Régulièrement, les consommateurs ont recours aux ressources en ligne pour vérifier la crédibilité des professionnels et des autres personnes qui sollicitent leur confiance. Cette commodité pourrait tirer à sa fin. Dans un projet de politique rendu public la semaine dernière, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVPC) préconise d’obliger les moteurs de recherche à supprimer les liens menant à des documents, peu importe que ces liens conduisent à des documents qui sont parfaitement conformes aux lois. Les personnes qui souhaitent cacher des informations pourraient forcer les moteurs de recherche à effacer les hyperliens qui y conduisent sans avoir à démontrer leur caractère illégal.
Actuellement, il est bien établi au Canada que les tribunaux peuvent, après avoir constaté qu’un document se trouvant sur Internet contrevient aux lois, ordonner sa suppression. Les juges ordonnent aussi la suppression des liens hypertextes menant à des documents contraires aux lois. Il y a donc un équilibre entre le droit de rechercher librement des informations et le droit de protéger la vie privée et la réputation. Dès lors qu’il est démontré qu’un document viole la réputation d’une personne ou sa vie privée, un juge peut ordonner sa suppression de même que l’effacement des hyperliens qui y conduisent. Le CPVPC propose de rompre cet équilibre.
Équilibre rompu
Le CPVPC s’appuie sur une interprétation extrême de la législation sur la protection des renseignements personnels. Une interprétation qui a pourtant été écartée par la Cour suprême. Selon le raisonnement du CPVPC, lorsqu’un internaute introduit le mot « rose » et le mot « petit » dans une requête sur un moteur de recherche, cela ferait en sorte que le moteur de recherche recueille, utilise et communique des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels s’il s’avère que les mots correspondent au nom d’une personne !
L’approche du CPVPC fait abstraction du fait que les informations qui sont licitement en ligne font partie de l’espace public. Par exemple, les médias en ligne présentent des informations sur les faits et gestes publics d’un très grand nombre de personnes. On veut donner à ceux qui ne veulent pas que ces informations publiques circulent sur Internet le droit de forcer un moteur de recherche à effacer les liens qui y conduisent. Et cela sans qu’un juge évalue la légalité des documents concernés.
Il s’agit en substance d’importer au Canada la vision extrême émanant d’une décision rendue en 2014 par la Cour de justice de l’Union européenne. Cette décision décrétait qu’un individu vivant en Europe peut exiger que les moteurs de recherche suppriment des listes de résultats les liens qui conduisent à des documents licitement en ligne qui comportent son nom et qu’il veut rendre invisibles.
Effacer l’histoire gênante ?
Au nombre des informations menacées par ce veto accordé à ceux qui veulent faire oublier leurs faits publics, il y a les archives des médias et les autres informations ayant un caractère historique. Les clientèles naturelles de tels recours en effacement d’hyperliens sont les personnes condamnées ou les professionnels ayant fait l’objet de sanctions disciplinaires qui peuvent trouver opportun d’occulter un passé gênant.
Avec le mécanisme mis en avant par le CPVPC, nul besoin de faire constater l’illégalité d’un document pour réclamer qu’il soit camouflé. Le document demeure en ligne, mais il est effacé des résultats de recherche destinés aux simples citoyens. Mais ceux qui font profession de fouiller le passé des gens à des fins lucratives peuvent continuer à utiliser d’autres moyens pour chercher des informations sur de futurs employés, débiteurs ou ex-conjoints ! On ne fait que rendre les documents licites plus difficiles à trouver. Plutôt broche à foin comme mode de protection de la vie privée !
Le CPVPC tient pour acquis que les informations qui circulent sur le Web sont toutes sujettes à un « consentement » révocable des personnes. Or, les informations qui se trouvent licitement dans l’espace public ne le sont pas en raison d’un « consentement » des personnes. Un condamné pour une agression sexuelle n’a pas à consentir à ce que les informations sur ses délits soient disponibles au public. Le public a intérêt à connaître ce type d’information. S’il se souciait du droit du public à l’information, le CPVPC postulerait plutôt que les informations licitement en ligne sont des renseignements publics et non des renseignements intimes, comme le sont les informations se trouvant dans les dossiers de crédit ou les dossiers médicaux.
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