Charte: le Conseil du statut de la femme se dit muselé

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Un agenda personnel perturbé par le processus normal des nominations devient une atteinte à la démocratie

En nommant quatre nouvelles membres au Conseil du statut de la femme (CSF), Québec cherche à museler l’organisme dans le débat sur la Charte des valeurs québécoises, dénonce sa présidente Julie Miville-Dechêne.
En entrevue avec Le Devoir en après-midi jeudi, Mme Miville-Dechêne a dit percevoir ces nominations, dont elle n’a été informée que quelques minutes avant leur annonce, comme une prise de contrôle de l’organisme. «C’est pour cela que j’interviens. Depuis 40 ans, le CSF avait le loisir de participer aux débats de société de façon non partisane. En toute indépendance. Ce que ça veut dire, c’est que le Conseil ne pourra pas participer au débat de société.»

Dans un communiqué envoyé mercredi en fin de journée, Québec annonçait la nomination de Julie Latour, Leila Lesbet, Ann Longchamps et Lucie Martineau.

Lucie Martineau est présidente du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec. Au lendemain du dévoilement de la Charte, elle se prononçait publiquement pour celle-ci. «Les fonctionnaires doivent refléter concrètement ces valeurs de neutralité», a-t-elle expliqué.

Julie Latour est avocate et ex-bâtonnière du Barreau de Montréal. En entrevue avec Le Devoir en 2011, elle a déjà expliqué qu’elle rejette le concept de « laïcité ouverte ». Elle s’est dite contre le port de signes religieux par les représentants de l’État et pour un État laïque, une position en droite ligne avec la Charte des valeurs présentée par le Parti québécois.

Leila Lesbet, Québécoise d’origine algérienne, musulmane et féministe, s’est prononcée pour la Charte sur les ondes de Radio-Canada. Elle soutient l’interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique, car «la laïcité est le vecteur d’un vivre-ensemble».

Ann Longchamps est impliquée au sein de l’Association féminine d’éducation et d’action sociale, qui, en 2010, s’est positionnée publiquement pour une Charte de la laïcité et de la neutralité de l’état, position qui a été réitérée le 10 septembre dernier par voie de communiqué, en appui à la Charte de Bernard Drainville.

Le CSF est composé de dix membres, qui, avec la présidente, élaborent ses orientations. Deux sièges étaient vacants, et deux autres mandats s’étaient achevés en août : ce sont Nathalie Chapados et Véronique DeSève qui ne voient pas leur mandat renouvelé.

Un conseil divisé

Ces nominations surviennent alors que le CSF était divisé sur la position à adopter sur la Charte des valeurs québécoises.

Julie Miville-Dechêne explique que des huit membres actives, quatre souhaitaient enclencher des études d’impact, pour les femmes, de l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires. Comme présidente, Mme Miville-Dechêne partage cette opinion, si bien que cette position avait toutes les chances d’être adoptée à majorité le 27 septembre prochain. Plus maintenant, croit l’ancienne journaliste, étant donné les allégeances des nouvelles membres. Et elle ne croit pas au hasard.

«Il n’y a aucune étude, on ne sait même pas combien il y a de femmes voilées dans la fonction publique ! explique-t-elle. Le voile reste certainement de l’extérieur un symbole de soumission. Mais comme féministes, c’est l’impact de cette politique qui nous inquiétait.»

Les quatre autres membres du conseil étaient plutôt d’accord avec la position prônée en 2011 dans un avis rédigé sous la prédécesseure de Mme Miville-Dechêne, Christiane Pelchat. Cet avis prônait une réaffirmation de la laïcité et une interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique.

«À cette époque, on était dans la théorie, dit aujourd’hui Mme Miville-Dechêne. Ce n’était pas la politique du gouvernement. Deux ans plus tard, il y avait de l’inquiétude, et les choses semblaient mériter une étude plus approfondie.»

«Si les femmes retirent leur foulard et restent au travail, on a gagné, bien sûr, dit-elle. Mais l’autre hypothèse, beaucoup plus troublante, c’est que des femmes retournent à la maison, car elles ne peuvent envisager de retirer leur voile.» Alors que l’émancipation passe, beaucoup, par le travail.

Le remède approprié?

Mme Miville-Dechêne demande si la Charte, le «remède», est «à la mesure de la menace» que pose réellement l’intégrisme religieux dans la société québécoise. Un intégrisme dont on ignore, dit-elle, l’étendue. «Avant de mettre en place une politique de l’interdiction des signes religieux, n’est-ce pas ça qu’il faut évaluer?» demande-t-elle.

Alors que le principe de l’égalité hommes-femmes se trouve au coeur de la Charte des valeurs, Mme Miville-Dechêne l’estime difficile à appliquer. «Car l’égalité hommes-femmes passe aussi par l’emploi. Par le fait que si [les femmes immigrantes] arrivent à s’intégrer, et si elles arrivent à devenir autonomes financièrement, on a un progrès dans l’égalité hommes-femmes.»

Elle craint également que la discrimination dont les femmes immigrantes, principalement celles qui portent le voile, peuvent faire l’objet sur le marché du travail ne s’exacerbe. Et que les portes de la fonction publique, «un endroit qui embauchait davantage» dans les communautés culturelles, se ferment.

«Ce sont toutes des questions importantes. Mais on ne pourra pas les étudier,dénonce Julie Miville-Dechêne. Une institution qui se fait dicter ce qu’elle doit penser, malheureusement, ce n’est pas une grande aide au débat de société!»


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