Le NPD et le Québec

Quand le soleil a rendez-vous avec la lune…

Élections fédérales - 2011 - le BQ et le Québec


Homme de gauche, j’ai un faible pour les chefs du NPD. J’aime leur combat incessant contre l’inégalité, pour les victimes, les oubliés, les méprisés. J’aimais en particulier David Lewis, le chef néo-démocrate de ma jeunesse, auteur, entre autre choses, de l’expression “corporate welfare bums” — les compagnies abonnées à l’aide de l’État.
C’est pour ainsi dire une peine de NPD qui m’a pris à la gorge, au Parlement fédéral, un jour de février 2000. J’allais témoigner au comité de la chambre qui étudiait la loi de Stéphane Dion selon laquelle, en cas de victoire du Oui lors d’un référendum au Québec, l’indépendance ne serait permise que si la majorité des députés canadiens jugeaient le niveau de victoire approprié et que si toutes les autres provinces canadiennes donnaient leur aval, sans exception. Une farce.

En arrivant, je vois que le successeur de Lewis, Ed Broadbent allait parler après moi. “Bonne journée pour les démocrates”, me suis-je dit. Broadbent, évidemment fédéraliste, était alors président de Droits et Démocratie (de la belle époque) et je me souvenais de la position courageuse prise en octobre 1970 par Tommy Douglas contre l’imposition de la loi des mesures de guerre.
Imaginez ma déception lorsque j’ai entendu Broadbent affirmer: “j’ai lu le projet de loi très soigneusement pour voir s’il risquait d’intimider les Québécois ou d’éroder leur démocratie. Je peux dire sans hésiter qu’à mon avis ce n’est pas le cas.”
En fait, il était très favorable à la loi C-20. Le Québec pourrait-il quitter le Canada avec un vote de 50% +1 ? Surtout pas :

Sur les 13 nouveaux pays créés à la suite d’un référendum depuis la Deuxième Guerre mondiale, durant l’ère post-coloniale, neuf avaient obtenu des votes favorables à plus de 95 p. 100; deux des votes favorables à plus de 90 p. 100, et les deux autres plus de 75 p. 100 de voix favorables. À mon avis, le premier ministre du Québec, M. Bouchard [alors premier ministre], serait bien avisé d’attendre le moment où il pourra s’attendre à des résultats de cet ordre.

L’homme du 75% + 1 ajoutait, pour faire bonne mesure, que les autochtones québécois devraient de surcroît avoir le droit de quitter le Québec, avec leur territoire, en cas d’indépendance.
Un électron libre, Broadbent ? Non. Les députés NPD ont ensuite voté pour la loi. Et Jack Layton ? Il avait émis des réserves. Il les ravala. Devenu chef du NPD, il affirma en décembre 2005 qu’il appuyait C-20, lui aussi. Et tu Jack ?
En 2006, par sa “déclaration de Sherbrooke“, le NPD de Layton accepte d’admettre la règle du 50% +1, ce qui est majeur, mais ne dit rien d’incompatible avec le reste des cadenas imposés par la loi Dion, adoptée par les députés NPD. Face au processus référendaire québécois, écrit-il,

“Il appartiendrait au gouvernement fédéral de déterminer son propre processus, dans l’esprit de l’Avis de la Cour suprême et du droit international, en réponse aux résultats du processus de consultation populaire interne au Québec.”*

Une longue série de rendez-vous manqués
Le NPD s’est toujours présenté comme le parti fédéral ouvert au Québec. Celui qui avait, dès les années 1960, appuyé le droit du Québec à l’autodétermination.
Pourtant, sauf pour l’extraordinaire rectitude de Tommy Douglas pendant la crise d’octobre, à contre-courant d’une opinion publique déchaînée, on trouve des néo-démocrates à chacune des étapes de la marginalisation du Québec.
Longs couteaux. C’est le procureur général néo-démocrate de Saskatchewan, Roy Romanow, qui fit équipe avec Jean Chrétien pour isoler le Québec lors de la fameuse “nuit des longs couteaux”, il y a bientôt 30 ans. Et pendant cette nuit où les 7 provinces alliées du Québec changeait de camp, ce n’est pas le premier ministre néo-démocrate Allan Blakeney (qui vient de mourir) qui exprima des doutes sur l’éthique de la manoeuvre, mais le conservateur albertain Peter Lougheed.

