Avortement: l'exemple européen

Avortement (C-484; Q-34)



Il n'est pas toujours aisé de décoder les propos du cardinal Ouellet. Si sa position morale, considérant l'avortement comme un péché, est dans la ligne directe de ce que prêche l'Église, ses réflexions plus profanes ne sont pas toujours limpides. Plus habitué à tenir un discours moral, le prélat de l'Église canadienne est plutôt évasif dès lors qu'il aborde le domaine concret de la législation.
Le point de presse qu'il a donné mercredi nous fournit heureusement quelques précisions utiles. En ce qui concerne «la protection juridique de l'enfant dans le sein de la mère», dit-il, le Canada est «un cas unique dans le monde. Beaucoup l'ignorent et croient vivre dans l'un des pays les plus avancés dans le domaine des droits de la personne. Or, nous n'avons de leçons à donner à personne dans ce domaine».
Même s'il n'en fait pas mention explicitement, l'archevêque de Québec veut certainement parler de l'absence de législation au Canada sur les avortements tardifs. Difficile, dans ce cas, de ne pas lui donner raison. Le Canada est un des rares pays développés où l'avortement est légal même après 24 semaines, alors que le foetus est viable hors du ventre de la mère. Heureusement, les médecins refusent généralement de pratiquer de telles boucheries. Mais il n'est pas rare qu'on envoie des femmes se faire avorter au Kansas après cinq mois de grossesse.
En Europe, tous les pays qui ont décriminalisé l'avortement ont jugé nécessaire d'en limiter l'exercice selon l'âge du foetus. En France, il n'y a pas d'avortement au-delà de 12 semaines, à moins que la santé de la mère soit en cause. Même chose en Allemagne, où cette limitation a été introduite après la réunification du pays. Le Portugal vient tout juste de légaliser l'avortement avant la 10e semaine de grossesse. Ce délai atteint 18 semaines en Suède et 24 au Royaume-Uni.
Dans ce dernier pays, le plus laxiste en Europe, cette période a été raccourcie puisqu'elle était à l'origine de 28 semaines. Certains sondages montrent qu'un Britannique sur deux serait d'avis de la raccourcir encore, afin de se rapprocher de ce qui se pratique sur le continent. Force est de constater que les mouvements anti-avortement sont aussi plus vivaces en Grande-Bretagne que dans les pays voisins. On pourrait même avancer l'hypothèse que, mieux le foetus est protégé à partir du moment où il devient viable, moins les mouvements pro-vie ont tendance à se manifester, comme en témoignent les forts mouvements d'opposition en Grande-Bretagne, aux États-Unis et peut-être bientôt au Canada. L'opposition qui s'est aussi récemment manifestée en Espagne ne s'est-elle pas développée à la faveur, notamment, de plusieurs scandales sur l'avortement tardif?
Si ces délais résolvent un grave problème éthique, ils n'ont cependant guère d'effet sur les taux d'avortement. Notons d'ailleurs que les pays qui ont les taux les plus bas sont généralement des pays où l'avortement est relativement accessible. Mgr Ouellet a cité la Belgique (9,6 avortements/1000 femmes). Mais il aurait pu aussi citer la Suisse (6,5), l'Allemagne (7) et les Pays-Bas (8,7), qui font encore mieux. Le Canada (13,7) se situe dans la moyenne, alors que les États-Unis (19,4) et l'Angleterre (18,2) sont parmi les mauvais élèves. Fait significatif, le taux d'avortement est en baisse dans plusieurs pays, comme le Danemark, la Suisse, l'Italie et l'Allemagne. L'augmentation récente des avortements aux Pays-Bas serait due en partie à l'arrivée massive d'immigrants venus de pays où ils sont interdits.
Les défenseurs de l'avortement en concluent que, plus la contraception est répandue, moins les femmes ont recours à l'avortement. Ces exemples semblent leur donner raison. De même que les mauvais résultats des États-Unis et de l'Angleterre, où l'on fait très peu de prévention.
En Europe, les anciens pays de l'Europe de l'Est et la Russie (45 avortements/ 1000 femmes) occupent une place à part et battent tous les records. Cinquante ans de communisme, où l'homme était considéré comme quantité négligeable, ont probablement conduit à traiter l'avortement comme un détail sans importance. À l'opposé, notons que les meilleurs élèves, comme la Suisse, l'Allemagne et les Pays-Bas, sont des pays où perdure une conception assez traditionnelle de la famille et où les femmes retournent souvent à la maison dès leur premier enfant, contrairement à la France et au Québec. L'accessibilité de la contraception n'explique donc pas tout. Les moeurs et la morale y sont probablement aussi pour quelque chose.
Il y a un dernier domaine où le Québec se distingue de l'Europe. L'anticléricalisme virulent qui s'est exprimé depuis deux semaines serait inimaginable dans la plupart des pays européens, où un discours comme celui de Mgr Ouellet aurait été accueilli avec calme et mesure, sinon dans l'indifférence. À plus forte raison lorsque le principal intéressé admet lui-même que «la responsabilité ultime de cette décision morale [d'avorter] relève de la conscience personnelle».
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crioux@ledevoir.com


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