Richard Henry Bain, activiste politique ou tireur fou?

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Partout ailleurs dans le monde, Bain serait considéré comme un terroriste et jugé comme tel

La publication de mon dernier article à propos des tensions linguistiques inévitables au Québec a donné lieu à certains commentaires pertinents quant à mon appréciation des funestes événements causés par Richard Henry Bain.
Dans quelques jours, dans les inévitables topos sur la rentrée scolaire, on jasera aussi du premier anniversaire de l'élection du gouvernement de Pauline Marois. Ce jour - un grand jour dans l'histoire du Québec, celui, enfin, de l'accession d'une femme au poste de première ministre - restera à jamais assombri par l'attentat du Métropolis.
J'en viens donc à certains des commentaires qui me reprochaient de caractériser cet acte d'«attentat politique» commis par un «activiste politique». J'ai évité l'emploi du mot «terroriste», bien que j'ai croisé ce mot lors de mes lectures sur les événements du Métropolis.
Richard Henry Bain: fou, loup solitaire, activiste politique, terroriste? Il est tout à fait légitime de se poser la question. Le tireur n'a toujours pas été condamné, il s'est ri du processus judiciaire, a tenté de virer au cirque son propre procès, a réussi à se saisir des ondes pour tenter d'expliquer son geste, bref, on est loin d'un fou incohérent ici.
Les faits
Un fait reste indéniable : Richard Henry Bain a manifestement planifié son geste en fonction d'un endroit bien précis, le Métropolis, lieu de rassemblement de la soirée électorale du Parti québécois où tous savaient que Pauline Marois ferait son discours postélectoral. Au moment où le tireur fait irruption dans la cour arrière de la salle de spectacle, Pauline Marois est nommée première ministre du Québec. C'est le retour, modeste, des souverainistes au pouvoir. Par son geste, Bain s'attaque à la fois aux souverainistes, mais aussi à une femme. Le destin aura voulu qu'il ne se rende pas jusqu'à l'estrade, mais qu'il abatte plutôt Denis Blanchette, technicien de scène, et blesse Dave Courage.
Lors de son arrestation, Richard Henry Bain se fait arrogant, défiant, scandant ces quelques mots qui ont tout d'un manifeste politique : « The English are waking up! The English are waking up! ». D'ailleurs, le tireur, lors de ses quelques apparitions en cour, aura tenté de faire de son procès, un « procès politique », ce à quoi les autorités ont répondu par le silence d'une ordonnance de non-publication mur à mur. On peut se féliciter d'avoir empêché de politiser encore plus son attentat.
L'activisme politique
Le wiki sur l'activisme politique est assez révélateur si on l'applique aux gestes de Bain. Voici ce qu'on peut y lire:
«L'activisme désigne un engagement politique privilégiant l'action directe. C'est une forme de militantisme dont l'une des modalités peut être de braver la loi, s'agissant d'actions qui peuvent être considérées comme violentes;
L'activisme politique est la forme d'action politique utilisée lorsque l'usage des moyens politiques légaux est impossible ou paraît impossible à certains individus ou groupes militants. C'est l'usage de dernier recours;
L'usage de l'activisme peut ainsi rentrer dans une stratégie politique précise, notamment compte tenu du poids des médias et de l'opinion publique;
L'activisme politique actuel vise rarement à parvenir à une situation insurrectionnelle globale mais le plus souvent à l'emporter sur des sujets de société bien précis;
L'activisme politique est également considéré comme la manifestation d'un malaise de la vie démocratique dans la mesure où celle-ci doit permettre l'expression légale des différents courants de pensée.»

