents de prendre les commandes du Bloc Québécois, où l'influence des Duceppiens était grandement amoindrie depuis le retentissant échec de 2011.
André Bellavance était le seul candidat à la présidence du Bloc Québécois, en 2014, avant l'arrivée de Beaulieu. Il risquait d'être désavoué par ses propres troupes tellement les militants du Bloc avaient soif de discours indépendantistes après la sécheresse des années Duceppe. Ottawa ne pouvait plus compter sur une armée d'employés de député bloquiste sélectionnés par Duceppe pour mettre la bride aux militants. En outre, André Bellavance, Jean-François Fortin et cie étaient sans doute des disciples de Duceppe, mais certainement pas d'habiles manipulateurs. Le charisme et la crédibilité leur faisaient cruellement défaut.
Bref, du point de vue des marionnettistes à Ottawa et de leurs serviteurs médiatiques, il faut trouver un moyen de tenir les vrais indépendantistes en laisse et les empêcher de se faire élire en trop grand nombre au Parlement d'Ottawa, ce qui poserait un sérieux problème aux tenants du régime fédéral. Imaginons ce qui se produirait si, à titre de membre du Comité de la sécurité publique, un député vraiment indépendantiste avait accès à de l'information compromettante à propos des activités secrètes du SCRS sur la scène politique, notamment au sein du mouvement indépendantiste.
Le Bloc Québécois peut être utile au contrôle fédéral des indépendantistes, à condition de ne pas le laisser tomber entre les mains d'une équipe comme celle de Martine Ouellet, qui échappe totalement à l'emprise d'Ottawa. Il faut «encadrer» les militants avec un chef qui leur inspire confiance par ses propos et son image, mais qui reste sagement dans l'enclos quand vient le temps d'agir et qui s'entoure d'employés manipulables ou serviles. Mario a servi d'appât pour prendre beaucoup de poissons dans le filet, les endormir et préparer le retour de Duceppe et de ses acolytes, qui ont su régler rapidement le sort de Martine Ouellet avec l'aide de leurs amis des médias.