Le sondage publié ce matin dans Le Journal démontre que les deux solitudes se portent encore très bien au Québec.
Soixante-trois pour cent des anglophones québécois considéreraient que les francophones ne font pas d’efforts pour s’intéresser à leur réalité. C’est au point où 60 % d’entre eux ont déjà envisagé d’aller vivre dans une autre province.
Pire encore, c’est chez les jeunes qu’on voit le plus de pessimisme par rapport aux relations entre les deux groupes. Quarante-neuf pour cent des moins de 35 ans ressentent ces rapports comme conflictuels et 34 % croient que la situation s’envenime.
Ils auraient trouvé les temps durs à l’époque de « McGill français », ceux-là !
Privilégiés ?
Comment peut-on en arriver là, alors que la loi 101 s’étiole depuis des décennies et que l’option souverainiste va de creux historique en creux historique ? N’était-il pas permis de penser que le Québec vivrait en paix linguistique ?
Il faut d’abord dire que ce qui compliquera toujours les rapports entre les anglophones et les francophones, c’est qu’ils s’échangent tour à tour les rôles de minoritaires et de majoritaires, selon que l’on parte d’une perspective québécoise ou canadienne et continentale.
Dans les discussions sur l’intégration et l’inclusion, on invite souvent les descendants des Canadiens français à prendre conscience de leur statut de privilégiés, des concepts populaires à Concordia, à McGill, mais aussi à l’UQAM. Les jeunes sont sensibles à ce discours, en plus de participer à des débats en ligne qui, s’ils n’ont pas la même violence que les manifestations contre le bill 63, surviennent plus régulièrement dans leur quotidien. D’où la perception que tout empire.
Pourtant, les anglophones oublient de se rappeler qu’ils appartiennent à l’ensemble culturel le plus puissant de la planète. Bref, on entendra encore parler anglais à Montréal dans 100 ans. Pour le français, c’est moins sûr.
Le déclin
En même temps, c’est facile d’asséner que les anglophones du Québec forment la minorité la mieux protégée de la planète, avec leurs hôpitaux et leur réseau scolaire. Alors que pour les Québécois francophones, la défense de leur langue et de leur identité s’inscrit dans le récit d’une lente reconquête qui doit désormais être célébrée, pour les anglophones, l’histoire est tout autre.
On l’oublie souvent, mais les plus grandes villes du Québec étaient majoritairement anglaises jusqu’à la fin du 19e siècle. L’exode rural, qui n’a pas eu lieu que vers les États-Unis, a ramené les Canadiens français vers Montréal et Québec et c’est avec la Révolution tranquille que leur prise de contrôle s’est confirmée.
Pour les jeunes anglophones, branchés sur la manière dont ça se passe ailleurs davantage que ne l’étaient leurs ancêtres, il n’est pas étonnant qu’il en découle une frustration de devoir composer avec une autre langue.
Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, c’est une richesse. Les anglophones sont nombreux à affirmer que ce qui les pousse à aimer le Québec, c’est son bilinguisme et son multiculturalisme.
Or, la diversité existe dans toutes les cités nord-américaines et l’anglais est présent partout. La valeur ajoutée du Québec en général et de Montréal en particulier, c’est leur visage français.
Le grand échec de nos politiques linguistiques, c’est de ne pas avoir réussi à convaincre tous les Québécois, dont les anglophones, que c’était une richesse. Et surtout que c’est son caractère fragile qui la rend si précieuse.