Indépendance nationale du Québec 405

Pour un enseignement adéquat de l’histoire nationale

Les bases du curriculum : une approche plus complexe et incontournable

Chronique de Bruno Deshaies


L’auteur de cette opinion a été, de 1969 à 1977, Directeur de la Division de l’enseignement des sciences humaines au primaire et de la géographie, de l’histoire et de l’économique au secondaire à la Direction générale des Programmes et Examens et de la Direction générale de l’enseignement primaire et secondaire (DGEES) du Ministère de l’Éducation sous sept ministres de l’Éducation.

Peut-on s’imaginer qu’un comité ministériel de conception et de promotion de l’histoire d’un nouveau curriculum sur l’enseignement de l’histoire du primaire à la fin du secondaire puisse y arriver en un aussi court laps de temps ?

PARTIE I
Sous l’impulsion des conclusions du Rapport Parent et de la création du Ministère de l’Éducation, les programmes promulgués, avant 1965, par le Département de l’Instruction publique du Québec, ont été successivement remplacés par de nouveaux programmes d’études avec une nouvelle grille-horaire à partir de 1966. Le curriculum québécois a été considérablement transformé au tournant des années 1970 par de nouvelles directives de la Direction générale de l’enseignement primaire et secondaire (DGEES) ainsi que par la Direction générale des Programmes et Examens. Malheureusement, entre 1965 et 1968-1969, les programmes de géographie, d’histoire et d’économique sont demeurés les mêmes. Les premiers travaux de changement ont débuté à partir de l’automne 1969.
Les structures du système scolaire ont été modifiées. Le primaire a été raccourci à six ans et le secondaire est passé à une durée de cinq années. Le monde de l’éducation a connu, rapidement et successivement, de nombreuses décisions politiques. Pour l’enseignement, ce furent les programmes-cadres de français et de mathématiques, les combats menés sur la place qui serait accordée à la musique et aux arts. Les sciences de la nature vinrent ensuite. Les directives au sujet des programmes de sciences de l’homme ont commencé à paraître à partir de 1970-1971. Ce furent les premiers documents officiels depuis les anciens programmes du Département de l’Instruction publique auprès des commissions scolaires.
À partir de1975-1976, le milieu scolaire a été agité par le «back to basic», l’«école québécoise», le «renouveau pédagogique», l’enseignement par objectifs jusqu’à l’approche des compétences comme finalités pédagogiques. On pourrait dire que de dix ans en dix ans, sur une période de près de cinquante ans, les programmes d’études au Québec n’ont cessé d’être chamboulés par un pouvoir politique mal aguerri et incapable de répondre adéquatement aux divers courants d’opinion qui agitaient le public en général. Les bases d’un curriculum complet n’ont jamais pu être établies convenablement. Et l’enseignement adéquat de l’histoire et, plus particulièrement, de l’histoire nationale, a été entraîné dans le courant du pédagogisme.
«L’histoire est le témoin du temps.» (Giambattista Vico)
L’enseignement de l’histoire, parmi les programmes d’études du primaire et du secondaire, doit appartenir à un curriculum complet et continu de la première année du primaire jusqu’au secondaire V. Chacun des niveaux d’enseignement devrait avoir ses propres finalités dans l’ordre des contenus et des apprentissages permettant le pont entre l’enfance et l’adolescence des filles et des garçons.
Les dimensions de Temps (hier, aujourd’hui et demain), d’Espace (milieu, région, paysage et territoire) et de Société (nombre, richesse, organisation et culture) sont essentielles à la connaissance historique tant pour les individus et que pour les sociétés. Ces dimensions doivent aussi être vues sous l’angle des rapports Homme, Nature et Société (ici et ailleurs). D’où des problèmes de permanence et de changements continus. La réalité historique qui en découle devient complexe. Faire vivre «cette expérience concrète de la complexité du réel, comme le croit Henri-Irénée Marrou, cette prise de conscience de sa structure et de son évolution, l’une et l’autre si ramifiées ; connaissance sans doute élaborée en profondeur autant qu’élargie en compréhension ; mais quelque chose en définitive qui resterait plus près de l’expérience vécue que de l’explication scientifique» (De la connaissance historique, 1960, Chapitre VII, p. 184).
Si «l’histoire est le témoin du temps», comme le pensait Giambattista Vico, alors qu’est-ce que ce «témoin» pourrait-il nous enseigner pour servir une connaissance rigoureuse tout comme on peut dire «connaître les mathématiques, le français, la géographie, la chimie ou la musique»? Qu’est-ce qu’il y a de plus pertinent dans l’objet de tous ces savoirs ? Qu’est-ce qui en est du savoir historique, sinon de fournir à la conscience humaine cette extension pratiquement indéfinie de l’expérience humaine? Et plus encore : «…la connaissance historique libère l’homme du poids de son passé. Ici encore, l’histoire apparaît comme une pédagogie, le terrain d’exercice et l’instrument de notre liberté.» (Marrou, Ibid., Chapitre X, p. 272-274.)

