Au Canada, il y a un engouement pour l’exportation du pétrole de l’Alberta. C’était clair à la réunion du Conseil de la fédération. Ce l’est aussi chez les principaux partis fédéralistes pour qui le transport vers l’est et l’ouest est un incontournable depuis que l’accès au sud est bloqué.
Au Québec, si le premier ministre évoque maintenant l’environnement et des retombées économiques, le peuple québécois préfère les énergies renouvelables, dont l’électricité, et, d’ici le remplacement du pétrole, mise sur le recours aux sources locales, car moins polluantes.
Parce que le transport du pétrole vers l’est se fera au Québec par pipelines, trains et bateaux, il importe de cerner les enjeux, question de valider si cet engouement rejoint les besoins du Québec et les intérêts du peuple québécois.
Rappelons d’abord que c’est par bateaux sur le Saint-Laurent que le pétrole arriva au Canada, favorisant l’implantation de raffineries à l’est de Montréal. En 1940, craignant des charges allemandes, leurs propriétaires ont financé un pipeline entre Portland et Montréal, puis deux autres en 1950 et 1965.
Parallèlement, en 1957, des producteurs indépendants de l’Alberta promeuvent un pipeline en direction de Montréal puis changent d’avis lorsque s’ouvre le marché américain. C’est alors que le gouvernement Diefenbaker crée la ligne Borden séparant par la rivière Outaouais les activités de l’ouest, plus couteuses, de celles de Montréal.
En 1976, le prix du pétrole étant en hausse, un pipeline est construit pour acheminer celui de l’ouest vers l’Ontario et le Québec. Les prix, en baisse, en 1998, on l’inverse ; en 2012, de nouveau en hausse, Enbridge projette de l’inverser de nouveau pour alimenter North Westover et Montréal en pétrole albertain.
Avant leurs chutes en 2014, les multinationales sises en Alberta cherchaient des débouchés. Le véto du président Obama les obligea à cibler les extrémités du Canada. À l’ouest, malgré les attentes du gouvernement de la Colombie-Britannique, le gouvernement canadien, de qui relève la décision finale, peut donner son aval. À l’est, c’est plus diffus. Les deux pipelines sont en gestation et la position du Québec est à venir.
L’un de ces projets, celui d’Enbridge, entend alimenter les raffineries de Montréal et de Lévis, faisant alors contrepoids au pipeline Portland-Montréal et au transport par bateau vers Lévis. L’autre, de TransCanada, vise à transporter le pétrole de l’ouest de Hardisty jusqu’à Saint-John, ce qui nécessitera de construire un pipeline entre Montréal et l’est du Québec, avec possiblement un terminal pour bateaux, puis jusqu’à Saint-John en Nouvelle-Écosse.
À ces projets s’ajoute des acheminements par wagons, l’un de Montréal à Sorel, l’autre de Montréal à Belledune, les deux traversant plusieurs villes du Québec. Puis, au premier, s’ajoutera le transport par bateau à partir de Sorel et, au second, à partir du terminal à localiser sur le territoire du Québec.
Ces modes de transport (pipelines, trains et bateaux) feront du Québec un territoire transitoire vers le marché mondial du pétrole. Par ailleurs, au moment où le marché du pétrole est tenu en baisse par l’OPEP, l’inversion du pipeline 9 acheminerait un pétrole pour lequel Suncor et Ultramar ne sont équipées pour le traiter s’il n’est pas pré-raffiné.
Cela étant, à l’est de le la rivière Outaouais, l’engouement canadien surprend. Même plus, dirais-je, alors que l’OPEP, dont le leader est l’Arabie saoudite, entend maintenir le coût du baril en-deçà de 75$, ce qui rend déficitaire l’exploitation des sables bitumineux à court et moyen terme.
Alors pourquoi cet engouement ? J’ai cherché et n’ai trouvé, pour explication, que les débouchés à l’ouest et à l’est offriraient aux multinationales localisées en Alberta l’accès aux marchés du pétrole « sur papier » de NYMEX (New York) et de IPE (Londres), ce qui nécessite la présence de leurs produits à proximité des mers pour trouver preneurs.
