Blâmer la victime

Proche-Orient : mensonges, désastre et cynisme

Fin 2006 à Washington, les artisans désespérés de la guerre d'Irak, à la recherche d'une réponse au désastre sur le terrain et à la perte de crédibilité au pays, ont inventé un nouveau concept: «le Sursaut», The Surge dans l'appellation anglaise.
Il s'agissait de déployer temporairement, à Bagdad et aux alentours, de vingt à trente mille soldats supplémentaires, avec une obsession «nouvelle» de la part des envahisseurs: rendre plus sûre la vie quotidienne des Irakiens ordinaires, laissés-pour-compte de toutes ces manoeuvres au-dessus de leurs têtes et qui, en 2006, ont commencé à fuir leur pays par centaines de milliers.
Trois mois et demi après le lancement de l'opération (le 14 février), on a bel et bien déployé des dizaines de milliers de nouveaux fantassins. On a aussi érigé des murs pour isoler les uns des autres certains quartiers de Bagdad, afin d'éviter qu'ils ne se «contaminent» mutuellement...
Résultat? Le «Sursaut», guidé par l'un des plus brillants militaires de l'académie de West Point, le général David Petraeus, apparaît rétrospectivement comme un nouveau coup d'épée dans l'eau. L'impuissance, encore et toujours...
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Selon le Washington Post de jeudi, au cours des 14 semaines précédant le 14 février, 821 personnes avaient péri dans des attentats à l'explosif. Et au cours des 14 semaines suivantes... 1098 personnes. Nombre de corps mutilés retrouvés à Bagdad et aux alentours, en janvier 2007: 321. Nombre de corps mutilés retrouvés au cours des trois premières semaines de mai 2007: 321 également. Beaux résultats!
Et si vous avez l'impression -- au demeurant juste -- d'avoir moins entendu parler, ces dernières semaines, de massacres à l'explosif et de meurtres sadiques en Irak, c'est pour une raison bien simple: les affectateurs et chefs de pupitre, ceux qui vous mitonnent les journaux et bulletins de nouvelles, font désormais le raisonnement suivant: «Quoi? Trente morts dans une explosion à Ramadi? Non, on ne prend pas ce sujet... Oh! Peut-être une brève, et encore... En dessous de soixante morts à la fois, on ne fait plus de nouvelle avec ça.» Voilà où en est aujourd'hui ce drame...
Devant la réalité irakienne de 2007, le fait nouveau à Washington, c'est que l'espoir de «renverser le cours des événements» est maintenant abandonné... y compris par les plus ardents jusqu'aux-boutistes de la Maison-Blanche.
Pour expliquer l'échec, un nouveau discours doit donc absolument se mettre en place.
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Je vais me permettre une rare complaisance en me citant moi-même (et que l'on ne m'y reprenne plus!)... Il y a un peu moins de six mois, dans cette chronique, je prédisais ceci: «Un discours de sortie d'Irak se met peu à peu en place pour faire avaler au peuple américain l'humiliante déroute irakienne. Ce discours, aussi simple que cynique, consistera à dire que ce qui a mal tourné en Irak.... est entièrement de la faute des Irakiens! "Ah! Quelle ingratitude! Nous avons tout tenté pour eux, avec une abnégation, un doigté et une patience remarquables... mais ils ont tout gâché par leur violence congénitale et leur incapacité à la démocratie!"»
Et c'est effectivement ce discours hautain et totalement irresponsable -- bien résumé dans l'expression «Blame and Run» de Zbigniew Brzezinski -- que l'on entend de plus en plus à Washington pour justifier l'échec patent de toute cette aventure.
Le président, ses proches, les quelques idéologues néo-conservateurs qui s'expriment encore sur l'Irak, ainsi que certains éditorialistes de la «droite dure», ont entonné le nouveau refrain. Préparez-vous à l'entendre de plus en plus, au fur et à mesure que se rapprochera l'échéance, que les «boys» évacueront l'Irak, la queue entre les jambes et le chaos derrière eux.
Que l'on en juge par le petit florilège suivant:
- «Les Irakiens ont envers nous une immense dette de gratitude. Pourtant, je me demande s'ils ne sont pas un peu ingrats envers nous.» (George Bush, 14 janvier 2007)
- «Nous leur avons apporté la liberté. Ils ont choisi la guerre civile.» (Charles Krauthammer, éditorialiste ultraconservateur, The Washington Post, 2 février 2007)
- «Les leaders irakiens sont incapables de faire ce qu'ils ont promis.» (Mitch McConnell, leader républicain au Sénat, 13 mai 2007)
- «Les Irakiens ont choisi de ne pas se battre pour la liberté après que nous ayons renversé Saddam.» (Bill O'Reilly, commentateur de télévision, sur son site Internet le 24 mai 2007)
Parmi les politiciens locaux qui ont émergé après l'invasion de 2003, plusieurs sont sans doute incompétents, hypocrites, sectaires et violents. Par leurs actions individuelles, ils n'ont certes pas aidé à la construction de cette «grande démocratie» qui avait été promise par Washington.
Mais dans tout ce malheur, leur responsabilité reste absolument marginale. En Irak, c'est bien l'éléphant américain qui a «cassé la baraque». Le fait de blâmer la victime, le petit boutiquier local, n'y changera rien. Et ne fera que retarder l'inévitable examen de conscience.
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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