Pour l’élève du primaire, entre 6-7 ans et 12-13 ans, que peut-on inventer comme curriculum d’histoire qui lui permettrait d’appréhender cette idée du temps historique? Quel contenu serait susceptible de susciter son intérêt ? Quel développement intellectuel pourrait-on entrevoir au plan méthodologique? Quelle serait la démarche cognitive envisageable d’accomplir entre la première à la sixième année du primaire? Quels sont les choix éducatifs sociaux convenables pour rendre progressivement cet enfant unique libre et responsable socialement?
Après le primaire, les cinq années du secondaire. L’élève se situe entre 13-14 ans et 17-18 ans. La relation communicationnelle maître élève et, réciproquement, demeure de plus en plus exigeante. Créer la motivation envers une discipline telle l’histoire ne s’improvise pas. L’explication historique devient un enjeu majeur de la science historique. Cette question nécessite une réflexion multidisciplinaire sur la notion de temps. Cf., Bruno Deshaies, «[Le passé devient notre présent» Charlesbourg, Société historique de Charlesbourg, 4 avril 2004.]
La didactique ne doit pas découler de la pédagogie avant tout mais d’abord de l’objet de l’histoire et de l’apprenant. Sur ce point essentiel de l’enseignement de l’histoire, l’historien Maurice Séguin soutient que «la haute histoire des phénomènes primordiaux est en définitive, pour ceux qui ne sont pas des professionnels de l’histoire, la seule histoire importante et irremplaçable» − soit le besoin de la grande histoire. Comment peut-on parvenir à comprendre le passage du temps et les transformations des sociétés? Construire un curriculum de l’histoire nationale, entre autres, exigera des responsables du programme de considérer l’acte pédagogique dans son intégralité.
PARTIE II
Les cinq dimensions de l’acte pédagogique
Leurs réflexions devront porter sur les cinq dimensions de l’acte pédagogique : 1. la dimension pédagogique (intercommunication maître élève) ; 2. la dimension des objets d’études (le contenu des apprentissages et la «matière» à enseigner) ; 3. La dimension scientifique (à la fois méthodologique et épistémologique) ; 4. la dimension psychologique (de l’intelligence et du processus d’objectivation) ; 5.la dimension des choix éducatifs sociaux (ou les finalités éducatives, autrement dit de «l’utilité de l’histoire»). Cf., Bruno Deshaies, «Les réformes en éducation…, une clé pour s’en sortir.» TRACES, vol. 50 (été 2012), 3 : 42-47. [Revue de la Société des professeurs d’histoire au Québec et aussi «Choix éducatifs et enseignement de l’histoire nationale.» (Minicolloque : «Historiens et histoires nationales.» ACFAS 1998. Université Laval, Québec. 11 mai 1998.)
Chaque dimension est importante mais aucune ne doit se substituer à la nature de la discipline historique. Partant, les dimensions 2 et 3 sont centrales parce qu’elles concernent directement l’apport de l’histoire comme mode de connaissance, de savoir et comme élément singulier de formation à l’autonomie de penser (selon le processus cognitif général analyse, critique, synthèse). [Cf., Bruno Deshaies, «L’enseignement de l’histoire au Québec. 11. Les choix éducatifs sociaux et l’acte pédagogique.» Dans Vigile.net, 4 mai 2000. http://www.archives.vigile.net/00-5/deshaies-14.html et une seconde version en 2006 : http://www.vigile.net/L-histoire-et-l-education-a-la]
Les engagements de la ministre Marie Malavoy
Depuis 50 ans, le débat recommence périodiquement sur l’enseignement de l’histoire et de l’histoire nationale. Quelle histoire ? Quelle histoire nationale ? Une vingt-cinquième ministre de l’Éducation, madame Marie Malavoy, préfère l'avis d'experts pro-question nationale». (Dans Le Soleil et La Presse, 4 septembre 2013.)
Le projet de transformation est maintenant en cours. Peut-on s’imaginer qu’un comité ministériel de conception et de promotion de l’histoire d’un nouveau curriculum sur l’enseignement de l’histoire du primaire à la fin du secondaire puisse y arriver en un aussi court laps de temps? Les bases d’un curriculum sont trop complexes pour que toute personne moindrement informée puisse accréditer un tel empressement. La conception d’un curriculum scolaire ne peut se comparer, par exemple, à la construction d’une automobile. Un nouveau modèle par année!
Tout ce que ne sous savons, c’est que l’avenir de ce programme repose sur les épaules de deux personnes. Voici ce que nous rapporte de Québec, Annie Mathieu, le 4 septembre dernier, dans le journal Le Soleil :
«Il s'agit du sociologue Jacques Beauchemin, qui est aussi président-directeur général par intérim de l'Office québécois de la langue française et sous-ministre associé au ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, et de l'historienne Nadia Fahmy-Eid, qui a enseigné à l'UQAM. Après avoir consulté les experts du milieu (Nov. 2013. 26 p.), ils devront rendre un rapport en décembre. Des projets-pilotes pourraient être menés dès l'automne 2014, a annoncé Mme Malavoy lundi.» (Voir la «Liste des ministres québécois de l’Éducation»).

