Cérémonie militaire - Disproportionné

Actualité du Québec-dans-le-Canada - Le Québec entravé



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La cérémonie qui s'est tenue hier à Ottawa participait de la grande entreprise de dépoussiérage de la tradition militaire chère au cœur du premier ministre Stephen Harper. M. Harper chercherait ainsi à renouer avec un passé que des années de pouvoir libéral à Ottawa nous aurait fait oublier. Appelons plutôt cela de la mystification.
Le Québec — manifestations d'hier contre la conscription et sondages d'aujourd'hui le démontrent — a toujours été moins va-t-en-guerre que le reste du Canada. L'intérêt pour la chose militaire y est mince — des soldats qui viennent donner un coup de main en cas d'inondation ou de verglas, on peut comprendre. Mais l'appui dégringole quand il est question d'enrôlement pour des guerres menées au loin.
Vu d'ici, c'est dire si l'idée d'une célébration des troupes canadiennes qui ont servi en Libye ne pouvait être considéré qu'avec curiosité, voire cynisme. Mais peut-être les Canadiens anglais, eux, seraient-ils contents? À entendre M. Harper et certains commentateurs, le ROC, lui!, aurait la fibre militaire chevillée au corps.
Il y a heureusement les archives. De vieux reportages d'il y a vingt ou trente ans font voir du côté anglophone le même désintérêt que celui manifesté au Québec envers la tradition militaire. La faute à l'école qui n'enseigne pas l'histoire!, se désolaient alors des spécialistes militaires du ROC.
La faute surtout à la réalité. Le Canada a fait des efforts de guerre, reconnus comme tels par la population (les deux guerres mondiales, la Corée, l'Afghanistan et même cette mission en Libye célébrée hier), mais n'est pas une nation guerrière. Entre le plus pacifique Québec et la plus belliqueuse Alberta, différentes analyses ont d'ailleurs démontré que le Canada n'a pas eu, et ce, tout au long de son histoire, une opinion monolithique quant à l'armée.
De même, notre poids dans le monde n'a jamais tenu au nombre de nos tanks et de nos avions de chasse. La fête nationale du Canada n'est pas non plus synonyme de défilé militaire, comme on en voit le 14 juillet à Paris. Et si le travail des militaires canadiens est salué à l'étranger, c'est en raison de valeurs bien davantage que de démonstration de force: courage, dévouement, souci de la démocratie (ce qui n'empêche pas les dérapages...). Les sacrifices personnels des soldats sont d'ailleurs dûment honorés tous les 11 novembre, avec dignité mais surtout avec sobriété. L'esbroufe n'a jamais fait partie de l'ADN du Canada.
Le premier ministre Harper, lui, a entrepris de reconstruire l'homo canadianus, d'en faire un guerrier. Hier, c'est donc une victoire qu'il entendait célébrer, tronquant le sens même des événements. Les Canadiens savent bien que leurs troupes n'étaient qu'un élément d'une vaste partition dans le conflit en Libye, et que le combat pour la démocratie est loin d'y être terminé. Mieux encore, nos troupes n'ont même pas mis pied sur le sol libyen. Et il faudrait célébrer leur courage? Pavoiser? Tirer 21 coups de canon? C'est disproportionné. Le Canadien moyen ne s'y est pas trompé qui ne s'est pas déplacé pour assister au spectacle.
Bien des Canadiens respectent l'armée, ses soldats comme ses hauts gradés, mais notre société ne leur a jamais voué un culte, ni fait la fête parce qu'ils ont accompli ce qui est leur travail. Par contre, elle a compris que sous la militarisation tranquille en cours, pour reprendre le mot du politologue Francis Dupuis-Déri, le Canada n'est plus qu'un petit pion sur l'échiquier mondial. Sa force internationale, c'était la diplomatie, atout que le gouvernement Harper lui a fait perdre. Pas un coup de canon tiré à Ottawa ne pourra compenser cette perte de pouvoir-là.


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