Soutenir la Gaspésie est une aspiration politique louable, à condition que l’appui ne repose pas sur des chimères. Quand on voit les arguments utilisés en faveur du projet de cimenterie de Port-Daniel, le gouvernement Couillard, comme celui de Pauline Marois avant lui, s’avance dans des sables bien mouvants. Qu’on nous fasse la preuve que ce n’est pas le cas.
Il y a vingt ans qu’on en parle : s’il faut une cimenterie à Port-Daniel, c’est en raison de son gisement d’une qualité exceptionnelle, de sa situation de bord de mer qui permet d’acheminer le ciment par bateau en toutes saisons, ce qui est moins cher que par le rail ou la route. On y aura aussi recours à une nouvelle technologie, plus performante, qui réduira encore les coûts. Et puis, la demande américaine est telle que sa production sera vouée à l’exportation, ce qui ne nuira pas aux autres cimenteries du Québec, oeuvrant sur le marché local. Surtout, on créera 400 emplois, directs et indirects, en Gaspésie, où le chômage sévit.
Ce que vous venez de lire date des années 90. Le discours d’aujourd’hui est si à l’identique que c’en est troublant. À l’époque, l’affaire avait tourné court. Cette fois, en l’espace de quelques mois, deux gouvernements d’esprit bien différents ont confirmé qu’ils injectaient des fonds publics, sous forme de prêt et de capital-actions, dans l’aventure désormais pilotée par Laurent Beaudoin derrière Ciment McInnis. Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, n’en revient toujours pas, lui qui en campagne électorale avait virulemment dénoncé cet investissement coûteux pour un État exsangue.
Interrogé lundi sur le projet, Jacques Daoust, ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, a eu cette exclamation : « Oh oui, il est viable ! » « Tellement viable » en fait que le nord des États-Unis serait déjà preneur de centaines de milliers de tonnes de ciment, ce qui garantirait la survie de l’entreprise dès sa naissance. Fort bien, mais il faut croire ministres et investisseurs sur parole. Pas moyen de voir les études de marché qui les ont convaincus.
Retournons alors aux années 90 : que disaient les critiques à l’époque ? Que l’industrie québécoise du ciment n’avait pas besoin d’un nouveau joueur appuyé par l’État alors qu’elle ne fonctionnait qu’à 60 % de sa capacité et qu’elle devait exporter une partie de sa production ; que le monde entier, en fait, était en surproduction et essayait d’écouler ses excédents aux États-Unis. Qu’en est-il en 2014 ? Le Québec est toujours à 60 % de sa capacité de production et ses quatre cimenteries font toujours de l’exportation. Le dumping étranger aux États-Unis, lui, s’est accentué. Et les cimenteries américaines ne voient pas d’un bon oeil ce Ciment McInnis qui s’annonce sur leur marché.
À quoi s’ajoute le fait que le projet actuel est deux fois plus gros que celui des années 90. La capacité d’exploitation avait alors été fixée à un million de tonnes par année. On parle maintenant de 2,2 millions de tonnes. Précisons aussi que si, cette fois, les investisseurs sont au rendez-vous, c’est parce qu’Investissement Québec est au dossier. Sans le gouvernement, il n’y aurait pas de cimenterie à Port-Daniel.
Et peut-être que si le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) s’en mêlait, il n’y en aurait pas non plus ! On nous vante un procédé moins polluant, qui répondra aux meilleures normes américaines. Mais cela n’empêchera pas l’émission massive de gaz à effet de serre. Et nul ne mesurera l’impact d’une telle cimenterie sur l’écosystème de la baie des Chaleurs. Les gouvernements en font l’économie au fumeux prétexte que le projet date d’avant juin 1995, moment où le recours au BAPE est devenu de rigueur. C’est plutôt que la création d’emplois à tout prix les aveugle. Ce prix, il nous faut le connaître.
CIMENTERIE DE PORT-DANIEL
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