Si les responsables de ce renouvellement de programmes sont sérieux, ils devront, à mon humble avis, considérer avec attention les cinq dimensions de l’acte pédagogique d’une manière globale. Ils pourraient aussi s’inspirer d’une réforme générale des années 1970-1980 où le réseau des écoles publiques du Québec (secteur français et anglais) ont vécu pour la première fois un enseignement commun des sciences humaines au primaire et des programmes de géographie, d’histoire et d’économique au secondaire. Cf., Bruno Deshaies, «[Souvenir d'une fin d'époque. Les sciences humaines au primaire : 1970-1980.»; «La situation de l'enseignement de l'histoire en 1975-1978.» http://www.rond-point.qc.ca/rond-point/didactique/civique-01.html ; «Une autre réforme, pourquoi faire? Projet de réforme du curriculum proposé par la ministre Pauline Marois.»
Les exigences du processus d’amélioration continue
Il ne faut pas négliger de reconnaitre que le curriculum fait partie du système scolaire avec tous ses aléas. Le MELS aura donc à assumer le suivi à court, moyen et long terme de cette révision de l’enseignement de l’histoire au Québec s’il veut faciliter sérieusement son implantation dans toutes les écoles du Québec. Le processus d’amélioration continue en vue de l’action commune n’est possible que si les agents de tout le réseau de l’éducation participent continuellement à son application tangible. (Cf., diapositive : «Amélioration en vue de l’action commune»).
Pour sa part, la ministre Marie Malavoy devra prendre sérieusement les choses en mains. La direction générale du Développement pédagogique et soutien aux élèves devrait avoir un mandat clair pour s’assurer du suivi de la révision des programmes d’enseignement de l’histoire. Le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE) aura la responsabilité d’orienter les programmes de formation des maîtres en histoire. En outre, la ministre Marie Malavoy devra convaincre les intervenants dans le système scolaire que cette révision sera durable.
D’autre part, le ministre Pierre Duchesne, de l’Enseignement supérieur, Recherche, Science et Technologie, devrait en faire autant pour l’enseignement et la recherche dédiée à l’histoire nationale du Québec. Il serait intéressant de connaître la place que les départements d’histoire de nos universités accordent à notre histoire nationale. Pour bien faire, le ministre pourrait proposer un programme gouvernemental spécial de recherches universitaires afin de stimuler la diffusion des recherches historiques sur l’histoire du Québec. À cet effet, il faudrait des engagements spéciaux par le gouvernement de Pauline Marois dans le prochain budget de son gouvernement.
Par ailleurs, les commissions scolaires auront une large part de responsabilités en vue de satisfaire les besoins des enseignantes et des enseignants dans leurs tâches d’enseignement de l’histoire. Une coordination du travail entre les écoles devrait favoriser une collaboration parmi les professeurs d’histoire afin de relever le défi des cinq dimensions de l’acte pédagogique.
Le rapiéçage par lequel les programmes existants seront révisés augure mal pour la place de l’histoire dans le curriculum de l’école québécoise. Il ne suffit pas d’inscrire un programme révisé d’histoire nationale dans un canevas éducatif tellement verbeux et désarticulé
pour croire que les irritants généraux du pédagogisme des programmes officiels actuels vont disparaître par enchantement.
Pourquoi enseigner l’histoire, si ce n’est que de comprendre les grands phénomènes d’ordre politique, économique, culturel ou social du passé humain d’une société afin d’en découvrir la courbe historique qui a marqué les répercussions les plus générales dans le temps sur les individus et la société en général. Il y aura alors un temps diachronique et un temps synchronique. Des pavés d’histoire qui se superposent, se cimentent et se créent progressivement. Le produit historique constitue, pour diverses raisons très variables (pas toutes nécessaires à la fois), une collectivité nationale qui est parvenue à se reconnaître distincte comme nation.
Un tel contenu historique mérite d’être l’une des bases, la plus précieuse, du curriculum tout en tenant compte des quatre autres dimensions de l’acte pédagogique.

