Une amitié aveugle

M. Harper ne semble pas avoir compris que ce n'est pas l'amitié entre les deux pays qui pose problème, mais le caractère inconditionnel que lui a donné le gouvernement conservateur.

"Libérez Gaza" - 1ère Flottille humanitaire - le "Mavi-Marmara" -



L'automne prochain, le Canada espère être choisi pour siéger pendant deux ans au prestigieux Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU). Mais s'il y avait été hier et avant-hier, qu'aurait-il dit durant le débat sur l'attaque meurtrière de l'armée israélienne contre le convoi humanitaire à destination de Gaza?
Le CSNU n'a pas adopté de résolution dite contraignante. (On peut d'ailleurs douter de ce supposé pouvoir contraignant des résolutions onusiennes quand on voit le sort réservé par Israël à celles concernant les territoires occupés.) Les 15 membres du Conseil ont opté pour une déclaration du président. C'est moins percutant, mais ce qu'on tend à oublier est que pareille déclaration exige l'unanimité. Le Canada y aurait-il consenti?
Cette déclaration va plus loin que tout ce que le Canada a dit jusqu'à présent sur cette attaque en eaux internationales. Le Conseil «regrette profondément les pertes de vies humaines et les blessures provoquées par l'emploi de la force durant l'opération déclenchée par l'armée israélienne dans les eaux internationales contre le convoi faisant voile vers Gaza. Dans ce contexte, le Conseil condamne ces actes ayant entraîné la mort d'au moins 10 civils et fait de nombreux blessés». Il demande, par conséquent, une enquête «prompte, transparente, crédible et impartiale, dans le respect des normes internationales». Les 15 membres soulignent aussi la grande inquiétude «que suscite la situation humanitaire à Gaza».
Le Canada, lui, se contente de déplorer ce qu'il appelle un «incident qui a fait des morts et des blessés». Le premier ministre Stephen Harper et le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, ont ajouté, sans plus, que «nous cherchons à obtenir davantage de renseignements afin de faire la lumière sur ce tragique incident». On ne condamne pas, on ne dénonce pas, on n'exige pas d'enquête. Hier encore, le premier ministre a refusé de reprendre à son compte la demande d'enquête impartiale du Conseil de sécurité.
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Pareilles paroles, dites ainsi du bout des lèvres, peuvent facilement être confondues avec un silence. Pourtant, il fut une époque où le monde dénonçait chaque destruction de maison palestinienne menée en représailles contre un acte violent commis par un membre de la famille. Aujourd'hui, on n'en entend pratiquement plus parler.
Il est vrai que le châtiment collectif a atteint une telle proportion avec Gaza qu'on ne s'émeut plus d'une modeste résidence brisée à coups de bélier. Gaza, c'est une prison à ciel ouvert. On y a doublé tous les verrous au début de 2008 pour, officiellement, faire pression sur le Hamas qui avait pris le contrôle total de ce territoire à la suite d'un affrontement avec le Fatah. Mais au lieu de cibler le Hamas, Israël a choisi de punir toute la population. Depuis, 1,5 million de Gazaouis sont réduits à une indigence toujours plus humiliante. Et malgré des promesses en ce sens, on a refusé de relâcher l'étau pour permettre la reconstruction au lendemain de l'offensive contre Gaza à la fin de 2008 et au début de 2009.
Le secrétaire adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies, John Holmes, déclarait en mars dernier que «plus d'un an après le conflit qui a opposé les forces israéliennes aux militants du Hamas, la reconstruction de Gaza est au point mort. [...] L'impossibilité d'entreprendre la reconstruction compromet par conséquent le développement de cette zone et la création d'emplois pour une population locale en proie à une grande frustration.»
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Stephen Harper, lui, n'a même pas profité du passage à Ottawa du premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, lundi, pour exiger des explications sur les derniers événements. Le meilleur ami que l'État hébreu compte actuellement dans le monde a préféré se montrer conciliant.
M. Harper ne semble pas avoir compris que ce n'est pas l'amitié entre les deux pays qui pose problème, mais le caractère inconditionnel que lui a donné le gouvernement conservateur. En 2006, durant l'offensive dans le sud du Liban, M. Harper avait qualifié l'action de l'armée israélienne de «mesurée». Interrogé en février 2009 sur la réplique israélienne à Gaza, le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, avait répondu à l'auteure de ces lignes: «Elle est mesurée. Elle est correcte. Elle est parfaite. Je n'ai pas de problème avec ça et le gouvernement du Canada n'a pas de problème avec ça. Un pays qui est agressé a le droit de se défendre.»
Selon l'ancien ambassadeur du Canada aux Nations unies Robert Fowler, conservateurs et libéraux ont trop tendance à modeler leur politique étrangère sur leurs intérêts partisans. Cela fait, par exemple, qu'on ménage Israël pour mieux courtiser l'électorat juif canadien, a-t-il osé dire en mars dernier.
Que la politique de Stephen Harper soit motivée par des calculs partisans ou des convictions profondes, elle tranche avec la tradition canadienne. Les événements des derniers jours viennent le rappeler au monde, ce qui pourrait nuire à la performance du Canada au moment de l'élection des prochains membres non permanents du Conseil de sécurité. Ce cénacle de la diplomatie mondiale a des exigences qui, pour une puissance moyenne qui veut exercer une véritable influence, se conjuguent avec nuances, compassion et équilibre, tout ce qui manque à la politique sur le Moyen-Orient de ce gouvernement.
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mcornellier@ledevoir.com


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