Avec ces projets au Québec, on est donc très loin de la viabilité des producteurs indépendants de l’Alberta et de l’accès, pour l’ouest, au pétrole lorsque le prix mondial était en baisse. En fait, par ces projets, des multinationales veulent se positionner pour tirer avantage du marché mondial et bénéficier de l’augmentation éventuelle de la demande.
Pour le Québec, s’y associer ne présente aucun intérêt. Les bas coûts actuels assurent les activités de ses raffineries. Le transport par pipelines, trains et bateaux déborde d’inconvénients. Et le permettre, en plus de supporter l’exploitation des sables bitumineux productrice de GES et néfastes à l’environnement, contribuerait au profit de multinationales en lutte contre les énergies renouvelables.
Quand on prend en compte ces points, pour le Québec, ce pétrole est inutile, son parcours, dommageable et sa présence, contraire à ses engagements de lutte aux GES. Dès lors, s’associer à ces projets va à l’encontre de ses intérêts qui sont d’accélérer son virage vers les énergies renouvelables, notamment l’électricité dont il est un chef de file au Canada.
Pour ce virage, il dispose de surplus en électricité qu’il peut utiliser dans le transport collectif, urbain comme interurbain et promouvoir l’achat d’autos alimentées par bornes tout en favorisant l’accès au soleil et à la chaleur de la terre pour le chauffage, tous des choix en faveur du développement d’ici une quinzaine d’années une alternative au pétrole.
Somme toute, s’associer à ces projets serait une erreur historique, ce qu’a compris le président Obama. Aussi est-il tout autant surprenant que la position du gouvernement Couillard demeure ambiguë face à l’engouement canadien tout comme sa tiédeur quant au développement des énergies renouvelables alors que l’intérêt du peuple québécois est de stopper ces projets et de miser sur les énergies renouvelables, reconnues celles de l’avenir.
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6 commentaires
Archives de Vigile Répondre
7 novembre 2015Je pense qu'il faut publiciser deux problèmes que nous apportera forcément le pétrole des sables bitumineux.
1) La transformation du pétrole crée des montagnes de coke toxique. La démonstration se trouve tout près, à Détroit. Une montagne de coke venant des raffineries traitant ce pétrole est en train de s'accumuler dans le port de Détroit et personne ne sait comment en disposer. Voir "http://www.nytimes.com/2013/05/18/business/energy-environment/mountain-of-petroleum-coke-from-oil-sands-rises-in-detroit.html?_r=0" ou bien sur Google, rechercher "Refining Alberta tar sand petroleum in Detroit".
2) Il s'agit d'un pétrole lourd qui ne flotte pas sur l'eau mais qui coule au fond. Alors comment allons nous faire le nettoyage du fleuve ou de nos plans d'eau après les déversements?
Nous n'avons ni le savoir-faire ni le budget au Québec pour manipuler ce type te pétrole.
A mon avis, la solution la plus simple et la plus rentable est que l'Alberta développe un complexe pétro-chimique capable de transformer ce pétrole en produits à haute valeur ajoutée comme les plastiques et autre composés organiques. Ces produits sont plus faciles à transporter. Les résidus sont ensuite enfouis dans les mines d'où ils proviennent.
En fait je vois le pétrole comme un matériau précieux, plein de composés organiques assemblés au cours des millénaires et il y a mieux à faire avec le pétrole que le bruler selon moi.
Archives de Vigile Répondre
6 novembre 2015À la question posée par monsieur Cloutier, ma réponse est la suivante : ce pétrole est hautement polluant lors de l'extraction et son acheminement vers l'Atlantique par le Québec est générateur de risques majeurs, car il se fera par pipeline et se fait déjà par wagons et bateaux.
L'intérêt du pipeline Énergie-Est est nul. Quant à l'usage de bateaux et de wagons pour celui d'Enbridge, dont l'intérêt est aussi nul, le Québec, qui n'est pas propriétaires des rails et du fleuve, peut refuser son entrée, aussi règlementer et tarifer l'usage tant que l'extraction de ce pétrole demeure ce qu'elle est.
Si elle se bonifie, il faudra voir avant de s'y intéresser. Actuellement, comme elle est hautement polluante seul un refus catégorique s'impose pour les pipelines comme s'imposent des exigences sur la responsabilité des compagnies de transport maritime et ferroviaire en cas de déversement d'ici à ce que le Québec soit pays, ce qui le placerait en position pour contrôler le passage de ces compagnies.
