Qu’est-ce qu’on entend partout depuis le début de la campagne ? Les gens trouvent qu’il s’agit d’une campagne bien plate. On ne parle pas des vrais enjeux. On insiste trop sur les anecdotes et les incidents sans lendemain.
Sans doute parce que je m’intéresse à ces choses-là, je trouve au contraire que c’est une campagne intéressante, qui soulève des enjeux importants, où s’affrontent deux visions de la société. Cette campagne n’est pas plate, mais c’est une drôle de campagne. Elle est différente en raison du contexte politique unique dans lequel elle se déroule. Et cela explique peut-être pourquoi elle n’éveille pas l’intérêt et à plus forte raison la passion d’électeurs privés de leurs repères habituels.
La première spécificité, c’est l’effet de répétition. C’est la troisième fois en 52 mois que les Canadiens vont aux urnes. Des élections en 2004, en 2006 et maintenant en 2008. C’est beaucoup. Ça fait italien. Cela explique, en partant, pourquoi les gens ont un sentiment de déjà-vu et ne peuvent pas manifester le même enthousiasme qu’en temps normal.
La seconde spécificité de cette campagne, c’est l’effet de certitude, l’inévitabilité de son dénouement. Les sondages nous disent et redisent que la victoire conservatrice est assurée et que les libéraux se dirigent vers un échec. Bien sûr, il faut toujours faire preuve de prudence car les choses peuvent changer rapidement. Mais c’est certainement ce scénario, au demeurant le plus probable, qui colorera les perceptions et les attitudes des citoyens.
En soi, la réélection d’un gouvernement sortant n’a rien de très spécial. Mais dans le cas qui nous occupe, si les sondages permettent de croire que les conservateurs feront des progrès et disposeront d’un mandat plus fort, on ne sait toujours pas si ce gouvernement sera majoritaire ou minoritaire. C’est ainsi que la nature et l’ampleur de la victoire conservatrice sont devenues les enjeux principaux de ces élections. Parce que bien des gens craignent qu’un programme caché ne permette aux conservateurs, s’ils étaient majoritaires, d’amorcer un virage à droite qui amènerait bien des Canadiens là où ils ne veulent pas aller.
C’est la première fois au Canada que les enjeux politiques se posent en ces termes-là. Et cela change la dynamique électorale de plusieurs façons, par exemple des attaques démagogiques des partis de l’opposition et la modestie des promesses d’un Parti conservateur qui veut rassurer. Mais surtout, cela nous amène à accorder une attention plus grande au parti gouvernemental, pour essayer de décoder ce qu’il pourrait devenir, et à moins de nous intéresser à l’affrontement entre les partis et à la joute électorale elle-même. Cela prive cette campagne d’un élément dynamique important.
Par ailleurs, on l’a vu dans le passé, la certitude de la victoire d’un parti politique ne tue pas l’intérêt que peuvent susciter ses adversaires. Parce que des revirements sont possibles et parce que, souvent, l’opposition d’aujourd’hui, même sans chances de gagner, formera peut-être le gouvernement de demain, une perspective suffisante pour porter intérêt à ses idées et à son programme.
Mais cette fois-ci, il est fort possible que le chef libéral Stéphane Dion ne se remette pas de son échec. S’il ne fait pas progresser les libéraux, il devient un homme marqué, et sera vraisemblablement remplacé par quelqu’un qui sera capable de redonner son élan au parti. Si M. Dion ne réussit pas à inverser la tendance, plus la campagne avancera, plus il deviendra transparent.
L’exercice traditionnel qui consiste à comparer les programmes des différents partis, en principe une manifestation de maturité démocratique, devient alors un peu futile. Pourquoi décoder le Tournant vert si celui qui le défend disparaît de la carte ? À plus forte raison, pourquoi comparer le programme de partis qui ne peuvent pas aspirer au pouvoir ?
Enfin, les craintes d’une victoire majoritaire amèneront certains électeurs à vouloir freiner l’avance conservatrice. Mais le vote stratégique, par définition, est un vote de calcul plutôt qu’un vote de conviction. Il amène à choisir un parti pour des raisons qui tiennent au hasard géographique. Quand on est dans un tel état d’esprit, les programmes et les idées n’ont pas beaucoup de place.
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