1980: Et si le Oui avait gagné ?

Référendum du 20 mai 1980 - 30 ans plus tard



Il y a 30 ans, les Québécois pour la première fois s’exprimaient sur leur statut politique. Oui, pour la première fois. Ils n’avaient pas été consultés par voie référendaire lors de leur entrée dans la confédération en 1867 et ne le seraient pas, non plus, lors de la réforme de la constitution en 1982.
Pour Trudeau, un Oui aurait été un Oui !
Pour Trudeau, un Oui aurait été un Oui!
Il y eut un moment, au printemps 1980, où le camp du Non a craint une victoire possible du Oui. Pour l’histoire, il est intéressant de savoir ce que le Premier ministre canadien de l’époque, Pierre Trudeau, l’adversaire historique des indépendantistes, aurait fait. J’ai traité de la question dans mon livre Sortie de secours. La réponse est étonnante. Voyez plutôt:
Que se serait-il passé si le Oui l’avait emporté le 20 mai 1980, à la question telle que posée, avec une majorité absolue mais assez courte ?
Avant le référendum de 1980, Pierre Trudeau avait lancé des avertissements qui ressemblent à s’y méprendre à ceux lancés en 1995 par son successeur Jean Chrétien et à ceux entendus récemment à l’égard d’un troisième référendum.

- La question claire : jusqu’au jour du référendum, il traitait les souverainistes de « lâches » pour avoir posé une question «ambiguë»
- La majorité claire : lors d’une entrevue à CTV en décembre 1976, il avait déclaré : « je ne me sentirais pas lié par sa victoire (du Oui), surtout s’il s’agissait d’une victoire où 51% des électeurs avaient manifesté leur appui à la séparation du Québec».
- La nécessité de juger la majorité a posteriori : dans la même entrevue, il explique que « le résultat du référendum devra faire l’objet d’un jugement qui tienne compte du moment choisi pour le tenir, du libellé de la question, etc. » et qu’il faudra peser tout cela au lendemain du vote pour savoir s’il convient, ou non, de se plier à la volonté majoritaire.
- L’obligation de négocier : dans un discours important, présenté à la Chambre des Communes un mois avant le vote, il annonçait qu’en cas de victoire du Oui il recevrait M. Lévesque poliment à Ottawa pour lui dire que « vous n’êtes pas mandaté pour discuter de souveraineté et moi, premier ministre canadien, je ne suis pas non plus mandaté pour en discuter avec vous » et qu’il n’est « pas question de négocier une association » avec le Québec.

À aucun moment, entre sa réélection en février et le référendum du 20 mai 1980, Pierre Trudeau n’a de raison de penser que le Oui peut l’emporter avec une forte majorité. Dans leurs sondages internes les plus affolants, effectués pour le Conseil privé hebdomadairement par CROP et en une occasion par SORECOM, les libéraux fédéraux lisaient que le Oui était en avance dans quatre de six coups de sonde, mais avec des majorités de plus de 51% dans seulement deux cas, à la mi-avril (Oui 54, Non 46), puis au début de mai (Oui 52, Non 48), et seulement à la condition que les indécis (17 et 16% du vote) se répartissent au propata du vote exprimé, ce qui était, déjà, douteux. Par la suite, le Oui a décliné dans les sondages publics et il n’existe aucune indication que le premier ministre Trudeau ait pu croire à une victoire massive du Oui.
Tout cela étant, que se serait-il passé en cas de victoire du Oui, donc de victoire courte, seule envisagée ? Deux témoins ont levé, dans leurs mémoires respectives, un coin du voile : Pierre Trudeau et Jean Chrétien.
Écoutons le premier, celui qui décidait :

« C’est le sort du Canada qui se trouvait en jeu et, par voie de conséquence, celui de notre gouvernement. Car, dans mon esprit, il ne faisait pas le moindre doute que je devrais démissionner, si les séparatistes gagnaient ce référendum. En pareille occurrence, il m’aurait fallu conclure : « J’ai perdu la confiance du peuple québécois qui a choisi de quitter la fédération canadienne. Je n’ai mandat de négocier ni cette séparation, ni une association nouvelle avec un Québec souverain. »

Écoutons le second, celui qui aurait dû appliquer la consigne :

« À la veille du référendum, Pierre Trudeau m’avait fait comprendre très clairement toutes les conséquences d’un échec. « Nos têtes sont sur la bûche », m’avait-il dit. J’en avais conclu que, si nous perdions, tous les députés libéraux du Québec devraient démissionner, privés qu’ils étaient de la confiance de la population. »

