Un Colisée de quêteux pour une société de quêteux?

Quand le sport devient politique


Un Colisée de quêteux. C'est parfait, pas de problème sinon que selon cette logique, c'est toute la société québécoise qui est une société de quêteux.
J'écoute les chantres du grand privé clamer haut et fort qu'un Colisée convenable à Québec, capitale d'une nation, édifice capable d'accueillir une équipe de la Ligue nationale, devrait être payé par le privé.
Selon cette logique, vous-même qui me lisez n'auriez plus droit à aucun concert de l'Orchestre symphonique de Montréal puisque la Place des Arts a été payée par les fonds publics. Et que l'Orchestre est subventionné. Et qu'en plus, Kent Nagano gagne plus d'un million pour 16 semaines de travail. Pourquoi paierait-on une salle pour permettre à un chef d'orchestre de gagner un million?
Selon cette logique de quêteux, il n'y aurait pas eu de Filles de Caleb, pas de Fortier, pas de Tout sur moi, pas de Mauvais Karma, pas de Mirador, pas de Yamaska, pas d'Annie et ses hommes, pas de Lance et compte, rien. Ou, plutôt, des shows de chaises... selon nos moyens. Certains intellos diront que ce serait merveilleux, mais les millions de Québécois qui ont du plaisir à suivre leurs émissions ne se préoccupent guère du Plateau.
Quand on parle de Radio-Canada et de Télé-Québec, ça va de soi, ce sont les impôts et les taxes des contribuables qui font virer les grosses machines. Mais c'est la même chose à TVA ou à V. Même si c'est un diffuseur privé du giron de Quebecor qui diffuse Lance et compte, c'est l'argent du public qui paye 5,5 millions du budget de 7,5 millions. Même chose pour Tout sur moi, pour Les Parent, la merveilleuse émission produite par La Presse Télé, ce sont les fonds publics qui fournissent les millions nécessaires. L'investissement du producteur privé se limite habituellement à quelques pinottes. Quand un producteur dit qu'il a remis sa part producteur dans une émission, il faut comprendre que cette part a déjà été payée par le public. Ces millions du public payent les Mercedes et les Audi des producteurs (et parfois d'un auteur).
Vous avez aimé le film sur la vie du commandant Piché? Ou l'invraisemblable navet publicitaire tourné pour le centenaire du Canadien? Vous pensez que le Canadien n'avait pas besoin des fonds publics pour faire sa publicité? Sachez que les millions nécessaires pour le tournage de Pour toujours les Canadiens ont été versés par Téléfilm Canada et par la SODEC. Total et complet.
C'est simple, quand un film coûte 5 millions à tourner et qu'il produit 1 million de revenus aux guichets, y a quelqu'un qui paye le propriétaire de la salle et toute la publicité payée par le distributeur. Sans parler des cachets des comédiens, des techniciens, du scénariste, du réalisateur, du producteur et des musiciens. Vous avez compris que c'est vous, le contribuable.
Autrement dit, à part quelques rares exceptions, toutes vos émissions dramatiques à la télévision (et les autres jouissent du programme de crédits d'impôts), tous vos films sont payés par des fonds publics.
Et je ne parle pas des fonds publics qui font vivre et prospérer les festivals de jazz, d'humour, de la chanson, du western et tutti quanti. Et qui vont payer le nouveau Quartier des spectacles.
Mais comme c'est considéré comme de la «Kulture», les mêmes professionnels du pleurnichage et des lamentations montent au combat si les gouvernements fédéral et provincial ne versent PAS les dizaines et les centaines de millions nécessaires pour votre divertissement. Parce que la Kulture, c'est kulturel!
C'est parfait, mais c'est une «kulture» de quêteux, si je me fie à une certaine logique. Cependant, ces millions servent à créer et faire vivre une industrie du spectacle et de la télévision qui atteint deux objectifs. Elle permet un certain niveau de qualité et de quantité dans la vie culturelle pour une société de sept millions de clients qui ne pourraient s'offrir de grandes séries ou de grands films avec les seuls fonds privés dans un marché insuffisant. Et cette industrie multiplie les retombées directes et indirectes qui permettent de remettre à l'État une partie des millions investis.
