La campagne électorale est à toutes fins utiles terminée. Ce week-end, les chefs de parti feront un dernier blitz avant de rentrer dans leur circonscription pour y attendre, non sans anxiété, le verdict des électeurs. Car, contrairement à ce qu'ils avaient imaginé au jour 1, ces élections modifieront l'échiquier politique canadien.
Chose plutôt inusitée, cette campagne n'a porté sur aucun grand enjeu de société. De paix et de guerre, il n'a pas été question. D'économie, tout juste pour dire que ce devrait être la préoccupation première des Canadiens. Du régime de santé public, à peine. De culture, pas du tout. Quant à l'environnement et aux gaz à effet de serre, qui furent l'enjeu principal des élections en 2008, ces sujets ont été complètement occultés.
Qu'il en ait été ainsi tient d'abord au fait que ces élections portaient avant tout sur la forme. Elles ont été voulues ainsi par les partis, forcés, faute de s'entendre, de soumettre à l'arbitrage des électeurs leurs différends sur le fonctionnement du Parlement et du gouvernement. À quelques heures du scrutin, ces électeurs demeurent toujours aussi incertains que lors des trois élections précédentes qui ont produit des gouvernements minoritaires.
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Un gouvernement majoritaire est ce que demandait le premier ministre Stephen Harper après avoir été défait aux Communes. Après cinq ans passés à la tête du gouvernement, il croyait ses concitoyens prêts à surmonter leurs réserves à son endroit. Loin s'en faut! Ce n'est toujours que le tiers de l'électorat, à peine un peu plus, qui s'apprête à voter pour les conservateurs. Les valeurs morales qui inspirent les politiques de ce gouvernement rebutent toujours la majorité des électeurs, qui n'acceptent pas la mesquinerie, l'arrogance et la partisanerie qui ont caractérisé son action, tout particulièrement ces derniers mois, où il s'est moqué du Parlement.
On peut aussi mesurer l'effet de ses politiques. Retenons un seul exemple, celui des relations internationales et de la défense. Le Canada, traditionnellement promoteur de la paix dans le monde, fait désormais partie du camp des faucons. Il se militarise, surinvestit dans des équipements militaires. Il défend sur la scène internationale des politiques comme la peine de mort et l'interdiction de l'avortement, qu'il sait que les Canadiens rejettent. L'ancien premier ministre Jean Chrétien a souligné avec raison cette semaine que le Canada n'est plus ce qu'il était voilà cinq ans.
En soi, un gouvernement majoritaire serait souhaitable, mais les conservateurs ne méritent pas notre confiance. Le système politique canadien est ainsi fait que le premier ministre Harper, s'il dispose de la majorité au Parlement, détiendra un pouvoir quasi absolu. Le risque serait grand qu'il en abuse. Il est probable que le Parti conservateur remportera lundi une pluralité de sièges suffisante pour demeurer au pouvoir. Gardons-nous de lui donner cette majorité qu'il souhaite. Il faut aux Communes une opposition forte qui l'obligera à gouverner avec modération.
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La présence des conservateurs au pouvoir est le résultat de la dispersion du vote d'opposition entre le Parti libéral, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois. Pour le moment, aucun d'entre eux ne peut obtenir la pluralité de sièges qui lui permettrait de diriger un gouvernement. On peut rêver de la formation d'un gouvernement de coalition libéral-néodémocrate dans les semaines ou les mois à venir. Il ne faut pas craindre une telle avenue. Elle est tout à fait conforme à la Constitution. Toutefois, il s'agit d'une solution improbable. On s'attendra plutôt à ce que le premier ministre Harper accepte le verdict des électeurs si ceux-ci lui demandent de coopérer désormais avec l'opposition.
Les électeurs jugent avec raison que ni les libéraux, ni les néodémocrates ne sont mûrs pour accéder au pouvoir. Le Parti libéral n'a pas retrouvé sa cohérence au plan des idées et sa cohésion au plan de son équipe. Son passé le hante toujours, particulièrement au Québec. Si son chef, Michael Ignatieff, est celui qui a eu la plus solide campagne, cela arrive trop tard.
La montée inattendue du NPD ces deux dernières semaines est pour sa part la manifestation claire du fait qu'un certain nombre d'électeurs sont à la recherche d'une solution de rechange au gouvernement conservateur, qui ne leur apparaît pas pouvoir émaner du Parti libéral. Cette volonté de changement peut être porteuse pour l'avenir, à la condition que le NPD prenne le temps de se préparer à gouverner. Son succès actuel s'appuie pour beaucoup sur la personnalité de son chef, Jack Layton, et sur son discours de progrès social. Mais ses politiques et ses promesses, aussi vagues que généreuses, sont le fait d'un parti qui s'est toujours vu comme un parti d'opposition. L'illustre bien l'admission qu'a dû faire Jack Layton quant à l'inadéquation de son projet de Bourse du carbone pour financer ses engagements électoraux.
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Au Québec, la campagne menée par Jack Layton est presque un sans-faute. On peut admirer l'habileté avec laquelle il a récupéré le thème de départ de la campagne du Bloc, «bloquer Harper», pour ensuite se présenter comme un substitut à ce parti pour être la voix du Québec à Ottawa. Que le NPD y fasse élire plusieurs députés est une bonne chose. Cela lui permettra de mieux comprendre les aspirations du Québec, car son intérêt subit pour la défense de ses intérêts demeure suspect. Sa relation avec le Québec a toujours été ambiguë et soulève des questions quant à la sincérité de ses engagements et à sa capacité de les tenir.
La très forte tentation des Québécois de rejoindre le NPD répond à une certaine lassitude de souverainistes et nationalistes de faire du sur-place. Peut-être aussi à leur désir, inconscient, de donner une seconde chance au fédéralisme sur le mode «allons voir si c'est possible». Car voter pour le NPD induit cela. Ne nous méprenons pas. Il n'est pas vrai que le NPD puisse défendre avec autant de vigueur les intérêts du Québec que le Bloc peut le faire. Il a raté par le passé de multiples occasions de le faire et il en sera de même pour l'avenir car, comme les autres partis fédéralistes, il lui faudra toujours composer avec la réaction du Canada anglais. À preuve, le discours de Jack Layton qui fait l'impasse sur une négociation pour réintégrer le Québec dans la Constitution. Nous sommes dans le domaine du «peut-être», sans plus.
La perspective du Bloc est différente. Elle consiste à s'appuyer sur les consensus qui s'élaborent à l'Assemblée nationale et à ne rendre de comptes qu'aux Québécois. Il est un parti souverainiste qui agit à l'intérieur du Canada, ce qui, aux yeux de certains, est une contradiction. Celle-ci n'est qu'apparente. Sa présence est de plein droit et il incarne dans l'enceinte parlementaire le caractère distinct du Québec. Certes, il a choisi d'oeuvrer dans l'opposition, mais ce travail, il le fait avec conviction et efficacité depuis 20 ans. Il a contribué à régler de nombreux dossiers et a influencé de nombreuses politiques de toute nature. Un exemple: qui mieux que lui peut aujourd'hui faire valoir le droit des travailleurs et de la direction du chantier naval de la Davie, à Lévis, à leur part des prochains contrats fédéraux de navires? On sait pouvoir compter sur sa loyauté. Elle est sans compromis. On doit lui rendre la pareille lundi.
Élections fédérales
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