Une nouvelle règle de démolition présentée la semaine dernière fait craindre à un regroupement de propriétaires que la Ville de Montréal tente sournoisement de faciliter les expropriations pour avancer ses intérêts. Une allégation catégoriquement niée par l'administration Plante.
L'arrondissement Ville-Marie, qui est dirigé par la mairesse de Montréal Valérie Plante et comprend le centre-ville, a présenté la semaine dernière de nouvelles mesures de protection du patrimoine bâti. L'arrondissement utilisera désormais la valeur du terrain, plutôt que seulement la valeur du bâtiment, pour calculer la garantie bancaire demandée lorsqu'un propriétaire veut démolir ou transformer un édifice.
La valeur du terrain est généralement beaucoup plus importante que celle de l'édifice, même pour un édifice patrimonial. Surtout lorsque celui-ci est dans un état de délabrement avancé, ce qui est souvent le cas au centre-ville.
Selon l'exemple-type donné par l'arrondissement, la garantie demandée pour un édifice patrimonial pourrait passer de 37 500$ à 2 500 000$.
Un seule garantie retenue
Les garanties sont retenues par l'arrondissement lorsque le propriétaire ne respecte pas les conditions du permis de démolition ou de transformation. Par exemple, lorsqu'il ne conserve pas les éléments patrimoniaux tel que spécifié.
L'attachée de presse de Mme Plante, Geneviève Jutras, estime que la mesure répond à une «véritable situation». Or, selon des chiffres obtenus par le HuffPost Québec, l'arrondissement n'a encaissé qu'une seule garantie pour un permis de démolition et une seule pour un permis de transformation entre 2013 et 2017. Pendant cette période, elle a octroyé 122 permis de démolition et 7360 permis de transformation.
L'édifice patrimonial visé par la transformation était une façade érigée sur un espace vide la rue Saint-Jacques, devant la Tour de la Bourse. Seul vestige d'un édifice construit en 1912 pour la Dominion Guarantee Company, elle a été intégrée dans une tour de 258 condos de luxe actuellement en construction par l'entreprise Broccolini.
Broccolini a payé 454 900$ pour avoir manqué aux conditions du permis. Les documents obtenus par le HuffPost n'indiquent pas quelles conditions ont été brisées. Un passage sur le site montre toutefois que la brique rouge d'origine a été recouverte d'un revêtement beige.
Exproprier pour tenir une promesse?
Cette situation fait craindre le pire à Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).
«Ça n'a pas de bon sens! Qui a de l'intérêt là-dedans?», se demande-t-il.
Selon M. Brouillette, une augmentation de 6500% des garanties demandées forcera certains propriétaires à abandonner leurs projets et laisser des immeubles patrimoniaux dans un état de délabrement avancé.
M. Brouilette craint que cela fasse bien l'affaire de la Ville.
«Depuis qu'elle a le statut de métropole, la Ville de Montréal peut exproprier un immeuble pour des raisons de santé et de sécurité. On est en train de disqualifier une partie des promoteurs immobiliers, donc la Ville pourra mettre la main sur des propriétés qui, normalement, auraient dû faire l'objet de projets de développement», avance-t-il.
Le porte-parole de la CORPIQ rappelle que Valérie Plante a fait des promesses ambitieuses en matière de logement social, abordable et familial. Elle aura besoin de terrains pour construire les 12 000 unités promises en campagne électorale.
Cette accusation est rejetée par l'administration montréalaise, qui affirme vouloir «protéger le patrimoine dans l'avenir».
«Ça n'a aucun lien. L'idée n'est pas de démolir ou d'empêcher les projets, mais d'intégrer le patrimoine», affirme Geneviève Jutras.
«On ne pense pas que [le changement réglementaire] va empêcher les projets. C'est, oui, une contrainte, mais ce n'est pas une dépense supplémentaire», ajoute-t-elle.
Le nouveau règlement sera soumis à une consultation publique le 22 août pour une adoption finale le 11 septembre. Il entrera en vigueur à l'automne.