2Fik le laïc

L'inégalité, c'est quand on appelle «crime d'honneur» un meurtre

Laïcité — débat québécois

Marie-Claude Lortie - Connaissez-vous 2Fik?
Avec sa chemise jaune fluo et son allure générale d'artiste cool, 2Fik (on prononce «tou-fik») détonnait un peu, lundi, à la conférence Laïcité et égalité: quel projet pour le Québec?, organisée par la division québécoise du Barreau canadien.
Dans la salle, les nombreux avocats et avocates portaient plutôt le tailleur ou la cravate discrète. Le type d'auditoire qu'on imagine lorsqu'on va entendre l'ex-bâtonnière du Barreau de Montréal, l'avocate Julie Latour, parler de l'importance de protéger les acquis laïques de la société québécoise et de Louis-Joseph Papineau et Antoine-Aimé Dorion, qui avaient fait de la laïcité le centre de leur engagement public.

2Fik, lui, est artiste, photographe. Pas juriste pour deux sous, contrairement à Me Christiane Pelchat, présidente du Conseil du statut de la femme, assise non loin de lui.
Mais 2Fik était invité à cette conférence pour parler de laïcité et donner son point de vue d'immigré arabe sur la place que la société québécoise donne aux accommodements religieux.
Et ce qu'il a expliqué, c'est qu'il a été choqué, en arrivant au Québec, de voir que sa société d'accueil n'offrait pas une protection égale à tout le monde. «Je ne suis pas venu au Canada pour apprendre qu'une de mes cousines peut voir ses droits bafoués», a-t-il lancé.
Sauf que l'inégalité dont il parle n'est probablement pas celle que vous croyez.
L'inégalité, a-t-il expliqué, c'est quand des enfants maltraités dans une famille d'origine maghrébine sont traités avec un regard «culturel», en appelant un psychologue plutôt que la Direction de la protection de la jeunesse.
L'inégalité, c'est quand on appelle «crime d'honneur» un meurtre.
L'inégalité, c'est quand on ne regarde pas la violence faite à une femme de la même façon si elle s'appelle Manon ou Kenza.
Bref, l'inégalité, a-t-il expliqué, c'est quand une personne qui a quitté son pays d'origine pour en choisir un autre est rattrapée par ce qu'elle a fui et n'en est pas totalement protégée, par la terre d'accueil, au nom d'une tolérance qui a parfois des airs de complaisance.
Selon 2Fik, «la facilité qu'on a au Québec d'accommoder l'autre afin d'éviter les chicanes et les accusations de racisme permet à certains pans de la population immigrante de faire des demandes aberrantes».
La laïcité, dit-il, est la seule façon de fonctionner sur une base commune, et surtout avec des libertés communes.
«Et puis regardez le ridicule de la situation actuelle: nous en sommes arrivés à un point où il faut un Arabe homosexuel ex-musulman pour pouvoir parler de ce dossier sur ce ton sans craindre de se faire montrer du doigt et de se faire appeler raciste ou xénophobe.»
Là, il a même réussi à faire rire la salle. Pas une mince tâche.
* * *
Étonnant de voir comment ce débat sur la place de la laïcité au Québec est en train de s'organiser, mené depuis les années 70 par des opposants à l'enseignement religieux et aujourd'hui enrichi par de nouveaux intérêts: les femmes voulant la primauté du droit à l'égalité sur le droit à la liberté de religion et les immigrés inquiets de la montée des intégrismes politiques.
Hier, à la conférence, on a ainsi pu entendre Me Pelchat défendre la laïcité au nom du respect de l'égalité, tout comme Diane Guilbault, auteure de Démocratie et égalité des sexes, qui pilote actuellement un appel public pour une charte de la laïcité. «À partir du moment où la loi de Dieu devient la loi de l'État, a-t-elle déclaré, les femmes sont perdantes.»
Djemila Benhabib, musulmane et auteure de Ma vie à contre-Coran, est quant à elle venue défendre la laïcité au nom de la protection de toutes les femmes d'ici, immigrées et autres, contre les intégrismes religieux. Et puis il y avait 2Fik et Me Latour, qui a parlé de la laïcité comme d'un projet commun pour bâtir une société moderne qui devrait être porté par une volonté transcendant la dichotomie fédéraliste-souverainiste traditionnelle, car il s'inscrit dans la grande lignée du cheminement québécois depuis plusieurs décennies.
Il sera intéressant de voir, d'ailleurs, comment va avancer ce projet. Il y a une pétition pour une Charte de la laïcité au Québec - si vous voulez la signer, elle est sur l'internet et sur Facebook. Si ça va prendre. Si la machine va démarrer, emportant avec elle cette nouvelle alliance hétéroclite d'anticléricaux encore traumatisés par les curés d'hier, de femmes inquiètes du retour de la religion comme code de vie, d'immigrés voulant se mettre à l'abri de contraignantes orthodoxies, le tout peut-être renforcé par quelques xénophobes épars, qui alimenteront les critiques convaincus que la laïcité n'est qu'un écran de fumée pour l'intolérance.
Une chance que 2Fik est là, et espérons qu'il y en aura d'autres comme lui pour élever le débat au-dessus des ornières traditionnelles où il s'est coincé avec la commission Bouchard-Taylor.
Car il est temps que cette discussion ait lieu. Eh oui, il faudra parler du crucifix à l'Assemblée nationale. Cette question doit être vidée de façon réellement ouverte et rationnelle.


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