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Bruno Deshaies209 articles

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BRUNO DESHAIES est né à Montréal. Il est marié et père de trois enfants. Il a demeuré à Québec de nombreuses années, puis il est revenu à Montréal en 2002. Il continue à publier sa chronique sur le site Internet Vigile.net. Il est un spécialiste de la pensée de Maurice Séguin. Vous trouverez son cours sur Les Normes (1961-1962) à l’adresse Internet qui suit : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-1-20 (N. B. Exceptionnellement, la numéro 5 est à l’adresse suivante : http://www.vigile.net/Les-Normes-en-histoire, la16 à l’adresse qui suit : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-15-20,18580 ) et les quatre chroniques supplémentaires : 21 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique 22 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19364 23 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19509 24 et fin http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19636 ainsi que son Histoire des deux Canadas (1961-62) : Le PREMIER CANADA http://www.vigile.net/Le-premier-Canada-1-5 et le DEUXIÈME CANADA : http://www.vigile.net/Le-deuxieme-Canada-1-29 et un supplément http://www.vigile.net/Le-Canada-actuel-30

REM. : Pour toutes les chroniques numérotées mentionnées supra ainsi : 1-20, 1-5 et 1-29, il suffit de modifier le chiffre 1 par un autre chiffre, par ex. 2, 3, 4, pour qu’elles deviennent 2-20 ou 3-5 ou 4-29, etc. selon le nombre de chroniques jusqu’à la limite de chaque série. Il est obligatoire d’effectuer le changement directement sur l’adresse qui se trouve dans la fenêtre où l’hyperlien apparaît dans l’Internet. Par exemple : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-1-20 Vous devez vous rendre d’abord à la première adresse dans l’Internet (1-20). Ensuite, dans la fenêtre d’adresse Internet, vous modifier directement le chiffre pour accéder à une autre chronique, ainsi http://www.vigile.net/Le-deuxieme-Canada-10-29 La chronique devient (10-29).

Vous pouvez aussi consulter une série de chroniques consacrée à l’enseignement de l’histoire au Québec. Il suffit de se rendre à l’INDEX 1999 à 2004 : http://www.archives.vigile.net/ds-deshaies/index2.html Voir dans liste les chroniques numérotées 90, 128, 130, 155, 158, 160, 176 à 188, 191, 192 et « Le passé devient notre présent » sur la page d’appel de l’INDEX des chroniques de Bruno Deshaies (col. de gauche).

Finalement, il y a une série intitulée « POSITION ». Voir les chroniques numérotées 101, 104, 108 À 111, 119, 132 à 135, 152, 154, 159, 161, 163, 166 et 167.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    29 novembre 2013

    Bravo monsieur Deshaies.
    Cet article, de votre longue série de plus de 400 réflexions portant sur l’indépendance du Québec, doit d’être lu et étudié d’abord par tous les prétendants à l’indépendance du Québec. Il mérite également une critique de la part des historiens qui connaissent la place de Maurice Séguin dans l’histoire du Québec. Je laisse à ces fins connaisseurs ce que signifie réellement ce que vous qualifiez de la haute histoire. Au passage, les pédagogues, les sociologues, les psychologues et tous les humanistes sont donc conviés à un débat de société fondé sur les fondements historiques du Québec. Je pense que cette réflexion mérite une publication très vaste dans nos médias tels que La Presse ou le Devoir, en espérant ainsi que nos enseignants du primaire et du secondaire participent activement à cette recherche de vérité. Le tout devrait être normalement coiffé par des états généraux portant sur autre chose que le port d’un voile. Je retiens particulièrement cette phrase fondamentale envers la protection de l’environnement que vous énoncez si judicieusement : « Ces dimensions doivent aussi être vues sous l’angle des rapports Homme, Nature et Société ».
    Claude André St-Pierre, Agronome