Et les députés néo-démocrates en chambre adoptèrent sans broncher la constitution de 1982 qui allait isoler le Québec et réduire son autonomie.
Meech. Lors de la tentative de réparation de Meech, en 1990, c’est le député néo-démocrate amérindien Elijah Harper qui symbolisa le refus de la majorité canadienne d’appuyer la notion de société distincte, et qui donna au Manitoba le prétexte pour ne pas ratifier l’accord, entrainant son échec.

Charlottetown. J’ai raconté dans “Le Naufrageur” comment le premier ministre néo-démocrate ontarien, Bob Rae, était un joueur-clé dans les négociations menant à l’accord de Charlottetown, en 1992. Rae s’était fait le défenseur des autochtones et avait réussi à faire insérer pour eux dans l’accord un niveau d’autonomie gouvernementale inespéré — en fait beaucoup plus vaste que ce qui était prévu pour le Québec.
Mais il s’était directement opposé à ce que le Québec obtienne une quelconque autonomie sur la culture ou que soit réduit l’ingérence fédérale dans les affaires québécoise. Chargé de la rédaction de certains éléments clés, c’est lui qui demandait à ce qu’on exclue des discussions le ministre québécois Gil Rémillard, qu’il jugeait trop revendicatif. Il préférait n’avoir affaire qu’au membre le plus mou de la délégation québécoise, Robert Bourassa. Brian Mulroney acquiesça et, dans une scène rocambolesque, plaqua littéralement Rémillard hors de la pièce. Rae était content.
Puis, lorsque la délégation québécoise contemplait son échec total et s’interrogeait sur la suite leur discussion était couverte par le son d’un piano. C’est Rae, excellent pianiste, qui jouait “Summertime” sur un piano à proximité.
Union sociale. J’ai croisé Row Romanow, en 1998-1999. Il était devenu premier ministre de Saskatchewan et, à ce titre, il présidait la conférence des premiers ministres provinciaux (qui ne s’appelait pas encore Conseil de la fédération).
Les provinces anglophones avaient convaincu Lucien Bouchard de faire front commun avec elles contre les tentatives d’intrusion fédérales dans les programmes sociaux, dont la santé. Elles avaient même accepté d’insérer dans leur position conjointe le droit du Québec de se retirer des futurs programmes fédéraux avec compensation.

Or c’est le néo-démocrate Romanow qui se fit le promoteur des positions de Jean Chrétien et de Stéphane Dion auprès des autres premiers ministres, jusqu’à faire en sorte que toutes les provinces tournent le dos à leur position commune, isolant le Québec.
Elles acceptaient plutôt de signer un document qui donnait spécifiquement le droit à Ottawa de s’ingérer dans les affaires provinciales et reconnaissaient, pour la première fois de l’histoire, le pouvoir fédéral de dépenser. Romanow était l’agent-double fédéral placé à la tête des provinces. C’était tout juste s’il ne s’en vantait pas.
Avait-il convaincu toutes les provinces de virer capot ? Non. Le premier ministre néo-démocrate de Colombie-britannique, Glen Clark, eut un remord. Il appela Bouchard pour lui dire que le texte fédéral était une grave atteinte aux droits des provinces. Bouchard acquiesca. Il lui demanda s’il y avait une autre province qui appuyait le Québec. Bouchard dit non. Clark ajouta que “dans ce cas, je ne pourrai pas t’appuyer”.
Le leader néo-démocrate était prêt à défendre un principe, mais pas seul avec un premier ministre québécois dûment élu, certes, défendant une position parfaitement conforme aux intérêts de Colombie-britannique, certes, mais… séparatiste.
À ce moment, exactement, Tommy Douglas se retourna dans sa tombe.
L’ancien chef libéral québécois Claude Ryan a commenté cet épisode comme suit:
« C’est la troisième fois, au cours des trente dernières années, qu’après s’être engagé dans une démarche commune avec les autres provinces et territoires, le Québec aura été lâché en cours de route par ses partenaires. »

