Que cherchent exactement les EAU en combattant au Yémen?

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Où l'on comprend que la privatisation des infrastructures aux mains de grands groupes internationaux vassalise les États dans lesquels elles sont implantées

Le 14 mars, un avion de chasse émirati s’est écrasé dans une montagne près de la ville portuaire d’Aden. Les deux pilotes ont été tués, ce qui porte à 48 le nombre d’Émiratis tués au combat dans la guerre au Yémen qui dure depuis près d’un an.

La guerre a commencé quand les Houthis rebelles, ayant déjà pris la capitale Sanaa, se sont dirigés au sud et se sont emparés de la ville portuaire d’Aden contre l’avis de leurs bailleurs de fonds iraniens. Cela a suffi pour faire passer les Saoudiens et les Émiratis à l’action.

La guerre du Yémen a coûté cher aux EAU. En septembre dernier, 45 soldats émiratis ont été tués par une roquette lancée par les Houthis. Ce fut le pire jour dans l’histoire de l’armée du pays.

Les Saoudiens ont payé beaucoup plus, leurs pertes reconnues s’élevant à 300 soldats, même si le bilan réel serait beaucoup plus élevé, au moins 3 000, selon les confidences d’une source bien placée. Ils ont également subi des pertes civiles alors que des roquettes tirées depuis le Yémen pleuvaient sur les villes du Sud, Jizan et Najran.

Bien sûr, ce sont les Yéménites qui ont payé de loin le plus lourd tribut : plusieurs milliers de personnes ont été tuées et la plupart des infrastructures du pays sont détruites.

Cependant, une guerre qui a commencé comme une aventure militaire menée par le vice-prince héritier et ministre de la Défense Mohammed ben Salmane, le fils préféré du roi Salmane, revêt au moins une certaine importance stratégique pour les Saoudiens.

Un Yémen contrôlé par les rebelles houthis alliés avec l’ancien président Ali Abdallah Saleh allait trop loin. Saleh, qui a régné en despote sur un Yémen uni pendant 32 ans avant d’être renversé par les Saoudiens, est un renégat à leurs yeux. Et la pensée que leur ennemi régional, l’Iran, était prêt à s’établir dans la péninsule arabique, dans un pays que les Saoudiens ont toujours considéré comme guère plus qu’un État-client, était quelque chose qu’ils ne pouvaient tout simplement pas tolérer.

Mais les Émiratis ? Mis à part leur loyauté envers le Conseil de coopération du Golfe (CCG), il est difficile de comprendre pourquoi ils sont entrés en guerre… jusqu’à ce que vous commenciez à lever le voile de la propagande entourant l’opération « Tempête décisive ».

Les Émirats arabes unis entretiennent des relations commerciales de longue date avec l’Iran, lesquelles ont résisté à la révolution iranienne, aux sanctions et à l’opprobre saoudien. Ils ne considèrent pas vraiment l’Iran comme un tyran, contrairement à leurs voisins. D’où la dégradation diplomatique assez modeste – par opposition aux Saoudiens qui ont fermé leur ambassade à Téhéran après qu’elle a été mise à sac par des manifestants en colère suite à l’exécution d’un célèbre religieux chiite saoudien, le cheikh Nimr al-Nimr, en janvier.

Pendant longtemps, aussi, les Émiratis ont lorgné sur Aden. Ils le voient comme un prolongement naturel des installations portuaires de Dubaï, qui leur donne un accès facile à l’océan indien et une alternative au détroit d’Ormuz, lequel est difficilement partagé entre eux et les autres États du Golfe d’un côté et l’Iran de l’autre.

Ce sont les Émiratis qui ont dirigé un assaut amphibie sur Aden à l’été 2015, même après que les Américains avaient rejeté leur demande concernant l’aide des forces spéciales américaines. L’assaut fut un succès, l’une des rares victoires que la coalition saoudienne a assurées jusqu’ici. Elle a permis le retour de l’actuel président Abd Rabbo Mansour Hadi à Aden.

Mais depuis lors, il y a eu de nombreuses attaques meurtrières sur la ville à la fois du fait des Houthis et des forces de Saleh d’une part, et de Daech et al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) d’autre part. Bien que la coalition affirme qu’Aden a été libérée, la zone est tout sauf sûre et des troupes émiraties auraient été retirées du front, patrouillant dans les rues et à l’aéroport dans le but de minimiser les pertes.

Aden reste néanmoins une récompense qui en vaut le coup.

Auparavant, le géant DP World, opérateur portuaire basé à Dubaï, avait un accord avec Aden et l’ancien président Saleh, mais s’était retiré en 2012, lorsque son successeur Hadi a tenté d’en renégocier les conditions.

Cependant, en octobre dernier, DP World a dévoilé un plan visant à ressusciter l’accord : « Nous explorons les domaines où nous pouvons soutenir nos proches voisins dans leurs initiatives pour restaurer les infrastructures commerciales et marines critiques à Aden et sommes impatients de développer nos discussions dans un avenir proche », voilà comment l’a présenté le Sultan bin Sulayem, président de DP World.

Mais avant que cela puisse se produire, une sorte d’arrangement doit être négocié et celui préférable pour les Émirats arabes unis serait un retour en arrière – un Yémen divisé en deux comme il l’était avant 1990. Le sud, avec Aden qui retrouverait son statut de capitale, tomberait dans la sphère émiratie. Le nord, une fois le problème posé par les Houthis et Saleh réglé, serait sous la domination saoudienne.

Cependant, un tel résultat reste très peu probable, compte tenu notamment de la force d’AQPA qui a tranquillement pris le contrôle de la province méridionale de l’Hadramaout, riche en pétrole, ville par ville, de concert avec les tribus locales. De même, Daech reste une menace persistante et puissante, et les Houthis et Saleh ne s’effaceront pas tranquillement, ni n’accepteront une quelconque partition du pays.

Les Émiratis sont donc dans l’impasse. Comme tant d’autres avant eux, ils sont entrés en guerre sans stratégie de sortie. Et tandis qu’ils examinent ce que ça leur coûte, ils doivent penser à la façon et au moment d’arrêter leurs pertes.


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