De ces témoignages, on conclut d’abord que toute la rhétorique utilisée pendant la campagne référendaire par M. Trudeau aurait été balayée par la force du vote.
Sur le coup et avec le recul, le Premier ministre Trudeau jugeait qu’une majorité non-qualifiée du Oui mettait en jeu « le sort du Canada » et ferait en sorte que le Québec « quitte la fédération », quel que soit le libellé de la question. Pierre Trudeau se serait considéré vaincu au point de démissionner. Le chef du Parti libéral aurait ordonné la démission de tous ses députés « du Québec », mais pas des autres.
Cette confidence éclaire mieux la déclaration fameuse qu’il a faite le 14 mai 1980, en fin de campagne référendaire, au Centre Paul-Sauvé, où il disait des « 74 députés libéraux à Ottawa » que « nous mettons notre tête en jeu, nous du Québec, quand nous disons aux Québécois de voter Non.»
Puisque le parti libéral du Canada détenait tous les sièges au Québec sauf un (74 sur 75, le dernier étant occupé par le conservateur Roch Lasalle), cela aurait automatiquement soustrait la quasi-totalité de la représentation québécoise du Parlement fédéral.
Cela aurait fait tomber le gouvernement et obligé soit la formation d’un gouvernement canadien formé par le chef du parti majoritaire dans le reste du Canada, soit la tenue d’une nouvelle élection fédérale. Trudeau ne dit rien sur le conseil qu’il aurait donné, en démissionnant, au gouverneur général sur la marche à suivre, mais son empressement à quitter la scène implique la tenue d’une course à la succession dans son propre parti, processus assez long qui semble exclure le déclenchement d’une élection.
Devant l’expression de la volonté populaire, le politicien Trudeau aurait appliqué les préceptes de l’intellectuel Trudeau, écrits en 1958 et republiés en 1970, sous le titre « Pour que vive la démocratie », et selon lesquels : « La démocratie prouve vraiment sa foi dans l’homme en se laissant ainsi guider par la règle du 51 %. Car si tous les hommes sont égaux, et si chacun est le siège d’une dignité suréminente, il suit inévitablement que le bonheur de 51 personnes est plus important que celui de 49: il est donc normal que ceteris paribus et compte tenu des droits inviolables de la minorité, les décisions voulues par les 51 l’emportent ».
Comment expliquer la différence d’attitude entre le Premier ministre libéral de 1980 et celui de 1995, Jean Chrétien, qui a avoué n’avoir pas eu l’intention de respecter un Oui majoritaire — contrairement à ce qu’il avait indiqué solennellement à la nation quelques jours avant le vote ?
Quels qu’aient été ses écrits de jeunesse sur la question du 50%, je crois qu’il faut trouver ailleurs le réflexe démocratique qui aurait animé Pierre Trudeau le soir du 20 mai 1980: c’eût été la première fois, depuis son entrée en politique en 1966, que Pierre Elliott Trudeau aurait été désavoué par la majorité des Québécois. En effet, il avait obtenu à chaque élection des majorités québécoises importantes, voire écrasantes. En perdant le référendum, il aurait vécu sa première défaite au Québec. Il en aurait tiré les conséquences, comme le Général de Gaulle l’avait fait, démissionnant un soir de référendum en 1969, car pour la première fois désavoué par l’électorat.
Pour Jean Chrétien, c’était le contraire. Jamais, depuis qu’il dirige le PLC en 1990 jusqu’au référendum de 1995, il n’a eu de majorité du Québec. Il gouverne le Canada malgré l’opposition d’une majorité de ses concitoyens québécois. Il a l’habitude d’avoir raison sans eux, contre eux.
Bref, en mai 1980, le « peuple québécois » ayant « choisi de quitter la fédération canadienne » aurait été en face d’un gouvernement fédéral représentant le Canada anglais et dirigé par le conservateur Joe Clark, alors chef de l’opposition officielle et ex-premier ministre depuis moins de trois mois. C’est lui qui aurait dû décider de la marche à suivre. Pierre Trudeau ne pouvait ignorer que Clark avait donné des indications assez claires de sa volonté de respecter le verdict référendaire québécois, même s’il mettait l’association en doute (au pouvoir pendant neuf mois en 1979, il avait d’ailleurs annulé les budgets fédéraux pré-référendaires, considérant qu’il s’agissait là d’un débat « entre Québécois ».). Il y a fort à parier que des négociations se seraient ouvertes sur-le-champ entre le nouveau premier ministre conservateur canadien et le Québec sur la transition vers la souveraineté.
Sur ce point, il faut donc donner à Pierre Trudeau le bénéfice du doute : malgré tous les gestes anti-démocratiques qu’il a posés avant le référendum (notamment en ordonnant à la GRC d’espionner le PQ), il se serait soumis au test démocratique ultime et aurait respecté le verdict.

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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