S'agissant du financement des énergies nouvelles au Québec, il me semble qu'il serait plus responsable de trouver une façon autre que de s'associer, pour y arriver, à une production jugée des plus polluantes au monde.
Ce n'est pas une question de bons voisinages. C'en est une de mauvais voisinages. Quand le voisin participera à la baisse plutôt qu'à la hausse des GES, une autre attitude serait possible. Avant de l'imaginer, il faut plutôt comment prendre le virage des énergies nouvelles et miser sur l'électricité.
Gilles Verrier Répondre
6 novembre 2015Sur le plan de la communication, c'est gagnant pour Obama de dire que le pipeline est rejeté pour des raisons écologiques. Quand on renonce à quelque chose dont on n'a pas besoin (utilité stratégique), autant dire qu'on le fait pour une bonne cause. Les É-U sont passés les premiers producteurs mondial (juste devant l'Arabie saoudite et la Russie) et sont exportateur de pétrole depuis 2014. Environnement ou pas, les Américains restent quand même assez satisfaits d'être ceux qui brûlent le plus de pétrole per capita dans le monde.
Le Québec doit-il s'inspirer de la ligne vertueuse tracée par Barak Obama et rejeter le passage d'un nouveau pipeline lui aussi ? La plupart des opinions souverainistes que j'ai lues diraient oui. Ma réponse est plus nuancée. La province de Québec oui, le pays du Québec peut-être pas. On aura beau encourager l'électrification des transports et les énergies vertes, le Québec ne peut se passer de pétrole. Admettons qu'il ne fasse que transiter sur notre territoire, le pays du Québec pourrait y retirer des droits de transit importants. Une petite recherche sur internet m'a permis de le vérifier. C'est le cas de TOUS les pays. L'Égypte collecte des droits pour le passage d'un oléoduc en provenance du Sud Soudan, pareil pour la Turquie. Dans le cas du gaz, que je n'estime pas différent en principe, l'Ukraine a récolté 1,3 milliards de dollars de la Russie en 2010 pour faire transiter 95,4 milliards de m.c. (Kyiv Post); le cas de la Slovaquie est encore plus avantageux puisqu'il comprend aussi une clause de «ship or pay», garantissant des revenus importants à l'État que le gaz soit expédié de Russie ou pas, ça se chiffre à des centaines de millions d'Euros pour le pays (Bloomberg). En somme, ce qui ne semble pas être repris par les indépendantistes, c'est que le Québec province doit défendre le statu quo en la matière car il n'y gagne rien, mais il devrait vite devenir un pays pour revoir sa position, sans faire de compromis sur la sécurité des ouvrages, et encaisser des millions dès qu'il sera indépendant. Comme le pétrole des sables bitumineux est parmi les moins compétitifs du monde, des droits de transit pourraient décourager relativement son exploitation, je n'en sais rien, mais avenant le cas d'un effet dissuasif sur l'exploitation, le Québec, en frappant de droits le pétrole sale aurait pesé pour l'environnement sans se pénaliser. On glisse ici vers un scénario idéal, mais il donne au moins la mesure du pouvoir d'un pays libre.
Quant à sa consommation intérieure, le Québec province perd de la latitude et risque de finir relativement captif de l'approvisionnement canadien par un maillage additionnel que le Canada lui imposerait avec le nouveau pipeline. Le Québec indépendant, cas inverse, avantagé par son ouverture sur les mers du monde, aurait tout le loisir de négocier des prix avantageux, comme il s'en négocie de plus en plus, malgré les tentatives de fixer les prix pour tous par New-York (NYMEX) et Londres. Le poids de l'OPEP est loin d'être ce qu'il était, il ne compte que 12 pays, pas toujours en harmonie, qui représentent ensemble 44% de la production mondiale.
En examinant cette question suite à votre article solide et fort intéressant, je me suis demandé : Le Québec veut-il être indépendant pour continuer à agir dans les limites du Canada ? Selon moi la réponse est non. Il devra s'ouvrir au monde et s'habituer aux grands espaces.
