Dire que le développement du secteur éolien en sol québécois est susceptible de soulever des tempêtes relève de l'euphémisme. Le deuxième appel d'offres d'Hydro-Québec pour l'achat de 2000 mégawatts d'énergie éolienne, qui prend fin dans un peu plus d'un mois, ne fait pas exception. Si opposants et partisans s'accusent mutuellement de tromper le public, ils n'ont pas fini de s'affronter puisque le véritable débat devrait commencer lorsque les projets retenus seront connus.
Les pales de la polémique éolienne ont recommencé à tourner au cours des derniers jours, après que le Comité régional pour un développement éolien acceptable, basé dans le Bas-Saint-Laurent, eut demandé une suspension du «processus d'appel d'offres actuel», qui arrive à échéance le 18 septembre.
Son porte-parole, Martin Gagnon, pressait du même coup les municipalités régionales de comté (MRC) du Bas-Saint-Laurent et les municipalités concernées par le développement éolien d'organiser, «en collaboration avec les acteurs locaux et régionaux, des assemblées publiques sur les projets éoliens afin que l'information et les connaissances relatives à ces projets puissent véritablement circuler et être discutées».
En fait, M. Gagnon réclamait une consultation publique en bonne et due forme pour chacun des projets, et ce, avant même qu'ils ne soient soumis à Hydro-Québec pour évaluation. Cette étape incontournable est bel et bien prévue, mais uniquement dans le cas des projets qui auront été choisis. Ceux-ci pourraient se chiffrer à une dizaine.
Le problème, au dire du comité, c'est que les citoyens qui pourraient voir des éoliennes pousser près de chez eux ou sur leur terrain ne connaissent pas les véritables enjeux «politiques, sociaux, environnementaux, éthiques et économiques» de ce nouveau mode de développement énergétique. «L'information qui circule actuellement se limite bien souvent à faire la promotion des projets éoliens», affirmait ainsi M. Gagnon, accusant les promoteurs de discuter uniquement avec ceux qui veulent bien accueillir des éoliennes sur leur terrain.
Cette série de griefs est d'ailleurs partagée par bon nombre de groupes très critiques de la gestion de l'exploitation du vent au Québec pour produire des mégawatts.
La façon de procéder actuelle est tout à fait logique, au contraire, fait valoir Jean Desrosiers, directeur général du TechnoCentre éolien Gaspésie-Les Îles. «Il y a déjà des sommes énormes investies [dans la préparation des soumissions par les promoteurs]. Ils doivent notamment connaître la qualité des vents dans le secteur concerné avant de faire un montage financier et de soumettre un prix au kilowatt-heure à Hydro-Québec», a expliqué hier le porte-parole de l'organisme créé par Québec en 2000.
Dans ce contexte, «si en plus on se met à consulter la population et qu'on lui fait perdre son temps à débattre d'un projet dont on ne sait même pas s'il va être accepté», le processus sera fastidieux et improductif, selon M. Desrosiers.
Il estime que seulement 10 à 20 % des soumissions présentées à la société d'État seront acceptées.
M. Desrosiers croit par ailleurs que l'opposition n'est pas aussi répandue qu'il n'y paraît. «On entend souvent des personnes se plaindre du développement éolien et se plaindre qu'il n'y a pas de consultation. Il y a un petit noyau de personnes qui s'expriment très bien, qui ont un peu une faveur médiatique et qui réussissent à faire paraître ça beaucoup plus gros que c'est en réalité. Quand c'est vraiment important, les différents ordres de gouvernement sont à l'écoute.»
«Le citoyen a la possibilité d'obtenir de l'information et de donner son opinion durant tout le processus de développement d'un projet éolien», souligne d'ailleurs Gilles Lefrançois, président et chef de la direction d'Innergex Management et porte-parole de la Coalition pour la promotion de l'énergie éolienne, dans un texte publié aujourd'hui en page B 5 du Devoir.
Aussi, poursuit M. Lefrançois, «lors du dépôt de sa soumission, l'initiateur du projet doit présenter plusieurs documents émanant des municipalités, des MRC ou du gouvernement provincial. Ces documents démontrent la conformité du projet à la réglementation, confirment l'appui des élus ou l'intention du ministère des Ressources naturelles et de la Faune d'attribuer des droits fonciers pour le projet. Pour ce faire, le promoteur doit avoir présenté le projet aux élus qui, rappelons-le, représentent la population et doivent être à l'écoute des gens qu'ils représentent».
