Un autre panier de crabes

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Il faudrait franciser totalement l'État québécois : la CAQ ne le fera jamais


Même si le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, n’en était pas à sa première bourde, le premier ministre Legault a trop investi en lui pour le lâcher. Malgré le fiasco de la réforme du Programme de l’Expérience québécoise (PEQ), il a soutenu mardi que tous les partis politiques rêvent d’un jeune ministre aussi talentueux.


Aussi admiratif que puisse être M. Legault, son bureau va tenir le petit prodige à l’oeil. M. Jolin-Barrette a eu beau prendre toute la responsabilité de ce cafouillage, c’est l’image de l’ensemble du gouvernement qui est ternie. L’opinion publique passera sans doute l’éponge encore une fois, mais Il ne faudrait pas qu’il récidive.


Début septembre, M. Legault a décidé de lui confier cet autre panier de crabes qu’est la langue, Nathalie Roy n’ayant manifestement pas l’étoffe suffisante. Après des années de procrastination libérale, il est assurément urgent de renforcer la position du français, sous peine d’atteindre un point de non-retour. L’histoire des 50 dernières années démontre toutefois combien le dossier peut être explosif. Dans celui de l’immigration, M. Jolin-Barrette a fait la preuve d’une grande détermination, mais aussi d’une grande insensibilité. Or, la question linguistique est d’une extrême sensibilité.


Mardi à l’Assemblée nationale, il a eu un aperçu du débat qu’il s’apprête à rouvrir, quand le député libéral de Jacques-Cartier, Gregory Kelley, lui a demandé sa définition de la communauté anglophone et comment il allait déterminer quels sont ceux qui pourront toujours communiquer en anglais avec l’État. Ce débat refait périodiquement surface depuis l’adoption de la loi 101, mais aucun gouvernement n’a osé le trancher.




 

Le rapport présenté en 2016 par la députée d’Iberville, Claire Samson, déplorait déjà l’usage croissant de l’anglais dans l’administration publique, qui donne aux nouveaux arrivants l’impression, malheureusement fondée, qu’il est possible de vivre au Québec sans connaître le français. Le Conseil supérieur de la langue française a rendu publique la semaine dernière une étude sur les pratiques linguistiques des ministères et organismes relevant du gouvernement du Québec, laquelle a confirmé que 41 d’entre eux utilisent encore un « code de langue » permettant à un immigrant qui ne parle pas le français à son arrivée de communiquer avec eux en anglais sa vie durant.


Face à ces « constats troublants », M. Jolin-Barrette a signifié son intention de faire en sorte que chaque ministère et organisme se dotent d’une politique linguistique prévoyant que les communications se feront uniquement en français, sauf avec les membres de la « minorité historique anglaise » et les nations autochtones. Il aurait cependant intérêt à consulter davantage qu’il ne l’a fait dans le cas du PEQ.


Qui fait partie de cette minorité historique ? lui a demandé le député de Jacques-Cartier. S’agit-il seulement des anglophones nés au Québec ? Cela inclut-il ceux qui sont nés ailleurs au Canada, mais qui viennent s’installer au Québec ? Il a accusé le gouvernement de vouloir créer deux classes de citoyens au sein de la communauté anglophone.


Encore une fois, le débat risque de prendre une tournure émotive. « Est-ce que ma mère, née à Toronto, a besoin d’une carte d’identification, d’un NIP pour parler en anglais avec quelqu’un de Services Québec » ? a demandé M. Kelley. Selon lui, de nombreuses personnes âgées, qui parlent anglais sans se considérer comme faisant partie de la communauté anglophone de souche, sont inquiètes.




 

En vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits, seuls les citoyens canadiens qui ont reçu leur instruction au niveau primaire en anglais au Canada peuvent envoyer leurs enfants à l’école anglaise au Québec. Il n’y a aucun critère de ce genre pour ce qui est des autres services. Ainsi, l’article 15 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux prévoit que « toute personne d’expression anglaise » doit y avoir accès, dans la mesure où les ressources humaines, matérielles et financières des établissements qui les dispensent le permettent. Cela signifie que toute personne qui parle anglais, peu importe sa provenance, qu’elle soit citoyenne canadienne ou non, peut demander à être soignée en anglais.


M. Jolin-Barrette a assuré que la nouvelle politique ne concernera que les nouveaux arrivants. Les anglophones qui viennent d’une autre province seront-ils considérés comme des nouveaux arrivants ? Faudra-t-il donner une preuve d’appartenance à la « minorité historique anglaise » chaque fois qu’on demandera un service en anglais ? On imagine le tollé from coast to coast.


La question est tout aussi délicate pour le PLQ. Comme pour couper court à la discussion, M. Jolin-Barrette a lancé à M. Kelley : « Est-ce que le Parti libéral est contre ça, que le Québec soit français » ? Entreprendre une croisade en faveur des services en anglais ne fera certainement rien pour le reconnecter avec la majorité francophone.









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