Qui a peur de Marc Bellemare?

Chronique de Louis Lapointe

Parmi les problèmes de la commission Bastarache, il y a le fait que les procureurs des participants que nous avons entendus pensent et posent des questions en bons libéraux. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Me Marc Bellemare avoue avoir nommé des amis du parti libéral à la suite de pression du bureau du premier ministre, Jean Charest, et d’un influent collecteur de fonds du PLQ, Franco Fava. Un avocat libéral aura aussitôt le réflexe de démontrer qu'il n'y a pas eu malversation, alors qu'un avocat péquiste aurait plutôt remarqué que Me Bellemare n’avait nommé que des libéraux dans tous les cas qu’il a cités, sauf une exception.

Qu’ont en commun Michel Simard, Line Gosselin-Després, Marc Bisson, Guy Gagnon et Suzanne Vadeboncoeur? Tous des libéraux. La juge Vadeboncoeur vient d’une famille libérale où la seule exception était son oncle, Pierre Vadeboncoeur, le mouton noir de la famille, comme elle disait. Elle n’a jamais caché le fait qu’elle était libérale. Il en est de même pour le juge Guy Gagnon, maintenant à la Cour d’appel du Québec, un ancien organisateur libéral de la région d’Amos, deux juges dont Marc Bellemare a reconnu la compétence. Seule exception, la juge Carole Brosseau. Contrairement à la juge Vadeboncoeur, je ne lui connais pas officiellement d'allégeance politique.

Donc, si je suis procureur et que je pense en péquiste plutôt qu’en libéral, au lieu de vouloir démontrer que Me Bellemare ment lorsqu’il dit qu’il a subi des pressions dans le cas de trois juges, je lui demande plutôt ce qu’ont en commun la majorité des juges qu’il a nommés.

Si j'étais un procureur péquiste plaidant devant la commission Bastarache, de mon angle, je verrais donc un ministre libéral qui a nommé beaucoup de libéraux notoires. À son avis, des bons et des moins bons, la juge Brosseau étant, bien entendu, l'exception qui rend le processus crédible, celle qui est à la fois compétente et apolitique.

Et si j’étais un procureur péquiste, je voudrais savoir pourquoi Me Marc Bellemare a nommé majoritairement des libéraux ? Je voudrais également savoir, si, lorsqu’il a nommé ces libéraux, il y avait de bons candidats qui étaient aussi bons et peut-être même meilleurs que les libéraux qu’il a nommés. Je voudrais prouver que ces trois nominations évoquées par Marc Bellemare étaient plus que des cas d'espèce, plutôt des éléments d'un système de nominations beaucoup plus large qui déborde la période où Marc Bellemare a été ministre de la Justice.

Mais comme tous les procureurs qui représentent les participants sont des avocats qui pensent en libéraux, soit parce qu’ils sont des libéraux, soit parce qu’ils viennent d’un cabinet libéral, ils ne voient que la paille dans l’œil de Me Marc Bellemare, pas la poutre, celle que moi je vois parce que je ne suis pas dans le camp politique libéral.

Contrairement à ce que nos bons analystes politiques proclament haut et fort, il est évident que les participants et leurs procureurs invités à la commission Bastarache n’ont pas l’intention de démolir le témoignage de Me Marc Bellemare. Pas parce qu’ils ne le peuvent pas, mais bien parce qu’ils ne le veulent pas, puisqu’ils risqueraient, par le fait même, de démontrer que, lorsque les libéraux sont au pouvoir, ils nomment majoritairement des juges libéraux, pas toujours les meilleurs sur les courtes listes! Ils ne veulent surtout pas contribuer à faire la preuve d'un système organisé de nominations politiques qui favorise des libéraux.

***

Prochaine chronique et suite: Dénégationnisme à la commission Bastarache

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 septembre 2010

    Vous écrivez :
    «...il est évident que les participants et leurs procureurs invités à la commission Bastarache n’ont pas l’intention de démolir le témoignage de Me Marc Bellemare. Pas parce qu’ils ne le peuvent pas, mais bien parce qu’ils ne le veulent pas,...»
    Oui, ils le peuvent par dépit, parce qu'ils ne trouvent rien. Aujourd'hui, 1er septembre 2010, à la sortie de la salle d'audience, l'avocat du parti libéral a démoli le témoignage de M. Bellemare. C'est du mépris envers la commission d'enquête et le système judiciaire.
    Que vont-ils faire maintenant les brillants procureurs de notre Tartuffe en colère ? Après Bellemare, Bastarache ?

  • Archives de Vigile Répondre

    1 septembre 2010

    Entièrement d’accord avec le contenu de votre billet.
    Il est dommage d’ailleurs que les médias fassent de cette commission un vulgaire combat de coq entre Marc Bellemare et Jean Charest.
    En ce qui me concerne, ce que je comprends des déclarations de Me Bellemare, c’est ceci : J’ai participé à un système partisan de nomination, je m’y suis également opposé. Je vous raconte comment le système de nomination fonctionne et quelles sont les influences que j’ai subies. Mon chef et moi sommes tous deux coupables. Sauf que dans mon cas, j’ai décidé que cela suffisait pour des motifs variables dont on peut contester la valeur ou pas. Jean Charest peut continuer à mentir s’il le désire, mais qu’il en assume les conséquences. Et, si vous m’écoutez bien, je suis présentement devant la mauvaise commission. Heureusement, je peux m’en servir pour le rappeler. Je ris parfois en pensant aux efforts fait par Jean Charest est ses alliés pour se tirer une balle dans le pied. En passant, je salue le peuple du Québec qui est moins crétin que certains libéraux ne le croient.