Si -- et seulement si -- les projets sont retenus, «plusieurs instances gouvernementales ont à se prononcer [...] avant que ceux-ci puissent être réalisés, explique aussi M. Lefrançois. Ces consultations à plus large spectre se déroulent alors que le projet est bien détaillé et défini.» «C'est donc un projet plus détaillé qui est présenté à l'ensemble de la population au moment où nous avons des réponses claires et précises aux questions. Grâce à ce processus formel de développement et d'encadrement, les projets éoliens qui verront vraiment le jour seront connus et discutés en public», a-t-il fait valoir.
Meilleur encadrement
Conscient du caractère éminemment délicat de ce dossier, Québec a d'ailleurs édicté de nouvelles règles pour encadrer la filière éolienne en février dernier. Parmi celles-ci, on a choisi d'accorder la priorité -- à valeur technologique et économique égale -- aux projets réalisés en partenariat avec des communautés locales ou autochtones. On a du même coup défini les redevances que les promoteurs devront verser aux propriétaires, soit un «minimum» de 2500 $ par éolienne installée sur leur terrain.
Les libéraux ont par ailleurs insisté pour réitérer le rôle fondamental des MRC dans le dossier. Lors de l'annonce de février, ils avaient assuré que Québec leur fournirait une aide de nature technique portant sur la protection des paysages et l'intégration des éoliennes. L'appel d'offres avait même été reporté de la mi-mai à la mi-septembre.
Il faut dire qu'il revient aux MRC de mettre en place un règlement de contrôle intérimaire (RCI), ce qui leur permet d'encadrer le développement éolien sur leur territoire. On peut ainsi en assurer la planification en mettant en valeur les sites à fort potentiel éolien tout en limitant les impacts sur les milieux habités. Un total de 24 MRC se sont dotées d'un tel règlement, selon ce qu'a confirmé un porte-parole du ministère des Affaires municipales.
Toujours en février dernier, le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), avait annoncé qu'il dépêcherait, sur demande, un commissaire ad hoc du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) pour «soutenir la MRC dans l'organisation et l'animation de la consultation» sur les futures règles d'aménagement du paysage éolien. Vérification faite, seules quatre MRC se sont prévalues de ce droit.
Hydro-Québec a également participé à une dizaine de séances d'information du gouvernement du Québec auprès des MRC et des municipalités sur le développement éolien, a expliqué jeudi Josée Morin, porte-parole de la société d'État.
Étapes critiques
Si le débat est déjà bien lancé, les choses devraient toutefois se préciser -- et éventuellement se corser -- après le 18 septembre, lorsque Hydro-Québec aura épluché la pile de soumissions pour en retenir une poignée. Tous les projets seront évalués en trois étapes par la société d'État en tenant compte notamment de critères liés au coût de l'électricité et à la teneur en «contenu régional» et en «contenu québécois» additionnel au minimum exigé. On prendra également en compte des éléments de développement durable, de solidité financière et de faisabilité du projet.
Les promoteurs choisis devront par la suite produire une étude d'impacts environnementaux répondant à une série de questions précises formulées par le MDDEP. Celui-ci accordera alors un premier mandat au BAPE. C'est à cette étape que les citoyens peuvent prendre connaissance non seulement d'un projet relativement bien défini mais aussi de l'étude d'impacts. Ils peuvent adresser une demande d'audiences publiques.
Si tel est le cas, le BAPE reçoit un deuxième mandat au cours duquel tout un chacun a la possibilité de poser des questions aux promoteurs et de présenter un mémoire à la Commission du Bureau d'audiences publiques en environnement. Le rapport qui en découle peut recommander d'accepter ou de rejeter le projet. Dans le cas d'une décision défavorable, on peut encore reformuler un projet pour le rendre acceptable.
Le MDDEP procède lui aussi à une analyse environnementale. La Commission de la protection du territoire agricole du Québec peut quant à elle être sollicitée lorsque des projets sont prévus en milieu agricole. Fait à noter, seuls les parcs éoliens de moins de 10 mégawatts ne sont pas soumis à tout ce processus.
D'ici une dizaine d'années, ce sont pas moins de 4000 mégawatts qu'Hydro-Québec achètera aux producteurs privés, ce qui représente environ 10 % de la production totale d'électricité au Québec. La société d'État a jusqu'à maintenant lancé deux appels d'offres. Le premier est clos. Il portait sur 1000 mégawatts (un mégawatt alimente de 200 à 300 maisons) et a été décerné à deux groupes en octobre 2004.
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