Benoît Pelletier était à Gatineau hier, pendant qu'à Ottawa, de l'autre côté de la rivière, son homologue fédéral, Michael Chong, démissionnait en guise de protestation contre la motion reconnaissant le statut de nation aux Québécois.
M. Pelletier n'a rien appris de neuf dans les arguments invoqués par M. Chong. Toute la fin de semaine et encore hier matin, les analystes et chroniqueurs de la presse torontoise avaient critiqué la motion de Stephen Harper. Et en matinée, on apprenait que l'un des principaux candidats à la direction du Parti libéral, Gerard Kennedy, s'objectait à cette motion et demandait qu'on se donne le temps d'en connaître le sens avant de prendre un vote aux Communes.
Le principal argument invoqué par M. Chong contre cette motion est le fait, selon lui, qu'on y reconnaît la nation québécoise au sens "ethnique" du terme et non au sens civique. En d'autres mots, ce sont les Québécois francophones qui se voient ainsi reconnus, et non pas un territoire ou un pays.
M. Pelletier n'est pas d'accord : "Il y a une identité canadienne, de la même façon qu'il y a une identité québécoise. Alors l'argument de ceux qui veulent refuser ce concept de la nation québécoise en disant que le Québec n'est pas homogène, cet argument-là peut servir aussi pour la nation canadienne. Ces gens-là dans le fond avancent des arguments qui ne tiennent pas la route."
Depuis la semaine dernière, la presse anglophone s'est interrogée longuement sur le sujet. Plusieurs analystes ont fait remarquer que la motion parle des Québécois, et non du Québec. L'ancien chef de cabinet de Brian Mulroney, [Norman Spector->3081], a fait valoir que le terme Québécois ne s'applique pas à tous les résidants du Québec. Même remarque chez le chroniqueur [Rex Murphey->3083], du Globe and Mail, qui a soutenu que les Québécois concernés étaient seulement les francophones.
Hier matin, Michael Bliss, un professeur émérite de l'Université de Toronto, a publié un témoignage alarmiste en première page du National Post. Intitulé "Canada under attack", le texte fait valoir que "si les Québécois sont une nation parce qu'ils sont de la tribu des Canadiens français, nous sommes en train de légitimer des concepts raciaux et ethniques qui sont d'une laideur dépassant toute imagination au XXIe siècle. Mais si nous parlons du Québec et des Québécois dans un sens civique, lié notamment au territoire, les populations de toutes les provinces canadiennes forment aussi des nations". M. Bliss prédit l'asymétrie et le chaos dans les relations fédérales-provinciales.
Le ministre Benoît Pelletier ne voit aucune différence dans le fait que la motion parle des Québécois et non du Québec. La nation québécoise, dit-il, est celle de tous les résidants du Québec. "C'est la même chose pour la nation canadienne. Il y a une nation canadienne. Il y a des gens qui s'incluent, il y a des gens qui s'excluent. Il y a les autochtones qui ne se considèrent ni Québécois, ni Canadiens, il y a les souverainistes qui ne se considèrent pas tous Canadiens. La nation existe au delà du fait que certaines personnes peuvent y adhérer ou non. La nation, c'est un concept global. Il n'y a aucune nation parfaitement homogène. Dans toute nation, il y a des groupes minoritaires."
Selon lui, le fait que certains Québécois non francophones ne se reconnaissent pas dans la nation québécoise ne change rien à la réalité. "La nation repose sur un vouloir-vivre collectif. Ce vouloir-vivre collectif ne se retrouve pas nécessairement chez chaque individu, mais c'est une globalité qui définit l'existence de la nation. Il y a également une nation canadienne, qui est aussi fondée sur des critères identitaires."
Comme si le débat actuel n'était pas suffisamment complexe, la question autochtone fait maintenant partie du décor. Le premier ministre de la Colombie-Britannique, Gordon Campbell, demande que l'on profite de la reconnaissance de la nation du Québec pour accorder le même traitement aux peuples autochtones. Le ministre Benoît Pelletier n'en voit pas la nécessité.
"Les autochtones sont reconnus comme peuple dans la Constitution de 1982. Je défie n'importe qui de faire la distinction entre nation et peuple. Moi, je ne suis pas capable. À mon avis, c'est une belle reconnaissance, alors que les Québécois n'avaient pas cette reconnaissance collective et ne l'ont toujours pas dans la Constitution."
On a l'habitude de dire que six mois, c'est une éternité en politique. Dans le cas présent, c'est la fin de semaine qui aura été une éternité pour Stephen Harper. Et c'est toute la semaine qui le sera pour les libéraux. Parce qu'après le vote d'hier soir aux Communes, c'est au congrès du Parti libéral du Canada, à Montréal, que la controverse se poursuivra.
Pour joindre notre chroniqueur : glavoie@lesoleil.com
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