Chrystian Lauzon Répondre
6 novembre 2015Quand on veut l’indépendance pour vrai, le gros bon sens devient, stratégiquement, par ce dossier :
1- La Colombie-Britannique a déjà dit non au bitumineux, au point de non-ingérence exigée du pouvoir central (une menace braquée à l’intégrité du « Canada »), sinon affirmation de l’État contre le fédéral, via coupage d’électricité à la compagnie privée au pétrole sale invasif;
2- Obama vient de dire non aussi à TransCanada et à Trudeau/Fédéral (6 nov.15) avec un argumentaire socio-économico-écologique tranchant. Une nouvelle donne et un message mondialiste à reformuler en souveraineté des nations.
Conclusion :
Le PQ doit se bouger le popotin (non plus approuver l’islamophobie en zombies d'ignares en politique internationale, mais s'aligner sur la pétrophobie à l’unanimité reconnue pancanadoaméricaine) pour reprendre à travers ce dossier, l’affirmation de l’indépendance de fait, territoriale – et casser les gros-gras-durs tuyaux du privé en même temps que le dos anglo-impérialiste du Canada contre le Québec. Cela s’appelle un rapport de force bien défini, délimité géopolitiquement. Du Pomerleau en clair et net! C’est pas tout à l’heure, c’est maintenant!! Drètte-là devant toé : alors PKPQ, réveille! Les écolos attendent après toi pour y voir la pleine valeur du chemin de l’Indépendance, le pied dans l’tapis... Vert.
Si t’as jamais signé de droit de passage (Constitution de 82) et que ce droit repose sur un tiers abuseur de pouvoir « confédérationnel » de convention qui veut forcer l’invasion de ton terrain, en sachant que sa "garnotte goudronnée" va salir irrémédiablement ta qualité de vie (ton eau dit « potable » entre autres bobos), alors tu dis à ton voisin : change ta garnotte en décontamination (raffine ton pétrole d’abord, on causera ensuite!) ou prends tes p’tits pis va-t’en ailleurs – dans ton pays d’origine!
Quand le décideur, c’est l’Aut’pays, Étranger à tes intérêts par tradition colonialiste, tu profites de l’occasion de le mettre dehors quand c’est le temps, en disant : asteur, c’est moé qui négocie avec mes voisins, surtout avec ceux du privé, indifférents aux besoins collectifs par définition ultranéolibéraliste.
L’Indépendance d’abord, les pétroleux ensuite, selon le propriétaire-peuple à consulter - c'est le moindre des gestes démocratiques. N’en a-t-on pas ras-le-bol de voir le privé s’associer à la mafia juridique pour faire leurs profits sans aucune éthique, sens moral ou déontologie sur le dos des nations et des États?
C’est dans un cas si précis, clair et limpide (contraste d'autant évident par la saleté du produit en question), comme celui-là que la souveraineté du peuple comme de l’État doivent s’affirmer inconditionnellement. Faire du Québec un pays, ça passe par sa propreté-ré-appropriée et le respect du territoire comme de sa nation dans ce dossier.
Pas dans Nôtre cour, c’tu clair! C’est le seul premier geste à poser dans ce dossier : le territoire au peuple, comme l’État-nation revendiqué ainsi être son représentant unique à Lui et pour Lui. République ou dépendance libérale dédiée au privé et à l'islam émirat-ge?
Archives de Vigile Répondre
6 novembre 2015La proposition de maître Cloutier m'apparaît fort raisonnable.
Toutefois comme il ne s'agit pas ici de sable, de pierre ou d'eau claire j'ajouterais à cette proposition : "À condition que ce pétrole ait été au préalable raffiné sur place."
Cela fait toute la différence.
Pierre Cloutier Répondre
6 novembre 2015Je ne suis pas spécialiste de ces questions, mais ne pourrait-on par marcher et mâcher de la gomme en même temps? C'est-à-dire développer notre propre stratégie énergétique par l'électricité et autres sources d'énergie non polluantes et imposer une taxe assez substantielle sur le transport du pétrole albertain pour financer cette stratégie? C'est la question que je me pose.
La situation peut être vue de façon simple : votre voisin dont la terre est enclavée veut passer sur votre terrain pour sortir ses produits : ex: une carrière de sable ou de pierre. Vous passez un contrat d'une durée limitée et renégociable et vous lui chargez des droits de passage. C'est du gros bon sens.