Le premier ministre du Québec, François Legault, survole parfois les commentaires sur sa page Facebook. Il ne doit pas aimer ce qu’il lit.
Ses détracteurs monopolisent les commentaires sous ses publications. Le ton est acerbe, la dérision abonde et les attaques fusent contre le gouvernement Legault. Souvent, la page prend des allures de défouloir.
Dans l’avalanche de réactions, des opposants laissent aussi des critiques polies et rapportent des problèmes qui les touchent dans leurs coins de la province. Mais l’animosité ressort au point où de nombreux internautes déplorent l’incivilité des commentaires et leur manque de représentativité.
«Ici, c’est la tribune des chialeux», écrit une internaute. «C’est bien et excellent que les gens s’expriment, mais incroyable comment les gens sont impolis [et] sans respect», ajoute une autre.
Jeudi, par exemple, le premier ministre a annoncé sur sa page un investissement du gouvernement de près de 55 M$ dans l’entreprise AppDirect. «Tu es ridicule, va t’en, tu ne merite pas être a la tête du Québec, 55 million pour SI PEU d’emplois?, réagit un internaute. Ma foi avez vous vendus votre âme à la bête? J’ai hâte aux prochaines élections».
CAPTURE D'ÉCRAN TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FRANÇOIS LEGAULT
Sous les publications concernant la pandémie, les commentaires semblent accaparés par des opposants aux mesures sanitaires, des anti-vaccins ou des complotistes.
«Ben oui hein #Legault!!!, écrit un internaute. Pourquoi refuses tu de te faire vacciner??? On devrait t’attacher et te le mettre dans.le bras de force, pour que tu goûtes à ta propre médecine!!!!! C’est évident que ta merde cache quelque.chose!!!! En passant, on est pas fou et on sait que Dubé n’a que joué la comédie!!!!! Vous êtes malades, mûres pour être enfermés pis vite à part de ça!!!!»
CAPTURE D'ÉCRAN TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FRANÇOIS LEGAULT
Le vitriol et l’insatisfaction sur la page Facebook du premier ministre tranchent avec les plus récents sondages nationaux, qui montrent que la majorité des Québécois appuient les mesures de confinement et que la CAQ caracole en tête des intentions de vote.
Mais pour Éric, un camionneur de 40 ans de Saint-Hyacinthe qui suit assidûment les publications du premier ministre, les commentaires sur la page Facebook de M. Legault reflètent davantage le pouls des Québécois. «Ici c’est pas mal plus 98 % des gens qui sont en désaccord avec toi», a-t-il écrit sur la page du premier ministre, jeudi.
«Les commentaires Facebook ont une crédibilité plus grande que tout le reste selon moi, explique Éric au Soleil. En face à face ou au téléphone, vous n’obtiendrez jamais de réponses aussi instantanées et crues. Les gens ne sont pas gênés de répondre tout ce qui leur passe par la tête, cachés derrière un écran».
CAPTURE D'ÉCRAN TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FRANÇOIS LEGAULT
«La critique fait partie de l’univers politique»
Attaché de presse du premier ministre, Ewan Sauves assure qu’«il arrive à M. Legault de lire les commentaires figurant sous les publications. Il est important pour lui de prendre le pouls de la population ainsi, dans la mesure où les commentaires et critiques demeurent constructifs».
Tant au cabinet du premier ministre qu’à la CAQ, une équipe d’employés est dédiée à la surveillance et à la modération des médias sociaux de François Legault, indique M. Sauves.
CAPTURE D'ÉCRAN TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FRANÇOIS LEGAULT
L’attaché de presse fait valoir qu’il faut distinguer les commentaires négatifs des insultes et des menaces. «La critique fait partie de l’univers politique, les gens ont le droit de s’exprimer, nous sommes en démocratie après tout! Par contre, les insultes n’ont pas leur place et la nétiquette présentée sur la page Facebook du premier ministre en fait clairement mention. Nous masquons ces commentaires».
Lorsqu’une menace est formulée à l’endroit du premier ministre, ajoute Ewan Sauves, la Sûreté du Québec est mise au fait et des enquêtes sont menées.
L’attaché de presse de François Legault estime que des opposants aux mesures sanitaires, notamment au masque et au vaccin, «profitent des publications du premier ministre pour se faire entendre. Une part de ces gens-là fait d’ailleurs partie de groupes complotistes, c’est évident», note-t-il dans un courriel.
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Selon M. Sauves, il y a toutefois davantage d’emojis positifs (cœur, pouce en l’air) que négatifs (bonhomme fâché ou triste) sous les publications Facebook du premier ministre.
Un effet d’imitation
L’omniprésence de détracteurs et l’agressivité ambiante sur la page Facebook du premier ministre peuvent s’expliquer par un effet d’imitation, estime Stéphane Villeneuve, professeur au département de didactique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chercheur spécialisé dans la cyberintimidation.
«Certains vont dire : “moi aussi j’en ai ras le bol, moi aussi je vais me plaindre”. Et ils vont imiter les autres, leur façon de se comporter», dit M. Villeneuve.
L’anonymat de plusieurs internautes qui cachent leur vrai nom et n’affichent pas de photo sur Facebook peut aussi être un facteur «très motivant» pour les gens qui veulent faire des commentaires intimidants, remarque le professeur. «Mais moi, ce qui me surprend toujours, c’est qu’il y en a dont c’est le vrai profil».
CAPTURE D'ÉCRAN TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FRANÇOIS LEGAULT
«Quand ça devient intimidant, ça n’a pas sa place, ajoute Stéphane Villeneuve. Mais on comprend que quand ce sont des personnalités publiques, c’est difficile de gérer un compte, parce qu’il y a des centaines de commentaires par jour qui sont déposés», dit-il.
Cette semaine, par exemple, les commentaires sous les publications de François Legault oscillaient entre 400 et 2800 commentaires.
Selon M. Villeneuve, il est par ailleurs possible que des groupes d’opposants aux mesures sanitaires s’organisent pour bombarder de commentaires négatifs la page Facebook du premier ministre, qui compte plus de 607 000 abonnés.
«Je fais une hypothèse, dit le professeur, mais [il peut y avoir] des gens qui se regroupent et se disent on va aller faire un genre de blitz sur la page du premier ministre pour avoir un certain impact sur sa façon de gérer la crise».