CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS

Vous avez dit... "société laïque" ?

Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier


Pour déterminer la place de la religion dans une société laïque, j'ai, [dans ma chronique précédente->12530], limité et balisé le concept de liberté religieuse en revenant, finalement, à son sens originel, historique, celui de la liberté de croyance et de culte. La liberté de religion signifie donc clairement: la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté d'exprimer ses croyances, verbalement ou par écrit, et la liberté de pratiquer les cultes religieux. Cette liberté, ai-je aussi montré, relève de la sphère privée et j'ai expliqué ce que cela voulait dire et ne pas dire. Dans une société laïque, cette liberté exclut le "droit d'AFFICHER son appartenance ou son identité religieuse", "droit" qui, de surcroit, ne fait pas partie de la pratique religieuse, du culte comme tel.
Comme c'est ce qui chatouillera certainement le plus les tenants et tenantes de la liberté religieuse sans aucune restriction, il me faut expliquer maintenant pourquoi ce "droit" est exclu dans une société laïque, et démontrer (disons à la "demande" du B'nai Brith...) au nom de quel "intérêt général supérieur" une société laïque circonscrit le sens de la liberté de religion et ce, sans être "liberticide" pour autant, loin de là. (Avouons que les limites déterminées sont, tout compte fait, assez minces!)
Avant même l'annonce de la mise sur pied de la Commission Bouchard-Taylor, Nathalie Collard mentionnait (31 janv. 07) la nécessité d'établir les grands principes régissant notre société, et Louis Bernard (6 fév. 07) soulignait celle d'établir des principes directeurs pouvant servir de balises dans la définition des accommodements qui sont souhaitables, et faisant "explicitement le lien entre les droits individuels et les règles du comportement à l'école, au travail et dans les autres lieux publics". Voici donc ces principes qui sont, en bout de ligne, une synthèse de ce qui semble faire largement consensus dans ce qui s'est dit, présenté et écrit à l'occasion des travaux de la Commission Bouchard-Taylor.
LES PRINCIPES FONDAMENTAUX D'UNE SOCIÉTÉ LAÏQUE
Une société laïque est un monde séculier où la religion n'a pas un caractère normatif.
Aucune valeur culturelle ou religieuse ne peut se placer au-dessus des lois civiles.
Le Droit du pays est le même pour tous et s'applique à tous de la même façon. Cela signifie que les lois civiles ont préséance sur les lois religieuses, et que les mêmes droits s'appliquent à tous et toutes, selon les lois du pays.
Le principe de l'égalité de tous devant la loi a préséance sur les préceptes religieux, sur la liberté de religion ou de croyance. (Une clause sera d'ailleurs bientôt ajoutée dans la charte québécoise à ce propos, et l'article 28 de la charte canadienne prévoit la protection de l'égalité des sexes.)
La mixité est une caractéristique fondamentale d'une société laïque et se vit dans tous les espaces publics où hommes et femmes cohabitent et vivent en toute égalité.
La Charte des droits et libertés de la personne assure des droits FONDAMENTAUX et établit une distinction juridique entre ce qui est un droit fondamental et ce qui n'en est pas un. En ce qui concerne la religion, le "droit d'afficher son appartenance ou identité religieuse", le "droit de prier en public", le "droit de porter une arme" et le "droit de ne pas montrer son visage en public" ne font pas partie des droits fondamentaux.
Toute personne a le droit de pratiquer sa religion dans des lieux de culte déterminés à cet effet (église, mosquée, synagogue, temple), mais non dans des lieux publics. L'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui garantit la liberté de conscience, de religion et d'expression, doit s'entendre comme "toute personne a le droit de pratiquer la religion de son choix, dans un lieu de culte donné et selon les rites propres à chacune". (Françoise Simard)
Dans la vie publique -- dans tout espace public --, le port de signes ou symboles religieux permettant l'identification immédiate d'une appartenance religieuse n'est pas un droit, sauf pour les chefs religieux (prêtres, imams, rabbins...). NOTE: par espace public, il faut entendre: "les locaux de l’administration publique, centrale et décentralisée, les palais de justice, les prisons, les hôpitaux, les CLSC, les municipalités locales, les MRC, les communautés métropolitaines, les garderies, les écoles primaires et secondaires, les cégeps et les universités, etc." (Paul Bégin)
Un Etat laïc ne subventionne pas d'organismes religieux, incluant les écoles et ce, de quelque confessionnalité qu'elles soient. L'État n'a pas l'obligation de fournir les moyens de la pratique religieuse, mais seulement d'en garantir la liberté de pratique.
QUELQUES MESURES SPÉCIFIQUES DÉCOULANT DE CES PRINCIPES
Le Québec déclare haut et fort que l'excision et l'infibulation sont des pratiques interdites dans notre pays.
Le Québec proclame haut et fort l'interdiction de la polygamie.
Le port du niqab (appelé aussi tchador) et de la burka sont interdits dans tout espace public. La vie sociale se vit à visage découvert. Le "droit de ne pas montrer son visage" n'est pas un droit reconnu.
Les pratiques qui maintiennent les femmes en état de soumission et sous la domination des hommes sont interdites, comme étant une atteinte à la démocratie et à l'égalité.
Le [port du kirpan est interdit->mot1161] en tant qu'arme aussi bien défensive qu'offensive. (D'ailleurs, à ce sujet, s'est-on demandé pourquoi le jeune Gurbaj Singh Multani, ou ses parents, ont prétendu que la lame du kirpan devait absolument être en métal? Selon un compte-rendu de Radio-Canada en 2003 sur le jugement rendu par la Cour suprême du Canada, il signifierait que la personne qui le porte est prête à défendre sa foi. Mais c'est bien plus que cela: selon Wikipedia, il sert à rappeler le besoin de lutter contre l'oppression et l'injustice, et donc, de s'en servir quand ce besoin se présente!)
PERSPECTIVE D'AVENIR
Aurons-nous le courage d'affirmer haut et fort ces principes et, d'un côté comme de l'autre, celui de la majorité et des minorités demanderesses, aura-t-on la SOUPLESSE de FAIRE LES CONCESSIONS NÉCESSAIRES pour [arriver à ce "raccommodement raisonnable" souhaité par Boucar Diouf?->12566] -- C'est ce que nous examinerons la semaine prochaine.


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2 commentaires

  • Jacques Deschenes Répondre

    3 avril 2008

    J’avoue bien candidement que j’ai hésité avant d’appuyer une démarche qui interdirait tous signes extérieurs manifestant une appartenance religieuse quelquonque. Je suis de l’école vivre et laissez vivre.
    Cependant la perspective de voir un milieu social dominé par une ou des croyances dogmatiques me causent aussi bien du tracas. Je suis aussi bien conscient de la faiblesse des milieux juridiques pour décider du droit « à la pratique religieuse » où le simple fait de démontrer une « croyance sincère » sert à donner raison à un demandant d’accommodements raisonnables. Je cite ici le cas Val-Morin où les juifs hassidiques tentent d’imposer la suprématie de la conscience religieuse face à une question de zonage ( au détriment de la vie communautaire des habitants de Val-Morin ). Au moment d’écrire ce mot la cour supérieure vient de débouter Me Julius Grey pour cette cause :
    http://www.canoe.com/infos/quebeccanada/archives/2008/04/20080403-081031.html
    L’autre cas qui me préoccupe est celui du port du voile islamique qui encore une fois, donne préséance à une croyance religieuse sur un mode de vie commun. Je cite ici M. Richard Martineau dans un de ses articles parus dans Elle Québec. Il devient de plus en plus évident que les manifestations de signes religieux est un geste POLITIQUE et non seulement une démonstration de la foi.
    « Des femmes qui ont du cran
    2008-02-13 00:00:01 de
    Richard Martineau
    MIMOUNA HADJAM
    Cette féministe arabe vit à La Courneuve, une des banlieues de Paris qui ont explosé en 2005. Pour elle, le voile n'est pas un bout de tissu banal, mais un symbole d'oppression.
    «Nous sommes contre tous les foulards, qu'ils soient portés à Téhéran, à Kaboul, à Alger ou à Marseille, et qu'ils recouvrent le corps en partie ou totalement, car les foulards du monde entier expriment une même chose: la soumission forcée des femmes à un programme d'oppression.
    «Le mercredi et le samedi, on voit dans les cités des gamines de moins de 10 ans se diriger vers les cours religieux, foulard sur la tête. Cette initiation au port du foulard se fait sous la force tranquille de l'entourage, pour amener la fillette à revendiquer "son" foulard vers 14 ans, en clamant que c'est son choix.
    «Nous nous opposons aux intégristes, pour qui la bataille autour du foulard est une étape pour tester le camp des laïcs et pour aller plus loin vers l'interdiction de la mixité. Nous nous opposons également aux défenseurs des droits de l'homme qui veulent soi-disant respecter la culture des autres.»
    TASLIMA NASREEN
    Cette auteure bangladaise est menacée de mort parce qu'elle a osé critiquer les fondamentalistes musulmans. Voici ce qu'elle dit au sujet des Occidentaux de gauche qui tolèrent l'inadmissible sous le couvert de la liberté de religion: «Ces gens appuient le port du voile au nom du multiculturalisme. Ils sont pour l'égalité des sexes mais permettent aux musulmanes de porter le voile sous prétexte que ça fait partie de leur culture.
    «C'est une grave erreur. En effet, quoiqu'on en dise, le voile est un signe d'oppression, point.
    «Certaines cultures pratiquent l'excision. Devrait-on permettre cet acte barbare sous prétexte qu'il faut respecter la culture des autres?
    «J'aime la culture de mon pays. Mais la torture, ce n'est pas de la culture! Permettre le port du voile dans les pays occidentaux, c'est donner le feu vert aux fondamentalistes, c'est prendre le parti de la foi aveugle contre celui de la logique, et choisir l'oppression plutôt que la liberté.»

    CHAHDORTT DJAVANN Cette Iranienne a revêtu le voile pendant 10 ans (de l'âge de 13 à 23 ans) sous la contrainte. Elle sait donc de quoi elle parle. Dans l'essai Bas les voiles!, elle s'élève contre le sort réservé aux femmes dans les pays islamistes.
    «Les Occidentaux acceptent le voile sous prétexte que les musulmanes qui le portent le font de façon volontaire. Mais si des jeunes Juifs commençaient à exhiber l'étoile jaune en clamant “C'est ma liberté”; si des jeunes Noirs décidaient de porter des chaînes au cou et aux pieds en disant “C'est ma liberté”, la société ne réagirait-elle pas?
    «On dit que le hidjab est moins oppressif que la burqa. Mais qu'il soit question de la burqa ou du foulard coloré, la signification est la même. Parler de foulard, de bandeau, n'est qu'une lâcheté sémantique, c'est une misérable ruse rhétorique. Porter le foulard ici est un appui aux dictatures islamistes qui imposent la burqa là-bas. Le voile est l'emblème même du dogme islamiste.»
    En cette époque de grande confusion où on accepte les pires aberrations sous le prétexte du respect des autres, ces trois femmes sont mes héroïnes. » Fin de la citation.
    Alors je plaide haut et fort pour une société laïque et j’ajouterais pour une société laïque et HUMANISTE, c’est-à dire, une société où la réflexion, la méditation, la manifestation de gestes HUMAINS tels la convivialité, la gentillesse, le respect de la femme, sont mis à profit.
    Peut-être n’avons nous pas réalisé l’ampleur des décisions que nous avons prises dans la « Révolution tranquille » mais nous avons déclaré que nous désirions vivre dans une société où nous voulions, tous ensemble, DÉCIDER de la façon de faire sociale dans laquelle nous voulions baigner. Ceci exclus toute forme de dictats religieux à mon avis, car lorsque nous sommes à la merci d’un dictat religieux nous nous fermons à toutes possibilités de réfléchir, de se remettre en question et d’établir ce qui semble juste pour la majorité.
    À tous ceux et celles qui osent penser que la laïcité humaniste pourrait être dogmatique, je répondrai ceci : choisir entre la faculté de réfléchir, de méditer, de s’ajuster, de s’exprimer librement est confronté à la rigidité, à l’esprit moutonnier, aux rejets des décisions d’un peuple, de ses us et coutumes alors je préfère tenter ma chance avec la première option
    Jacques Deschesnes
    Trois-Rivières

  • Jacques A. Nadeau Répondre

    28 mars 2008

    Juste une petite question. Pourquoi est-ce que la circoncision, qui est une mutilation génitale masculine généralement pratiquée sur des bébés, ne ferait-elle pas aussi partie des interdits au Québec ?
    Jacques A Nadeau