Un peuple qui meurt, ça meurt longtemps

Falardeau a laissé un grand vide

J’ai dû regarder cette entrevue de Pierre Falardeau à Tout le monde en parle du 26 octobre 2008 plus d’une dizaine de fois. Il nous manque, collectivement, Falardeau.



Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il dit; rien de plus normal. Il ratisse large quand il égratigne. Particulièrement cette fois-là. L’animateur Guy A. Lepage questionnera Falardeau sur la politique, sur l’état du mouvement indépendantiste.



Faut comprendre que Falardeau se présente sur le plateau de TLMEP quelques jours après les élections fédérales qui s’étaient tenues le 14 octobre 2008. Le Bloc québécois fera élire 49 députés.



Mais Lepage fait remarquer d’entrée de jeu que lors de l’élection de 2008, on avait remis en question le rôle du Bloc à Ottawa. Comme quoi ces débats-là durent longtemps.



Sans surprises, et avec force convictions, Pierre Falardeau ne s’embarrasse pas des sous-questions et des querelles qui divisent les indépendantistes.



«Est-il temps de passer à autre chose que l’indépendance?» demande Guy A. en sachant bien la réponse.



Et Pierre Falardeau répondra ceci:



«Moi je n’abandonnerai jamais. [...] Si on choisit collectivement d’abandonner, y’a un prix à payer pour ça. Si on choisit de s’écraser, si on choisit de s’allonger, le monde y vont s’essuyer les pieds sur nous autres. Pis les peuples qui meurent, ça meurt longtemps. Pis c’est douloureux, pis ça fait mal. Faque, si vous décidez d’abandonner ça va être bin long, pis ça va être tough. Vous avez besoin d’être tough.»



Il m’arrive de me demander si nous ne sommes pas un peu rendus là. C’est qu’il n’y a pas de point de chute clairement identifiable à ces choses-là. On ne peut pas dire: «Voilà! Ce peuple a abandonné ce jour-là!»



C’est plus complexe que ça. Il y a bien des dates charnières et le référendum de 1995 en sera une, assurément. Nous sommes encore trop contemporains de cette fracture pour en saisir la complète étendue. Nous vivons encore les stigmates de ce rendez-vous avorté. Au Québec, au Canada aussi.



Il est indéniable que la population en général ressent une certaine lassitude quant à la question nationale. Aussi, quand on y ajoute les querelles du mouvement indépendantiste – que les adversaires du dit mouvement aiment bien faire durer le plus longtemps possible tout en amplifiant le tout au possible, c’est indéniable – voilà qui n’aide en rien à susciter quelque enthousiasme que ce soit.



Et si cette lassitude se transforme en indifférence? Cette «nation québécoise», qui existe bel et bien, ce peuple qui s’est inscrit dans la durée et qui s’est forgé une identité, une histoire, qui s’enorgueillit de ses héros, et qui panse les plaies de ses échecs aussi, cette nation est-elle prête, collectivement, «à abandonner»?



Quand une nation abandonne, quand elle rend les armes et accepte sa fatale assimilation, elle connaît les conditions de sa reddition. Pour un temps, une existence folklorique, et à long terme, l’oubli.



Dans l’état actuel des choses, il me semble assez clair que le Canada est tout à fait disposé à ce que la nation québécoise prenne son temps.



Et quand un parti au Québec joue la carte du «Québec fort dans un Canada uni», il se moque des Québécois. Jamais le Québec n’a été si mal représenté à Ottawa que par le gouvernement le plus fédéraliste de notre histoire, celui de Philippe Couillard.



«Si on choisit de s’écraser, si on choisit de s’allonger, le monde y vont s’essuyer les pieds sur nous autres.»



Le bouillant cinéaste ajoutera au cours de la même entrevue que les luttes d’indépendance nationale sont, par définition, de longs combats. Il me semble quand même que nous soyons, collectivement, à une sorte de «croisée des chemins». Un moment charnière du moins.



Une chose dont je suis absolument convaincu, c’est que cette nation francophone en Amérique du Nord a montré hors de tout doute qu’elle était endurante. Et quand on l’a donnée pour battue, elle a surpris par sa résilience.