Canadien français : Bouchard-Taylor ont commis un anachronisme

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Dans l'explication de la démarche qu'ils ont adoptée (p. 39-40 de leur rapport), les commissaires Bouchard et Taylor affirment qu'ils veulent s'inscrire dans la continuité de la réflexion collective des Québécois. On est donc surpris de constater que, dans tout le rapport, ils ont utilisé l'appellation Québécois d'origine canadienne-française et la dénomination franchement paradoxale Québécois canadiens-français.
Le groupe issu des premiers immigrants français est ainsi dénommé par une appellation qui représente la troisième étape, du reste la moins valorisante, de leur cheminement identitaire. Les ancêtres de ce groupe s'étaient en effet appelés Français, puis Canadiens, avant que l'appellation Canadiens français prenne de l'importance.
Le tableau, établi d'après la documentation du Trésor de la langue française au Québec, illustre l'évolution des appellations des premiers colons français et de leurs descendants.
Au vu de ce tableau, Bouchard et Taylor commettent un anachronisme quand ils ont recours à l'adjectif canadien-français pour faire référence à la situation d'origine. Il leur arrive même de l'employer en parlant de la situation actuelle ou du futur, ce qui est encore plus incompréhensible. Ainsi, les auteurs du rapport évoquent le danger d'un «repli sur l'identité canadienne-française». De quoi parle-t-on au juste ? Plusieurs passages du rapport sont pour cette raison remplis d'ambiguïté, par exemple quand il est question de « la pensée canadienne-française » (p. 113), de « l'imaginaire canadien-français » (p. 116), du « passé québécois canadien-français » (p. 277).
Le principal problème que pose l'emploi de canadien-français dans ce rapport tient aux valeurs que véhicule l'appellation. Elle est en effet associée à une époque marquée par le statut inférieur du groupe ainsi nommé par opposition à celui des nouveaux venus, appelés Canadiens anglais. Or nos ancêtres ont nettement préféré le nom de Canadiens tout court, refusant de le partager avec les anglophones qu'ils appelaient les Anglais.
On rencontre Canadien français de façon sporadique à partir de 1695. Cette appellation servait sans doute à indiquer qu'on voulait parler d'un descendant d'un Français, et non d'un Amérindien puisque Canadiens pouvait encore s'employer, à cette époque, en parlant d'autochtones. Quand canadien-français réapparaît dans un document bilingue, en 1774, il s'agit d'une traduction de l'anglais French Canadian. L'appellation demeure rare avant les années 1850, époque à partir de laquelle elle est reprise par des intellectuels désireux de se rattacher idéologiquement à la France, l'ancienne mère patrie idéalisée. Le peuple ne suit pas l'élite dans cette voie : il continue d'employer Canadien ou sa variante connotée Canayen, qui émergera à l'écrit.
Il y avait de multiples raisons qui auraient dû dissuader les commissaires d'adopter canadien-français. Le groupe dont ils voulaient parler est bien celui des Québécois francophones de souche. De souche posait problème? La locution s'emploie par opposition à naturalisé et le mot souche se retrouve dans famille-souche dont la signification est claire. Les commissaires auraient pu facilement justifier qu'ils puissent parler de Québécois francophones de souche, appellation qui ne remet en cause la contribution ni des uns ni des autres.
Tableau : Évolution des appellations identitaires des descendants des premiers immigrants français

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Claude Poirier
Trésor de la langue française au Québec

Université Laval


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