La tornade hérouxvilloise a laissé sur son passage la désolation intellectuelle. Entre l'ignorance des uns, le grotesque des autres, le mépris de certains, l'humiliation des faibles et la démagogie d'un trop grand nombre d'intervenants dans l'espace public, la société était en train de glisser sur une pente qui pouvait rapidement devenir vertigineuse. Le déferlement d'opinions plus ou moins délirantes, l'expression des préjugés nourris à l'auge de l'ignorance et de la peur, couple souvent indissociable, de même que le choc des complexes d'infériorité et de supériorité des urbains et des ruraux constituaient un bruit de fond infernal. Ajoutons à ce portrait l'absence, encore une fois inexplicable et intolérable, des intellectuels dans le débat.
Où étaient-ils ces dernières semaines? Probablement en sabbatique d'idées.
Il faut savoir gré à Louis Bernard, candidat défait à la direction du Parti québécois, à qui, souvenons-nous, les membres entichés de Boisclair reprochaient son intellectualisme et son manque de sex-appeal, d'avoir été le seul à prendre publiquement position en proposant une commission d'enquête sur toute cette question des accommodements raisonnables. Il faut maintenant s'incliner devant la sagesse du premier ministre Jean Charest d'avoir immédiatement donné suite à cette proposition en créant une commission d'étude. Il faut reconnaître le coup de maître du premier ministre d'avoir convaincu l'historien Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor de présider cette commission. La raison éclairera enfin le débat. Il était plus que temps.
Tragicomédie
Au cours des derniers jours, on avait bien perçu la gravité du ton du premier ministre devant les dérapages des élus d'Hérouxville et de certains commentateurs dans les médias. Entre les interdictions de lapidation d'une part et les accusations de crétinisme et de débilité d'autre part, on se dirigeait vers une tragicomédie dont les thèmes risquaient d'envenimer la campagne électorale. Jean Charest doit être remercié pour avoir protégé ainsi la campagne qui s'amorce. Malheur à celui qui voudra désormais faire du millage électoral avec ces matières explosives. Elles risquent de lui éclater à la figure. Cela ne signifie pas qu'il faille taire le malaise. Il doit plutôt être abordé sous l'angle des valeurs communes à notre société, et cela oblige aussi à mettre en lumière l'histoire qui nous a construits. La séparation de l'Église et de l'État, passage essentiel pour accéder à la modernité, ne dispense pas de faire oeuvre de mémoire. Les fondements de notre société reposent sur la culture judéo-chrétienne, et ce n'est pas d'hier qu'on sait qu'il faut rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu et à César ce qui appartient à César. N'oublions pas non plus que nous sommes les héritiers du siècle des Lumières, qui a promu l'usage de la raison pour combattre les ténèbres de la pensée meublée de superstition. Si Voltaire revenait sur Terre et assistait aux combats que des forces réactionnaires mènent actuellement en Occident au nom d'une conception séditieuse de la liberté, il se dirait sans doute que 300 ans n'ont pas suffi à faire triompher cette raison si chère à son coeur.
Soyons rassurés que cette commission d'étude sur les accommodements (on n'ose plus écrire «raisonnables») soit confiée à deux grands intellectuels aussi intègres que sages. Il faut de la hauteur de vue, du doigté, de la patience et du courage pour passer une année à écouter les doléances de tout un chacun. Il faudra du sang-froid pour entendre les propos extrêmes et aveuglés des uns, cela existe, n'est-ce pas, et les incohérences des autres. Que cela plaise ou non, il y a dans la population un sourd sentiment d'être dépossédé, bousculé, heurté. D'où la colère et la rage qui en font disjoncter certains.
La peur de l'autre, de l'étranger, est un sentiment universellement partagé. En ce sens, le racisme et le fanatisme religieux s'abreuvent à la même source.
Le conseiller d'Hérouxville l'ignore, mais il est plus près de l'islamiste qui prône la charia au Canada qu'il ne le croit. Cependant, la liberté dans laquelle se déploie le premier lui permettra davantage de changer d'idée que le second, qui est enfermé dans l'extrémisme religieux et pour qui la raison est le mal absolu.
Répétons-le: il est grand temps que ceux qui font profession de réfléchir soient mis à contribution. L'esprit a aussi besoin de nourriture intellectuelle, et ce n'est pas à travers les tribunes téléphoniques et les chroniques d'humeur où règnent les opinions, qu'on confond avec les idées, qu'on réussira à trouver l'équilibre, difficile à définir, convenons-en, entre les valeurs aussi fondamentales que majoritaires et les demandes de quelques personnes qui s'appuient sur des chartes laïques, beau paradoxe, pour défendre leurs exigences religieuses.
denbombardier@vidéotron.ca
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé