Commission Bastarache

Une brèche dans le mur de Chine du Bâtonnier!

Bellemarre refuse de témoigner*

Chronique de Louis Lapointe

Vous vous souviendrez sans doute de cette chronique intitulée « En attendant la vraie commission», où je vous entretenais au sujet du petit monde des avocats et de la commission Bastarache.

« Le milieu juridique est un bien petit monde avec ses rumeurs, certaines plus scabreuses que d’autres. Petits et gros problèmes éthiques en perspectives … D’autres difficultés sont également à prévoir, le nouveau Bâtonnier du Québec est l’associé d’un des membres de cette commission. Comment pourra-t-il rappeler ses confrères à l’ordre sans qu’on l’accuse de prendre parti si la commission devient le lieu d’une chicane entre avocats (...)? »

Une chronique que j’ai écrite le 13 mai dernier. Étonnamment, les journalistes de Radio-Canada viennent de découvrir un mois et demi plus tard que le Bâtonnier du Québec était l’associé du procureur principal de la commission Bastarache:

Ouverture d'une quatrième enquête,

« Le bâtonnier lui-même est dans une situation délicate : il est proche du procureur principal de la commission Bastarache, Me Giuseppe Batista, qui doit enquêter sur le processus de nomination des juges. Il en est un ami et l'associé depuis 10 ans.

Mais le bâtonnier du Québec n'y voit aucun problème :

Dès le départ, nous avons mis en place au sein du Barreau des mesures qu'on appelle dans le jargon un mur de Chine, c'est-à-dire qu'il y a aucun contact, aucune discussion, aucun échange entre Me Batista et moi sur un sujet lié de près ou de loin à la commission Bastarache.

— Me Gilles Ouimet »

Par ailleurs, la femme de Marc Bellemare, qui est la bâtonnière de Québec, faisait partie du comité exécutif du Barreau lorsque fut prise la décision de tenir une enquête sur les faits allégués par son mari. Elle s'est retirée des délibérations pour éviter tout conflit d'intérêts. »

Un bien petit monde, en effet…

***

Le principe du mur de Chine défendu par le Bâtonnier du Québec, Me Gilles Ouimet, peut tenir entre deux avocats occupant des fonctions juridiques au sein d’un même cabinet. Il n’est cependant d’aucune utilité entre un détenteur d’une fonction politique et celui d’une fonction juridique, comme c’est le cas entre le Bâtonnier du Québec et le procureur principal de la commission Bastarache.

La première chose qu’on apprend lorsqu’on devient un dirigeant du Barreau du Québec, c’est que tous les dossiers du Barreau sont aussi les dossiers du Bâtonnier. Or, le Bâtonnier représente le Barreau du Québec et son associé, Giuseppe Battista, la commission Bastarache. Difficile d’ériger un mur dans un tel contexte. Même s’il ne parle pas avec son associé de l’affaire Bellemarre, il sera tôt ou tard confronté au problème de choisir entre les intérêts de son cabinet, ceux du public et ceux du Barreau Québec, ce qu'on appelle communément un conflit d'intérêts.

Je vous laisse juste imaginer le dilemme que vit en ce moment Me Ouimet devant la bêtise qui se déroule sous nos yeux. Son associé est procureur principal d’une commission qui n’en finit plus de déraper et qu'il soutient. Pourquoi? Par devoir de réserve, par respect pour l’institution, pour soutenir l’image de la justice, par éthique ou tout simplement parce qu’il ne veut pas porter ombrage à son associé et à son cabinet où il retournera travailler à la fin de son mandat dans un an ? Comment distinguer les intérêts de l’ordre et ceux du Bâtonnier? Des questions qu’il est légitime de poser dans les circonstances.

***

Chance ou malchance? Me Battista est probablement l’avocat le plus compétent au Québec pour mener une telle enquête, mais voilà, il est aussi l’associé du Bâtonnier du Québec. Sachant cela, pourquoi Me Bastarache l’a-t-il nommé ? Pour contraindre le Bâtonnier du Québec au silence ou, du moins, à une certaine réserve? Le mur de Chine érigé par ce dernier n’en serait-il pas, justement, la plus éloquente manifestation?

Fait étonnant, personne n’a osé aborder publiquement la question du conflit possible entre les fonctions du procureur de la commission Bastarache et celles du Bâtonnier avant que ce dernier ne l’aborde lui-même en entrevue à Radio-Canada.

Pourquoi les journalistes se sont-ils imposé ce silence au sujet de la délicate situation qui existait entre le procureur principal de la commission Bastarache et le Bâtonnier jusqu’à ce que celui-ci décide d’en parler, en profitant pour les mystifier avec cette fiction qu’on nomme dans le jargon de la profession « muraille de Chine», et qui ne s’applique qu’entre praticiens du droit et dans des circonstances bien particulières, ne réglant nullement l’insoluble antinomie qui s’est établie entre le Bâtonnier et le procureur principal de la commission Bastarache, opposant le politique au juridique?

***

Malgré toutes les compétences du Bâtonnier et du Barreau du Québec à contrôler le message dans les médias, cela ne changera absolument pas le problème fondamental que pose cette commission. Il existe bel et bien, dans le présent cas, un conflit entre le devoir du Barreau de protéger le public et le fait que ce dernier soutienne la commission Bastarache en y participant, alors que tout indique que cette commission a de sérieux problèmes d’indépendance et d’impartialité**.

Le mur de Chine érigé par le Bâtonnier du Québec ne corrigera pas la situation et n’apportera pas plus de crédibilité à une commission qui accuse déjà un sérieux déficit à ce chapitre. La position du Barreau risque même de nuire à la réputation d'excellents avocats qui n'avaient rien à se reprocher jusqu'à ce jour et qui sont malencontreusement embarqués dans cette galère. Rien de réjouissant pour l'image du Barreau, mais tout de même une raison de plus pour mettre fin à cette commission bidon! La rhétorique du Bâtonnier n’y changera rien.

*Même après la levée de son serment, Bellemarre refuse de témoigner,

**La commission Bastarache doit-elle se saborder ?, par Claude Gélinas

***

Sur le même sujet :

Le citoyen Marc Bellemarre

Les jérémiades de Me Cimon

Michel Bastarache devrait démissionner!

Le paradoxe de Bellemarre

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 juillet 2010

    En France l'affaire Bettencourt,mis à jour par Médiapart, tourne à l'affaire d'État. Pour se défendre le clan Sarkosy a instrumentalisé certains juristes proches du régime.
    Plutôt que de garder un silence complice, comme ici au Québec, le monde juridique monte à la défense de l'intégrité des institutions:
    Mediapart accueille l'Appel du 14-Juillet pour une justice indépendante et impartiale dans les affaires Bettencourt.
    http://www.mediapart.fr/club/blog/la-redaction-de-mediapart/140710/plus-de-15000-signataires-de-lappel-pour-une-justice-inde
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    4 juillet 2010

    Ils se croient tous au-dessus de la LOI. Et exemptés de peines.
    Ne sont-ils pas la LOI après tout ?