De nouveaux tabous sont en train de se constituer au Québec : il ne faudrait plus, sous peine de se faire traiter de crypto-raciste, déplorer la déferlante du franglais, des anglicismes ; ou encore exprimer des craintes par rapport à l’état de notre langue. Ces nouveaux et stigmatisants interdits doivent être rejetés.
Notre conscience linguistique collective semble s’édulcorer. Il fut une époque, au Québec, où l’on remplaça avec succès, dans notre langue, les « winshields », « bumpers » et autres « wipers ». Grâce à des comités, on francisa non seulement l’univers automobile, mais plusieurs autres. Tout cela apparaîtra dérisoire aux esprits extrêmement « ouverts » d’aujourd’hui, mais à l’époque, on considérait que « nommer » les choses dans notre langue était une petite mais significative prise du pouvoir. Affaire d’élites ? Oui, mais surtout de comités de travailleurs, de syndicats. Gestes culturels, mais aussi politiques (le rapport entre les langues l’est), assumés.
On rétorquera que c’était l’ancien temps, où l’anglais représentait l’idiome du patron, etc. Vrai, mais ce n’est pas une époque entièrement révolue ; elle recèle même, sur le plan de la biodiversité des langues, des enjeux importants. Depuis ce temps, l’anglais a décuplé sa force, est devenu planétaire. Grâce entre autres à l’Internet, aux nouveaux médias. Nombre d’Allemands d’ailleurs redoutent le denglisch ; des hispanophones, le spanglish ; des Anglophones, le globish.
L’ensemble de la francophonie se trouve face au défi que les Québécois ont connu. Les Francofolies de Spa 2014 peinent à présenter un tiers de chanson en français, révélait notre collègue Sylvain Cormier (21 juillet). On y chante souvent dans une sorte « yaourt similianglo pas nature », pour reprendre sa formule (qui lui vaudra assurément des accusations de lèse-métissage).
Quittons l’univers piégé de la création musicale mais conservons le même thème : l’emprunt à une autre langue peut être sympathique, pratique, légitime, bien sûr. Mais il y a un seuil (oui, difficile à pointer), au-delà duquel l’on peut et l’on doit réagir ; signaler un problème ; engager un débat. Nous croyons que dans plusieurs milieux, au Québec, nous y sommes.
En raison du statut minoritaire du français en Amérique du Nord, l’anglais a toujours été attrayant. C’est après tout la langue d’une minorité québécoise reconnue. L’anglais peut être traité sainement, par une personne bilingue ou polyglotte, qui aime le lire, le parler, l’écouter. Il peut au contraire conduire à des « yaourts similianglo pas nature ». Comme les béquilles linguistiques (pensez au proliférant « au niveau de »), plusieurs mots et formules anglaises insérés de plus en plus fréquemment dans les discours quotidiens prennent la place d’expressions françaises justes, précises, riches : « by the book », « by the way », « what ? », « kids » ; il n’y a plus files chez nous, que des « line up », etc.
Pendant nos grandes commissions, écoutez ces avocats — censés avoir des mots une fine connaissance — mordre dans avec fierté dans « short list », « weird », etc. Après avoir utilisé des mots français, ils se sentent souvent obligés de « préciser » leur idée à l’aide d’anglicismes. « C’est vous qui êtes le “ boss ”, vous êtes le grand chef. »« Ça, c’est les critères, les… si vous permettez l’anglicisme, les “ guidelines ” ? » À l’Assemblée nationale, un politicien francophone en colère a récemment hurlé « shame on you ! ». « Vous devriez avoir honte » n’est sans doute pas assez « puissant ».
Oui, l’anglais est fort. Faut-il pour autant, comme minorité linguistique, que nous obéissions à la loi du plus fort ; dans un esprit darwinien, que nous acceptions de nous auto-effacer, tranquillement ? Permettez de résister.
INQUIÉTUDES LINGUISTIQUES
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