Le ministre canadien des Affaires étrangères a réussi à mettre les rieurs de son côté. Il l’a fait en dénonçant le spectacle grand guignol qu’ont donné les Russes en allant déposer leur drapeau tricolore à quatre kilomètres au fond de l’océan, sous le pôle Nord. Pour ce qui est du fond de la question, par contre, Peter MacKay n’a pas vraiment d’applaudissements à recevoir.
En comparant le geste russe aux anciennes expéditions coloniales, le ministre canadien a certainement gagné un point pour le trait de sarcasme. Mais en se contentant de tourner en dérision la méthode de Moscou, il a non seulement banalisé un réel exploit technique et scientifique, il a fait comme si les revendications de la Russie demeureraient à jamais infondées.
Or, rien n’est moins sûr.
C’est une instance internationale qui déterminera à qui appartiennent les eaux de l’Arctique. Au cours des prochaines années, la Commission de l’ONU sur le droit de la mer aura à déterminer jusqu’où s’étend la souveraineté des uns et des autres. Et jusqu’où, par conséquent, des pays comme le Canada, les États-Unis, la Russie, la Norvège et le Danemark pourront un jour exploiter les hydrocarbures enfouis dans le riche sous-sol océanique arctique.
Les médias russes se sont passionnés pour cette expédition. On peut s’en moquer, mais on ne doit pas oublier que nos propres médias se sont intéressés, eux aussi, aux expéditions scientifiques nordiques canadiennes, lesquelles ont toujours comporté un volet d’« affirmation » de souveraineté.
C’est encore le cas — ne nous le cachons pas — pour celle entreprise par le brise-glace Amundsen, parti de Québec il y a 10 jours pour un périple de 15 mois en Arctique. Ceux qui fréquentent le port de Québec connaissent bien ce navire.
Certes, l’affaire du drapeau russe en « titane inoxydable » a quelque chose de ridicule. Elle ressemble à un puéril concours de muscles. Mais au-delà du symbole, cette expédition est très sérieuse. Elle vise à asseoir scientifiquement les prétentions de Moscou selon lesquelles la « dorsale Lomonossov » constitue une extension géologique de la Russie, ce qui agrandirait le fond marin que ce pays peut exploiter.
Pour l’heure, il ne semble pas que cette éventuelle extension toucherait des zones que le Canada revendique. Personne à l’ONU n’a jamais entendu Ottawa en revendiquer jusque-là. Pas de façon officielle en tout cas.
Voilà pourquoi on ne peut exclure que Peter MacKay se soit trompé de dossier lorsqu’il a affirmé avec aplomb que ces eaux étaient canadiennes... Ce sont des choses qui arrivent quand on commente à chaud. Tout indique qu’il pensait au passage du Nord-Ouest, un détroit que les États-Unis qualifient à tort (et en dépit du bon sens) d’« international ».
D’ailleurs, c’est très précisément pour asseoir sa souveraineté sur ce passage qu’Ottawa vient d’ordonner la construction de six à huit navires de patrouille et d’un port en eau profonde dans l’extrême nord canadien.
Ce que l’on doit aussi noter à propos de l’Arctique, c’est que la Russie, contrairement au Canada, sait depuis longtemps ce qu’elle veut. Et surtout qu’elle a les moyens de ses ambitions, ce qui n’est pas notre cas.
Si l’on ne considérait que l’Arctique, l’idéal aurait été de lancer le projet de construction des puissants brise-glaces que les conservateurs avaient promis pendant la campagne électorale, des bâtiments capables de naviguer dans d’épaisses couches de glace et pas seulement à proximité des côtes. Mais le Canada a d’autres besoins et les navires commandés, plus modestes mais plus polyvalents, y répondront mieux.
Tous les coureurs ne partent pas égaux dans la course à l’Arctique.
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