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Si on parle d'un Colisée de quêteux, alors Montréal a droit à un Grand Prix de quêteux. Les gouvernements et l'Office du tourisme de Montréal versent 15 millions par année pour un total de 75 millions à Bernie Ecclestone pour qu'il consente à présenter un Grand Prix au Canada. Si c'est un Colisée de quêteux, alors c'est un Grand Prix de quêteux. Surtout que les 75 millions foutent le camp quelque part dans le monde où Bernie paye peu d'impôts. Mais comme c'est de la F1, comme c'est un sport à champagne, c'est bien, c'est légitime. Alors que le hockey, c'est des pousseux de puck et de vulgaires buveurs de bière, ce n'est pas noble. Selon que vous serez riche ou misérable, les chantres...
Mais alors, on fait quoi avec le stade Uniprix de quêteux? Financé aux deux tiers par le fédéral et le provincial. Et la participation du privé venait de Du Maurier, un fabricant de cigarettes, industrie sale s'il en est une pour les prêcheurs du privé noble.
Et puisqu'on continue, est-ce que le centre Georges-Vézina, payé et rénové par les fonds publics, est un centre de quêteux? Et le nouvel amphithéâtre de Shawinigan? Un aréna de quêteux? Et les salles de spectacle en projet partout au Québec? Tous des édifices de quêteux?
À part le Centre Bell, on voudrait que le nouveau Colisée de Québec soit le seul édifice de sport privé au Québec? Par ailleurs, Georges Gillett était propriétaire du Centre Bell. Il a fait un profit de 300 millions en le revendant. C'est la récompense du privé. C'est parfait, oncle George a été astucieux, il a gardé le cash.
Par ailleurs, le nouveau propriétaire d'une équipe à Québec va être un entrepreneur privé. Il va payer l'équipe, il va louer le Colisée, il va payer un juste prix et il va prendre le risque d'un déficit. C'est de la business. Mais Stephen Harper a tort et raison quand il dit que le gouvernement canadien n'a pas à investir dans le sport professionnel. Il a raison dans sa phrase mais il a tort en liant le nouveau Colisée aux Nordiques. La construction d'un amphithéâtre capable de servir les besoins des citoyens de Québec et de l'est du Québec est une chose et une équipe professionnelle en est une autre. Je ne demande pas à MM. Harper et Charest de payer pour une équipe de hockey. Je demande qu'on aide Québec comme on aide la F1, le stade Uniprix, le stade Saputo, le NASCAR, Tout sur moi, tous les films d'auteur plates à mourir mais qui sont essentiels, semble-t-il, pour la culture, le Quartier des spectacles, l'industrie du bois, de l'aluminium, tout, tout, tout.
Et cette aide n'est pas fondée sur la charité. Elle est fondée sur ce qu'est le Québec depuis la Révolution tranquille. C'est une société mixte, une social-démocratie. Le Québec moderne a été bâti grâce à une intervention énergique du public dans son économie. Ça remonte à Jean Lesage, ça passe par René Lévesque et Jacques Parizeau et ça se poursuit avec Jean Charest et Raymond Bachand.
Je ne dis pas que c'est le modèle parfait. Mais c'est le modèle qui sert encore. Les études montrent que les ordres de gouvernement pourraient retrouver leurs billes en investissant dans un édifice moderne à Québec. Ce qui est vrai pour le public n'est pas vrai pour le privé. Puisque le privé ne touche pas les centaines de millions en impôts et en taxes générés par l'utilisation de l'édifice pendant ses années de vie.
Alors, si on veut faire le procès d'un Colisée de quêteux, qu'on fasse le procès de toute une société de quêteux. Si c'est ce que la population veut, au moins ça sera clair.
Mais avant de tout saccager, vaudrait mieux jeter un coup d'oeil du côté des États-Unis. Près de 40 millions d'Américains ne mangent plus à leur faim. Des millions d'entre eux ont perdu leur maison. Et le filet social a de très larges mailles dans cette société confiée à l'entreprise privée.
Une société de quêteux comme celle du Québec redistribue l'argent. C'est souvent agaçant quand ça va bien. Mais c'est mauditement rassurant quand les choses se corsent.
C'est ça, le vrai débat.


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