Quoi qu'il en dise, Gilles Duceppe est le grand perdant de l'opération qui amènera plus tard aujourd'hui la Chambre des communes à adopter à l'unanimité la résolution qui reconnaît que les Québécois forment une nation au sein d'un Canada uni.
Dans un débat où le camp souverainiste a toujours été avantagé sur le front des symboles, c'est une carte maîtresse de l'argumentaire souverainiste que M. Duceppe a imprudemment risquée dans une partie beaucoup moins gratuite qu'il ne l'avait escompté.
Au bout du compte, la moindre conséquence de la décision bloquiste de saisir les Communes de cette question sera sans doute d'avoir fourni à M. Harper l'occasion d'un geste spectaculaire pour redorer son blason au Québec. La motion évite aux conservateurs de partir complètement perdants aux prochaines élections au Québec. Elle ne leur garantit pas pour autant la victoire. Le Bloc aura beau jeu, le moment venu, de se targuer d'avoir fait cheminer le dossier.
Mais à quel prix pour la stratégie référendaire souverainiste? Le chef péquiste André Boisclair a beau dire qu'elle facilitera l'adhésion éventuelle d'un Québec souverain à la communauté internationale, encore faudrait-il que son existence ne compromette pas encore davantage ses chances de l'emporter dans un référendum.
Il n'y a pas un fédéraliste à Québec ou à Ottawa qui ne sera pas mieux équipé pour faire campagne contre la souveraineté dans un éventuel référendum avec la motion d'aujourd'hui. Au cours de la dernière campagne référendaire, le blocage canadien sur le front symbolique avait fortement handicapé les fédéralistes. D'ailleurs, sans le refus du reste du Canada de reconnaître le caractère distinct du Québec, le référendum de 1995 n'aurait presque certainement pas eu lieu; chose certaine, son résultat n'aurait jamais été aussi serré.
Entre-temps, personne parmi les stratèges des partis fédéralistes ne s'attend à ce que les événements politiques de la dernière semaine ne résonnent dans l'urne à l'occasion des élections complémentaires qui se déroulent dans la circonscription ontarienne de London-Centre-Nord aujourd'hui. Si les conservateurs ne réussissent pas à emporter ce comté à la faveur de la division du vote de l'opposition, ce sera plutôt à cause de l'ensemble de leur oeuvre sur d'autres fronts comme l'environnement.
À l'extérieur du Québec, l'impact de la lame de fond médiatique soulevée par la motion a été largement neutralisé par l'adhésion de toutes les formations politiques à son contenu. Malgré l'agitation des commentateurs, le sujet est loin de mobiliser l'opinion canadienne comme à l'époque des grands débats constitutionnels.
La résolution de Stephen Harper a également largement désamorcé le débat libéral sur le même sujet. À la fin de la semaine dernière, Bob Rae s'est rallié du bout des lèvres au consensus du caucus libéral fédéral sur une motion qui reflète l'esprit des intentions de Michael Ignatieff et sur laquelle Stéphane Dion avait été consulté par le premier ministre. Mais cela ne veut pas dire que la question dite nationale ne jouera pas un rôle déterminant dans le dénouement de la course au leadership.
Michael Ignatieff est toujours l'homme à battre du marathon libéral, mais il est toujours susceptible d'être battu. La question est de savoir par qui. Si le raisonnement éditorial du Globe and Mail, ce week-end, reflète une tendance lourde, Stéphane Dion pourrait se retrouver face à M. Ignatieff au dernier tour de scrutin.
Le quotidien torontois ne voulait pas appuyer Michael Ignatieff, jugé téméraire notamment pour ses ouvertures constitutionnelles. Mais il ne pouvait se résoudre à se replier sur Bob Rae, à qui sa grande parcimonie au plan des idées, depuis le début de la campagne, combinée à son bilan néo-démocrate, enlève de l'élan. Les éditorialistes du Globe ont également jugé Gerard Kennedy trop vert pour le poste de chef fédéral. Par élimination, le quotidien a donc donné sa bénédiction à Stéphane Dion.
La même démarche amènera presque certainement d'autres quotidiens anglophones à faire de même. Par contre, il y a fort à parier que ce ne sera pas le cas en français au Québec. La campagne Ignatieff y remporte un large succès d'estime. Si les médias sont représentatifs des sentiments des délégués libéraux de leurs régions respectives, il n'est pas farfelu d'imaginer qu'en bout de piste, un candidat du Québec pistonné par l'Ontario croisera le fer avec un candidat ontarien pistonné par le Québec.
Enfin, il n'y a pas que les libéraux fédéraux qui pourraient miser sur un intellectuel comme prochain chef. Le dernier tour de la course à la direction du Parti conservateur de l'Alberta samedi prochain s'annonce comme un duel entre l'ancien trésorier albertain Jim Dinning, identifié à la branche plus progressiste du parti, et Ted Morton, issu de sa frange réformiste.
D'origine américaine, M. Morton est docteur en économie politique et l'un des principaux maîtres à penser de la droite canadienne. En 2001, il avait co-signé avec Stephen Harper une lettre enjoignant au premier ministre Ralph Klein de doter l'Alberta d'un pare-feu législatif pour circonscrire l'influence fédérale sur la province.
Adversaire virulent du mariage gai, critique féroce du pouvoir judiciaire, M. Morton a fait ses premières armes en politique contre les accords de Meech et de Charlottetown. La semaine dernière, il a pourtant réussi à dire quelques mots apaisants sur la résolution de son ancien compagnon d'armes Stephen Harper sur la nation québécoise.
Au Québec, la motion Harper pourrait miner le terrain référendaire pour les souverainistes, mais elle semble pour le moment destinée à faire davantage de peur que de mal aux fédéralistes dans le reste du Canada.
chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star
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