Rivalités entre grandes villes wallonnes

Chronique de José Fontaine

Parler de la Wallonie implique de parler de ses villes. Or, ces villes ont, justement, fait parler d’elles cette semaine. Le jury européen qui doit proposer les villes candidates au titre de « capitale européenne de la culture » (deux par an) pour 2015, a entériné ce mercredi la candidature de la ville de Mons qui, à l’ouest de la Wallonie, est la ville la plus proche de la France et la ville qui polarise la vieille région du Borinage, un ancien bassin minier aujourd’hui relativement désertifié et qui a été à travers le film Misère au Borinage, à la fois emblématique de la Wallonie ouvrière et de l’exploitation de la classe ouvrière. L’une des plus féroces exploitations de tout le monde industriel selon Martin Conway, auteur anglais (mais apprécié chez nous et parlant parfaitement le français), d’un ouvrage qui fait autorité sur la collaboration en Wallonie en 1940-1944, Degrelle. Les années de collaboration, Labor, Bruxelles, 2005. Cette désignation a bien des chances de se confirmer et cela signifie pour la ville un coup de fouet à son développement. Or il est indéniable que Mons est au centre d’un riche concentré culturel et patrimonial en Wallonie (la Collégiale Sainte Waudru, la Grand-Place de Mons, l'Ecole d'interprètes, l'université, les ascenseurs anciens du Canal du Centre et les nouveaux - deux prouesses technologiques: la première fait partie du Patrimoine mondial-, Binche, son carnaval inscrit au patrimoine mondial immatériel et son riche musée du masque, le musée des arts contemporains installé dans le site unique au monde du Grand Hornu, le fabuleux projet du Mundaneum, des théâtres, festivals de cinéma, de musique etc.). Des artistes liégeois, y compris Marie Gillain, avaient provoqué un référendum pour opposer à la candidature de Mons celle de Liège, la plus grande agglomération de Wallonie (6 à 700.000 habitants contre 200.000 à Mons) et certainement la ville la plus importante de Wallonie (y compris sur le plan culturel). Mais le bourgmestre de Liège n’avait pas soutenu l’initiative (qui a fait long feu), lié qu’il est à des accords entre villes wallonnes sur plusieurs questions. Et notamment, celui qui date de 1978 et qui partage entre les quatre grandes villes wallonnes la fonction de « capitale wallonne » (le culturel à Mons, l’économique à Liège, le social à Charleroi, le politique à Namur siège du gouvernement et du parlement).

Précisément, cette semaine vient de surgir une querelle entre Charleroi (de 4 à 500.000 habitants) et Namur (plus de 100.000 et en pleine expansion), sur la question de savoir qui abritera la future Ecole d’administration publique wallonne. Charleroi, quoique deuxième ville wallonne, n’étant pas chef-lieu de province (ce qui a longtemps compté dans la Belgique unitaire), n’héberge ni université, ni lieux de pouvoirs liés à l’administration provinciale ou au pouvoir judiciaire par exemple. Contrairement aux trois autres villes qui sont aussi des capitales provinciales. Elle est donc la parente pauvre des villes wallonnes. Même si son aéroport est le deuxième du pays, elle veut abriter cette Ecole. Le bourgmestre de Namur, évoquant peu fraternellement les scandales qui ont secoué Charleroi ces dernières années, estime que l'Ecole d’administration publique pâtirait de la mauvaise image de Charleroi en raison de ces scandales, et la réclame pour Namur. Ce bourgmestre, Jacques Etienne, a fait part récemment de sa conviction que la Flandre et la Wallonie devaient se séparer (1). Charleroi rêve depuis des décennies d’accueillir des facultés universitaires qui dynamiseraient son développement et contribueraient à améliorer son image de marque. Certains militants wallons, pas nécessairement de Charleroi, soutiennent cette idée, insistant sur le fait que si Liège et Charleroi n’accordent pas leurs violons, la Wallonie n’aura plus son centre en elle-même, mais à Bruxelles, une menace pour sa jeune autonomie politique d’entité souveraine.
Braudel a écrit que toute nation est divisée et vit de l’être…
(1) Notamment parce que l'Etat fédéral semble incapable d'aider les communes à organiser et financer leur corps de pompiers, ce que la récente catastrophe de Liège (une explosion de gaz qui a fait 14 morts: les corps devant être dégagés des gravats, une jeune fille a pu l'être), a mis en lumière en dépit de l'efficacité des pompiers liégeois et de leur courage: Jacques Etienne sur le divorce belge

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    13 février 2010

    Pour ce qui est de Jacques Rogge, je ne sais pas répondre. On pourrait supposer (supposer!), qu'étant un Flamand, Rogge ne se préoccupe guère du rayonnement de la langue française. Mais je n'en sais rien parce que ce n'est pas toujours vrai. Et par ailleurs, les Wallons - très rares il est vrai sinon même inexistants il ne faut jamais oublier que nous sommes minoritaires dans l'Etat belge - qui ont des postes semblables me semblent parfois aussi timides à l'égard du français. Je comprends ce que dit djpd, c'est évident que Liège a une importance bien plus grande que Mons, notamment sur le plan culturel. Mais je suis sûr qu'existent aussi des accords politiques, parfois publiés urbi et orbi, parfois plus subtils. Il me semble par ailleurs que Mons méritait d'avoir sa chance. Je n'ai fait qu'énumérer quelques aspects de son très riche patrimoine. Ce que je regretterais, c'est que les responsables ne profitent pas de l'événement pour montrer tout ce par quoi cette ville et sa région en valent vraiment la peine, mais cela suppose beaucoup de coopération entre de très nombreuses villes, des moyens pour mettre en réseau toute cette région qui fut au coeur de la Révolution industrielle avant infiniment d'autres régions dans le monde (pas en Wallonie, cela s'équivaut), à la pointe aussi des combats ouvriers. Le film Misère au Borinage, c'est loin d'être un hasard.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 février 2010

    On peut se poser la question de savoir siles raisons de la non candidature de liège contre celle de Mons sont uniquement celles annoncées dans l' article et si le rapport de force au sein du ps entre les deux mayeurs n'a pas été déterminant; Liège est en effet la capitale historique de la Wallonie. Non seulement son évêché recouvrait l'ensemble de la Wallonie wallonne, mais elle fût également pendant huit siècles la capitale d'un état indépendant, honneur que ne connût pas ses rivales.Elle en porte encore la marque;
    Avec le recul,on pourrait se poser la question de l'opportunitéde ces capitales multiples, tout en reconnaissant les avantages des décentralisations. C'est que, dans les faits,beaucoup de ces villes, Mons en tête, regardent bien davantage vers Bruxelles que vers les autres villes wallonnes. On privilégie les axes radiaux vers BXL au détriment de l'axe transversal wallon. Mais, ce n'est pas vraiment nouveau.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 février 2010

    Pourriez-vous nous parler de Jacques Rogge? J'ai l'impression qu'il a un gros problème avec le français?
    Il parle toujours anglais, or son anglais est moins bon que son français. S'il préfère l'anglais c'est donc pour des raisons autres, des raisons "belges"....