Depuis 2008, le monde de l’économie réelle est plongé dans une situation inextricable, aux contours inquiétants. Cette situation est appelée « crise ». Les pays moteurs de croissance et leurs institutions financières affirment vouloir endiguer une cascade de phénomènes — potentiellement systémiques — pouvant écrouler le système économique mondialisé. Sans succès. La machine est grippée : les méthodes de relance sont contreproductives. Pourtant, la finance continue à très bien se porter. Le « petit monde » de l’économie libérale ne va pas du tout mal.
La gouvernance économique actuelle continue donc d’étrangler la majorité des populations des pays développés. La volonté des gouvernants est-elle véritablement de permettre un redressement économique tendant vers le plein emploi, un amoindrissement des inégalités, ou bien de maintenir le modèle actuel à tout prix ?
Statu-quo du modèle
Le capitalisme moderne et mondialisé, mis en place depuis une vingtaine d’années en grande partie par le biais de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale, est basé sur quelques principes simples, déclarés — par ceux qui l’ont mis en en place — comme incontournables. Le but affiché est « d’améliorer l’efficacité économique », donc d’accroitre les richesses, et par là même, le confort et la protection des populations. Ces grands principes ont été renouvelés à chaque round de l’OMC au cours des années 1990 : baisse des barrières douanières, dérégulations du plus grand nombre de secteurs de production, privatisation des entreprises d’Etat ou des services publics considérés comme non rentables, dérégulation financière, avec pour conséquence l’abolition des cadres de protections bancaires et la permission implicite de constitutions de monopoles.
Ce modèle économique, basé sur le laisser-faire, la libre circulation des capitaux et l’auto-régulation des marchés, a mené au retrait des Etats en tant qu’arbitres et acteurs majeurs de la gouvernance économique, puis par ricochet, sociale, et finalement, politique. Ce modèle n’est libéral que sur le droit international des entreprises et de la finance mondialisée. Il n’offre des libertés qu’aux flux financiers, aux multinationales, et au final, aux possesseurs de capitaux, à l’échelle d’une planète.
Si des réglementations sont mises en place — au sein de l’Union européenne par exemple — elles ne peuvent pour autant, en aucune manière, aller contre les grands principes établis du modèle libéral en question : la libre-concurrence, la liberté de circulation des capitaux, et l’interdiction d’ingérence des Etats au sein de ces phénomènes. Le modèle économique actuel — libéral et mondialisé — est donc dans une sorte de statu-quo, un consensus entre les grandes puissances, maintenu tel qu’il est, à l’aide des institutions supra-nationales que sont le FMI, l’OMC (et son tribunal), la Banque mondiale, et par effets de bord, avec l’ONU et ses diverses émanations.
Du libéralisme mondialisé au capitalisme de prédation planétaire
Ce modèle libéral et mondialisé mis en place depuis le milieu des années 90 a atteint son apogée en 2007. Les économies développées tournaient à plein à régime, les USA en tête, poussées par le développement des pays émergents, la Chine en premier. Mais cette apogée [particulièrement au sein des sociétés occidentales] n’était pas causée par le simple développement de l’économie réelle, de la production, et du simple accroissement des échanges de biens et services. Ce pic dans la mondialisation était avant tout soutenu par le crédit bancaire. Via des produits financiers complexes, opaques, et vendus dans des proportions jusque là inconnues.
La crise des « Subprimes », déclenchée par des banques Etatsuniennes s’est répandue sur la planète financière, puis bancaire, avec pour conséquence la volatilisation de milliers de milliards de dollars virtuels, entièrement créés par la sphère des marchés financiers. La chute inédite d’un des fleurons des « méta-banques », Lehman Brothers, a fait craindre un effet domino, aussitôt contré par des décisions politiques concertées… de renflouements des groupes financiers au bord du gouffre… par l’argent des Etats, donc de l’argent public.
Le système libéral produit des « règles » qu’il ne suit plus quand il atteint ses propres limites : les fleurons privés de ce système privatisent les bénéfices au détriment des salariés, mais acceptent l’argent public pour les sauver de la banqueroute, dès qu’ils l’estiment nécessaire. Privatisation des bénéfices, collectivisation des pertes.
Malgré 7 années de croissance économique presque nulle, voire de périodes de récessions pour certains Etats, des millions de personnes mises au chômage, les entreprises géantes de la finance internationale, les marchés financiers et leurs fonds d’investissements se portent toujours très bien aujourd’hui. L’économie réelle, elle, est atone, si l’on se positionne uniquement du côté des petite et des moyennes entreprises (non mondialisées), des artisans, et des salariés.
La réalité est pourtant toute autre que celle analysée par les experts de l’économie libérale, puisqu’en réalité, le capitalisme de prédation s’est développé de façon massive, et pratique ce qu’il sait faire le mieux : le chantage.
Engranger le maximum de bénéfices puis faire du chantage en prétextant la crise
Sans pompe à crédit très forte, le système capitaliste libéralisé — particulièrement depuis 2008 — s’écroule. Les grandes puissances qui l’activent le savent très bien, d’où la mise en place de politiques monétaires accommodantes et « non-conventionnelles » via leurs banques centrales : les quantitative easing, (« assouplissement monétaire »). En langage clair : des lignes de crédits colossales aux banques à des taux proches de zéro en échange d’obligations d’Etat. Les Etats-Unis ont ainsi injecté près de 6000 milliards de dollars depuis 2008, le Japon fait de même depuis les années 2000, et la Banque Centrale européenne suit le mouvement depuis près d’un an.