S'il est en effet périlleux d'analyser l'attentat de Richard Henry Bain en fonction de tous les principes ci-dessus, on peut tout au moins dire que certaines des affirmations du wiki s'appliquent à l'analyse des faits. Le tueur a admis lui-même qu'il se trouvait devant une situation sans issue, que la minorité anglophone du Québec se trouvait attaquée, etc.
Un assassinat politique?
«L'assassinat politique est l'action de tuer une personnalité politique ciblée. Elle se distingue d'un meurtre ordinaire par les enjeux de pouvoir et/ou idéologiques qui la caractérisent. »
Il va sans dire que le fait de viser la première ministre du Québec avait tout de la définition de l'assassinat politique.
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Le traitement médiatique de l'affaire a de quoi surprendre. On a beaucoup évité de faire usage de termes à connotation politique. Le plus souvent, on s'est borné à dire que Richard Henry Bain était un tireur fou, on a bien voulu admettre qu'il visait la première ministre, mais on a enterré le plus rapidement possible les analyses qui sous-tendent la tentative d'assassinat politique ou l'activisme politique d'une minorité anglophone qui se radicalise et qui n'hésite pas à recourir à des images ou un vocabulaire méprisants, violents pour porter atteinte à la première ministre et aux nationalistes en général.
L'attentat politique de Richard Henry Bain participe et est fortement lié à cette radicalisation, qu'on l'admette ou non. J'ai fait état ici de nombreux groupes Facebook qui se servent de la rhétorique de la haine contre Mme Marois et les souverainistes. Et que dire de rassemblements comme celui-ci:
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Au cours des dernières années, la violence contre Mme Marois, à titre de première ministre ou de chef de l'opposition a été trop souvent banalisée. Or, cette banalisation se traduit inévitablement par un crescendo de ce qui est perçu comme « acceptable » dans certains milieux. Ainsi, faire un rapprochement entre la première ministre et Hitler au moyen d'une caricature a semblé acceptable pour les détracteurs du PQ dans certaines stations de radiopoubelle.
On notera que les nationalistes québécois ne sont pas les seuls à faire les frais de cette banalisation de la violence, comme en témoigne la croisade pour l'éradication des droits des Franco-Ontariens menée par l'activiste politique Howard Galganov, en Ontario.
Les mots de la fin
Si certains ont été frileux dans les médias quand venait le temps d'appeler un chat un chat, le célèbre chroniqueur judiciaire Claude «10-4» Poirier, lui, n'a pas eu froid aux yeux.
M. Poirier ne va pas jusqu'à employer le mot «terroriste» pour caractériser l'auteur présumé de l'attentat, mais peu s'en faut.
«Ce n' est pas un fait divers ça! C'est une attaque contre une politicienne, la première femme à avoir le titre de première ministre du Québec, Mme Pauline Marois», a fait savoir l'animateur de LCN, avec le débit qu'on lui connaît, jeudi, à son émission Le Négociateur.
«C'est aussi simple que ça. On va arrêter de jouer avec les mots», a lancé M. Poirier à l'endroit de la Sûreté du Québec. Rapportant, dans la même veine, les déclarations de certaines personnes qui se sont confiées à lui, l'animateur a également soutenu que le tireur fou aurait l'habitude de dire qu'il «déteste les Québécois qui s'expriment en français».
Quant à la question de savoir s'il s'agissait d'un attentat terroriste, rappelons l'intervention fort pertinente du journaliste Lamine Fourra quelques jours après l'attentat. Ce dernier s'étonnait des termes qu'on utilisait dans les médias québécois pour traiter de la question:
«J'ai suivi les médias depuis hier soir. À aucun moment, le mot Terrorisme ou présumé Terroriste n'a été prononcé par aucun média. À tous les journalistes qui, à chaque fois qu'un musulman commet un acte de violence politique, appellent ça terrorisme et considèrent l'acteur comme présumé terroriste je vous dis J'ACCUSE.
Si un acte aussi violent, aussi horrible que de tirer sur la foule dans un rassemblement politique et de tuer un innocent en visant la première ministre du Québec fraîchement élue, n'est pas un acte de terrorisme, alors SVP mesdames messieurs les journalistes, donnez-nous clairement votre définition du terrorisme.
Car, aujourd'hui, je peux me permettre sans hésitation de conclure que pour vous le Terrorisme ne peut être que musulman.»


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