Sur la Main - Bienvenue dans ce « temple où seront chantées les louanges et les gloires de la patrie »

Le Monument-National sera le centre culturel et communautaire des Canadiens français

175e de la SSJBM

À la fin du XIXe siècle, l'Association Saint-Jean-Baptiste a été l'instigatrice d'un important projet de mobilisation nationale en plein coeur du centre-ville, rue Saint-Laurent: le Monument-National a été érigé en ces lieux.
Réginald Harvey - En ces temps-là -- on est au tournant du dernier siècle -- les Canadiens français mènent un véritable combat pour leur survie culturelle dans une grande ville comme Montréal, où les anglophones occupent le haut du pavé dans les sphères du commerce et de l'industrie; l'anglicisation les menace aussi bien dans leur travail que dans leurs loisirs. L'Association réagit à cette situation qu'elle combat avec vigueur et, à l'occasion de son cinquantième anniversaire, annonce le 24 juin 1884 la construction d'un monument dit national.
Voilà ce que rapportent les auteurs André G. Bourassa et Jean-Marc Larrue dans leur livre intitulé Les Nuits de la Main. Ils écrivent: «Le projet était ambitieux. Les francophones manquaient d'un vaste lieu de rassemblement populaire et d'un foyer où pouvaient se regrouper toutes les petites sociétés artistiques, culturelles ou scientifiques, les associations sociales ou communautaires qui participaient tant bien que mal à l'animation de la vie collective. Le Monument-National devait combler cette lacune.»
Du côté de l'Association, l'enthousiasme se traduit par un lyrisme d'époque: «Ce monument sera le gardien fidèle de nos traditions et de nos souvenirs; le temple où seront chantées les louanges et les gloires de la patrie, l'arsenal qui nous fournira les armes nécessaires à sa défense, le sanctuaire où se conservera toujours ardent et lumineux le feu de notre patriotisme.»
Professeur émérite à l'École supérieure de théâtre de l'UQAM, M. Bourassa dépeint les aspirations à la fois linguistiques et religieuses de l'Association Saint-Jean-Baptiste au moment où son projet de monument prend forme: «Il semble bien que cette organisation ait été franc-maçonne au début, mais au moment dont on parle, celle-ci était nettement noyautée par le clergé. Oui, son geste, qui est appuyé par l'évêché, est un point d'affirmation par rapport au théâtre francophone et en réaction aux différents centres culturels que les anglophones pouvaient avoir. C'était même une affirmation de l'Est vis-à-vis de l'Ouest, si on peut dire.»
Centre culturel et tribune politique
Le monument verra le jour dans sa forme définitive par étapes, mais il connaîtra des débuts plutôt paradoxaux dans sa programmation, sur le plan des ambitions de l'Association: «Les troupes professionnelles ne pouvaient aller jouer là parce qu'elles ne pouvaient accepter les contraintes imposées par la mainmise cléricale qui existait sur le Monument. On a d'abord accepté des pièces en anglais et en yiddish; dans cette langue, impossible de les censurer.» Il poursuit: «C'est tout de même devenu un centre culturel, mais qui a été boudé par le théâtre professionnel. On avait d'ailleurs lancé très tôt les soirées de famille qui présentaient des chansons et des pièces qui n'étaient pas dangereuses; celles-ci étaient soutenues par des organisations bien-pensantes.»
Pendant un bon moment, le Monument demeurera donc un centre culturel, à l'image des académies américaines, qui sert de structure d'accueil à des activités variées et à une palette de cours. À la fin des années 20, les politiciens, dont Henri Bourassa, montent sur scène pour faire valoir leurs idées dans de grands discours: «Il y a également eu les conférences du père Arès sur la Confédération. Les libéraux fédéraux se sont même réunis à cet endroit pour opposer de la résistance à Duplessis dans sa lutte contre les Témoins de Jéhovah.»
Le mauvais entourage
Le Monument se retrouve passablement vieillot et perdu au coeur de ce qui est finalement devenu la Main: «C'était devenu un de ses problèmes parce qu'il était situé en plein quartier de cabarets et, dans certains cas, de bordels et de barbottes. J'ai comme l'impression que c'était devenu quelque chose d'assez lourd à porter.» Il sera finalement cédé à l'École nationale de théâtre et s'intègre aujourd'hui au quartier montréalais des spectacles. André Bourassa remonte à son origine pour dégager une de ses caractéristiques plus ou moins reluisantes: «Il avait été bâti dans une perspective assez étrange: il y avait la grande porte avant pour le beau monde et il y avait une petite entrée rue Clark pour les gens qui étaient destinés au pigeonnier; c'était là un côté assez peu démocratique.» Cette voie d'accès a finalement été condamnée.
En bout de ligne, est-ce que, durant toutes ces années, l'Association Saint-Jean-Baptiste, qui deviendra la Société en 1913, a réussi à faire progresser la cause des Canadiens français à la faveur de cette tribune? M. Bourassa répond par une sorte de bilan positif: «Il y a notamment eu la présentation des variétés lyriques, qui ne correspondaient sans doute pas aux idées de l'évêché mais qui, je le crois, répondaient à celles de la Société; ces gens se sont tranquillement démarqués de l'influence cléricale.»
Il fournit d'autres exemples: «Il y a eu Pierre Dagenais, un artiste assez révolté, qui a réalisé des mises en scène importantes qui figurent parmi les beaux fleurons du monument. Il fut aussi le lieu des grandes créations de Gratien Gélinas: c'est à cet endroit que se sont jouées Les Fridolinades et qu'a eu lieu la première de la pièce Tit-coq. Une douzaine de pièces québécoises ont été créées sur la scène de ce dernier, dont deux écrites par des politiciens en vue, soit Laurent-Olivier David (Le Drapeau de Carillon), qui fut député, et Félix-Gabriel Marchand (Les Faux Brillants), qui fut premier ministre du Québec. Il y a donc eu de très bons moments qui se sont déroulés au Monument-National.»
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Collaborateur du Devoir


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