« Il est essentiel qu’une relation de confiance absolue existe entre le premier ministre et ses conseillers les plus proches, sans laquelle l’exercice du pouvoir deviendrait quasi impossible. Comment pourrait-on gouverner, délibérer, discuter, agir, sans pouvoir compter sur la loyauté sans réserve de son conseiller le plus proche ? (…) L’obligation de discrétion qui découle de cette relation intime serait tellement évidente que le législateur n’a jamais cru nécessaire d’en faire une obligation juridique. (…) À certains égards, la transgression par Norman Spector de son obligation de réserve est même une faute plus grave que ne pourraient l’être les gestes prétendus de prévarication qu’il entend dénoncer. » Louis Bernard, ancien chef de cabinet, Un lien de confiance à respecter, Le Devoir, 31 janvier 2008.
«Ces révélations peuvent paraître anodines à premières vues, pourtant elles sont, au contraire, d’une extrême gravité, puisqu’elles nous autorisent à sérieusement douter de l’intégrité de nos gouvernants. Elles nous donnent à penser que, même si nos premiers ministres agissent illégalement, leur premier cercle les protège. Nos gouvernants auraient donc le droit de tricher, de mentir, de voler en toute impunité et de partager des informations privilégiées auxquelles seuls quelques initiés auraient accès.» À l’encontre d’une dangereuse unanimité : l’exemple du Watergate.
«Les hauts fonctionnaires et chefs de cabinet savent l’essentiel ce qui se passe dans le bureau de leur ministre et doivent rapporter au premier ministre tout ce qui pourrait éventuellement devenir problématique pour la stabilité de son gouvernement. C’est à ce dernier qu’ils ont juré fidélité. C’est le premier ministre qui nomme les sous ministres et les chefs de cabinets. Un fait que n’a pas manqué de rappeler Jean Charest au commissaire Bastarache.
Un haut fonctionnaire ne peut pas trahir un premier ministre toujours en fonction sans risquer de compromettre sa carrière, minant également la confiance que pourrait éventuellement lui témoigner tout successeur désigné, même ceux d’une autre allégeance politique. À ce haut niveau, le meilleur gage de loyauté envers le chef de l’exécutif n’est pas l’allégeance, mais la confidentialité absolue témoignée par le passé au chef de l’exécutif. Qui a trahi trahira !» Autopsie d'une pantalonnade.
Qui a trahi trahira...
Trahir est une faute plus grave que se parjurer. Voilà probablement une règle fondamentale dans la conduite des plus hauts fonctionnaires de l’État.
Et c’est justement à cet écueil que se sont butées les commissions qui ont eu à enquêter sur l’octroi de contrats publics, la nomination de juges, les commandites, l'affaire Airbus et l'affaire Bellemarre.
Voilà pourquoi Jean Chrétien, Bryan Mulroney et Jean Charest sont sortis relativement indemnes des commissions Gomery, Oliphant et Bastarache.
Il n’y avait personne dans leur premier cercle pour les incriminer.
Il n’y avait pas de secrétaire général, pas de sous-ministres, ni de chefs de cabinet* pour transgresser le silence auquel est tenu le premier cercle.
C’est ce genre de silence que j’évoquais dans L’inquiétant silence de Jean St-Gelais relativement aux pertes de la Caisse de dépôt et placement du Québec dans les PCAA.
C’est le silence que le premier cercle de Jean Charest a observé à l’occasion de la commission Bastarache.
C’est le même silence qu’aurait conservé Eddy Godenberg au sujet du programme fédéral des commandites.
Voilà pourquoi nous n’avons jamais connu de véritables conclusions aux enquêtes portant sur le scandale des commandites, l’affaire Airbus, la nomination de juges par le gouvernement de Jean Charest et pourquoi nous ne saurons probablement jamais rien sur les pertes de la Caisse de dépôt et placement du Québec dans les PCAA.
Le temps perdu ces derniers jours par la commission Charbonneau dans la conduite de ses travaux avec l'épisode «Rambo» Gauthier, comme le rapportait Josée Boileau dans son éditorial du 27 février, À côté du mandat, est-il un symptôme du même mal ?
L'enquête sur les liens à établir entre l'octroi de contrats par le ministère des Transports et le financement des partis politiques n'apporterait pas les fruits tant attendus?
Les enquêteurs se seraient-ils butés au même écueil que les autres commissions d'enquête dans la recherche de la preuve ?
Personne pour briser le silence dans la haute fonction publique du Québec?
Qui trahira?
***
p.s.
*En fait, Norman Spector, chef de cabinet de Brian Mulroney de 1990 à 1992, aurait dérogé à l'usage en 2008, en demandant de témoigner devant le comité parlementaire de la Chambre des communes chargé d'enquêter sur les relations entre Brian Mulroney et l'homme d'affaires germano-canadien Karlheinz Schreiber, sans toutefois incriminer son ancien patron.
J'ai écrit deux textes sur le sujet:
À l’encontre d’une dangereuse unanimité : l’exemple du Watergate
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