Ces politiques maintiennent la finance internationales à flots, mais incite à la spéculation et n’oblige en rien à relancer le secteur privé par des prêts à l’investissement ou à la consommation. Si les banques et les investisseurs craignent d’investir, l’argent à beau couler à flots, mieux vaut placer ces emprunts à taux préférentiels dans des produits financiers très rentables et basés sur la spéculation. Ce qu’ils font.
Les multinationales étendent leur business sur des secteurs hautement rentables, le plus souvent monopolistiques (ou par ententes sur les prix entre « concurrents ») vendus sur la planète entière et adossés à d’autres, purement financiers. Filiales, paradis fiscaux, optimisation et évasion fiscale, multi-activités monopolistiques, les « géantes » sont en pleine forme. Mais comme les finances des Etats, elles, se portent mal — puisque les rentrées fiscales sont faibles de par le ralentissement de l’économie réelle — ainsi que les citoyens qui les constituent, il est alors intéressant pour ces entreprises mondialisée de venir pratiquer un chantage très utile et récurent : l’abaissement des protections sociales. Pour quelles raisons affichées ? Préserver des emplois entièrement conditionnés à un phénomène : la compétitivité.
La maximisation des profits est au cœur du système du capitalisme de prédation. L’objectif avéré et permanent des acteurs de ce système n’est rien d’autre que celui d’abaisser les coûts, produire et vendre le plus possible en augmentant les marges bénéficiaires afin d’offrir les dividendes les plus élevés à leurs actionnaires. A n’importe quel prix : la fin justifie les moyens.
L’économie capitaliste, nationale, elle, a besoin en permanence d’accroitre la richesse globale produite pour maintenir ses dépenses publiques et les différentes protections sociales des habitants qui constituent les Etats. Cette économie voit donc les profits du secteur privé mondialisé augmenter, et les rentrées fiscales étatiques, baisser.
Ce phénomène, en réalité ne gêne absolument pas le capitalisme de prédation, ni les dirigeants politiques du capitalisme national, au contraire. Le cas de l’usine Smart et son référendum interne pour changer le droit du travail est à ce titre très parlant :
Le groupe à la tête de cette usine demande à ses salariés d’accepter de modifier leur contrat de travail afin de travailler plus d’heures sans augmentation de salaire et perdre des acquis sociaux issus de la réduction du temps de travail (jours de RTT). L’entreprise prédatrice Daimler contourne la représentation syndicale — et la loi du pays qui l’accueille — en effectuant un référendum interne, avec la menace de délocaliser l’usine dans un pays de l’Est si les employés n’acceptaient pas cette nouvelle règle de la durée de travail.
Les nombreux soutiens du système libéral mondialisé défendent le chantage de la multinationale, comme à leur habitude, par le principe de la compétitivité, et l’obligation de rentabilité que doit avoir Daimler. Le seul problème avec cette approche, est que Daimler est ultra-bénéficiaire en 2015 :
Daimler était aussi ultra-bénéficiaire en 2014 :
La classe dirigeante des prédateurs
Les discours des dirigeants politiques, économiques et médiatiques sur la nécessité de créer de l’emploi, de faire baisser le chômage ne sont là que pour une seule chose : laisser croire que la paupérisation des populations par la faiblesse de l’économie réelle serait de leur ressort et les préoccuperaient. La réalité est toute autre, puisque ces dirigeants ont parfaitement vérifié — de façon plutôt stupéfiante — depuis 2008, qu’il était parfaitement possible de continuer sur la même voie, sans aucun problème particulier pour les maîtres du système, les marchés financiers et leurs soldats, les multinationales. Les salaires des grands patrons français et de leurs cadres continuent d’augmenter de façon indécente, les ténors des médias continuent de parader [sur les écrans les ondes et les pages des journaux] et s’engraissent de leurs analyses bien huilées : cette « crise », entretenue, gérée, est du pain béni pour eux tous, qui continuent de s’enrichir et augmentent leur confort.
Les modèles monopolistiques prédateurs sont en pleine expansion : médias possédés à plus de 80% par quelques grands patrons du CAC 40, système de réservations hôtelière en ligne entre les mains d’une seul entreprise, VTC, énergie, manuels scolaires, gestion de l’eau, des autoroutes, médicaments, grande distribution, télécommunications, tous engrangent des bénéfices massifs en évitant soigneusement de se blesser mutuellement — quand ce pourrait être le cas — et pratiquent allègrement la prédation économique.
Les dirigeants des structures privées de prédations sortent des mêmes écoles et proviennent des mêmes milieux socio-économiques que les élites politiques, élites vite recasées chez leurs amis du privé quand elles perdent des élections ou un poste dans la « fonction publique ». Les prédateurs s’échangent leurs cartes de visite, fréquentent les mêmes hôtels et restaurants de luxe, cachent leurs économies dans les mêmes paradis fiscaux et partagent les mêmes bénéfices. En espèces sonnantes et trébuchantes ou en avantages et privilèges, quand la discrétion le nécessite pour éviter les rares attaques sur les conflits d’intérêts ou le détournement de bien sociaux qui peuvent parfois survenir.
Il est ainsi très difficile de croire que ces politiques et règles économiques libérales ont été créées en dépit du bon sens, qu’elles seraient le fruit d’erreurs d’analyses de la part des dirigeants. Elles sont au contraire une méthode parfaite pour mettre en coupe la planète et maintenir ainsi les populations dans une situation de vassalité permanente. Les prédateurs ont compris qu’entretenir la crainte, la peur, et exercer le chantage fonctionnait parfaitement pour leur permettre de continuer à exercer ce qu’ils savent mieux le faire : la prédation.
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