Les trois fois, lors de ces trois lâchages, les empreintes digitales du NPD étaient clairement visibles.
Pourquoi je ne voterai pas Mulcair
Thomas Mulcair est député de ma circonscription fédérale. Nous avons des relations cordiales. Mais il sait que je ne voterai pas pour lui. Pas seulement parce que je l’ai vu, lorsqu’il était dans l’opposition libérale, au temps de Parizeau et de Bouchard, être extraordinairement vicieux en période de questions.

Mais aussi pour une conférence qu’il a donnée, en octobre 2005, pour les 10 ans du référendum. Un chef d’oeuvre. Toute sa présentation portait sur le cas des votes pour le Non rejetés par des scrutateurs zélés dans deux circonscriptions montréalaises en 1995.
Le fait que les protagonistes aient été exonérés de tout blâme par des juges fédéraux, deux fois, en appel, et qu’un juge anglophone respecté, Allan B. Gold, ait enquêté et rejeté tout soupçon envers le camp du Oui semblait avoir eu lieu dans un univers parallèle.
Un auditeur mal informé des faits aurait immanquablement conclu du captivant exposé de Mulcair que tout le camp du Oui s’était livré à une fraude massive dans tout le Québec.
Avait-il dit cela ? Absolument pas. Dans sa démonstration, aucune phrase, aucun mot n’était, à proprement parler, faux. Mais j’étais sidéré du fait qu’il réussisse à projeter chez l’auditeur la certitude de la culpabilité collective des séparatistes, en flirtant toujours avec le faux, sans jamais l’embrasser. Un virtuose de la mauvaise foi. Un homme dangereux.
(Remarquez, je ne voterai pas Martin Cauchon non plus, lui qui était ministre du gouvernement qui a inventé puis voté la loi Dion.)
Un bon Jack
Je ne vois rien de tel chez Jack. Mais je ne le vois pas non plus regretter ces épisodes. Pour lui, la nation québécoise, oui bien sûr elle existe. La mettre dans la constitution ? Pas dans l’avenir prévisible.
Alors, pourquoi ne pas simplement accepter que les salariés québécois assujettis au code du travail fédéral, puisqu’ils sont membres de même nation que leurs frères, soeurs et voisins, soient aussi bien protégés qu’eux par la loi 101 ? C’est Niet. Jack défend les prérogatives fédérales. La “nation” ne veut rien dire. Mais il nous aime.
“Vous nous aimez, vous nous aimez, vous nous aimez! Prouvez-le !” a répliqué Gilles Duceppe lors du débat. C’est trop demander.

Demain, Jack Premier ministre !

Rien ne me plairait plus, en tant que citoyen d’une nation voisine du Canada, que de voir Jack Layton, porté par les sondages, devenir chef de l’opposition du Canada. Je ne veux que du bien au Canada.
Rien ne me plairait plus, si Harper est minoritaire et qu’il perd l’appui de la chambre, que de voir le NPD former le gouvernement, en proposant peut-être certains postes ministériels à des figures libérales (tiens, au hasard, Bob Rae et Ujjal Dosanjh, deux ex-premiers ministres provinciaux NPD devenus libéraux !) et obtenant l’appui ponctuel du Bloc.
Mais pour y arriver, il faut que Harper reste minoritaire. Pour cela, il doit perdre quelques sièges au Québec. Pour cela, il faut que le parti le mieux placé, le Bloc, unisse le vote anti-Harper dans les comtés conservateurs.
Jack, fidèle à la tradition néo-démocrate, manquera-t-il aussi ce rendez-vous là ?
(* J’ai ajouté les infos sur la déclaration de Sherbrooke après la première version de ce billet, et j’ai corrigé ici et là, avec l’aide de plusieurs alertinternautes que je remercie.)

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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