Chef ou premier ministre?

L'argumentaire conservateur a connu une évolution au cours des 10 derniers jours, mais pour devenir toujours plus partisan.

Certains prêtent à Harper un "génie" dont il est manifestement dépourvu...



Il y a moins de deux semaines, le 23 février bien précisément, Postmedia News révélait qu'Élections Canada menait une enquête sur des appels frauduleux faits dans la circonscription de Guelph et que sa première piste l'avait mené jusqu'à une entreprise spécialisée dans les appels automatisés proche des conservateurs. Les allégations dans cette affaire sont graves. Le message enregistré, faussement attribué à Élections Canada, n'avait qu'un but, détourner les électeurs de leur véritable bureau de scrutin.
Le jour même, à Iqaluit, le premier ministre Stephen Harper est interpellé par les journalistes présents. Sa réponse, donnée sur un ton neutre, se limite à nier toute participation de son parti à ce stratagème et à dire qu'il s'attend à ce quiconque a enfreint la loi en subisse toutes les conséquences. Il n'émet aucune condamnation sentie de cette atteinte directe à l'intégrité du processus électoral. Il ne s'engage pas à déployer toutes les ressources nécessaires pour faire la lumière dans cette affaire.
Ce n'est qu'hier, 13 jours plus tard, qu'il a finalement dit aux Communes qu'il jugeait «totalement inacceptables» les gestes posés dans Guelph. Sinon, lui et ses secrétaires parlementaires n'ont eu, depuis deux semaines, qu'une seule préoccupation, défendre leur parti.
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L'argumentaire conservateur a connu une évolution au cours des 10 derniers jours, mais pour devenir toujours plus partisan. Lors de la première période de questions consacrée à cette controverse, le premier ministre a d'abord nié toute implication de son parti, promis de fournir toute l'information nécessaire à Élections Canada et invité les autres partis à en faire autant.
C'était pour mieux passer à l'attaque en accusant le Parti libéral de soulever des allégations sans fondement, «exactement le genre de tactique libérale que les Canadiens ont rejetée aux dernières élections». Seul son secrétaire parlementaire Dean Del Mastro dit ce jour-là souhaiter une enquête rapide d'Élections Canada.
Le jour suivant, M. Harper lève encore le ton, affirmant que le NPD n'a aucune crédibilité dans ce dossier, lui qui a engorgé les lignes téléphoniques de la députée de Saint-Maurice-Champlain. Rappelant qu'un employé du Parti libéral était derrière Vikileaks30, il exige du chef Bob Rae des excuses pour maintenant «salir la réputation d'une dizaine de députés conservateurs».
Dans les jours qui suivent, M. Harper soutient que les allégations sont le fruit d'une «campagne de salissage sans aucun fondement», que des «histoires fabriquées récemment par un parti qui a perdu aux élections». Un refrain que reprennent en choeur M. Del Mastro et Pierre Poilièvre. Le premier ministre affirme qu'il y a eu très peu de plaintes et qu'une seule enquête est en cours. Puis les trois hommes soutiennent que le Parti libéral est peut-être responsable du harcèlement téléphonique dont des partisans libéraux se sont dits victimes.
Aucun conservateur ne s'est jamais inquiété de l'impact de tels appels sur la participation électorale. Au contraire, MM. Del Mistro et Poilièvre n'ont cessé de dire que davantage de Canadiens ont voté en 2011 qu'en 2008. (Sans relever toutefois que le taux de participation lors de cette élection était le plus bas de l'histoire canadienne.)
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Le gouvernement répond aux questions en répétant ad nauseam les mêmes répliques, et ce, peu importe le sujet. Il s'en est servi même pour éviter d'expliquer son refus d'accorder au directeur général des élections les pouvoirs qu'il demande pour obtenir des partis les documents à l'appui de leurs rapports financiers. Encore hier, le premier ministre a répondu en parlant de tout autre chose.
Que les conservateurs défendent leur parti va de soi. Personne n'a prouvé qu'ils étaient derrière ces appels frauduleux ou le harcèlement téléphonique dont ont été victimes des partisans libéraux. À moins de démontrer le contraire, on doit leur donner le bénéfice du doute quand ils affirment, comme ils l'ont maintes fois répété, avoir mené une campagne «honnête et éthique».
Mais qu'on prenne ces déclarations avec un grain de sel est fort compréhensible. Après tout, ce sont eux qui nous ont juré leurs grands dieux ne pas avoir manoeuvré en 2006 pour dépasser la limite de dépenses électorales pour finalement, après cinq années de procédures judiciaires, reconnaître leur culpabilité. C'est aussi ce parti qui a fait un faux sondage dans la circonscription d'Irwin Cotler en faisant croire qu'il pourrait démissionner bientôt.
Ce qui nuit aussi a leur crédibilité est leur refus de partager l'indignation générale devant ce qui pourrait être un cas unique de fraude électorale.
M. Harper est chef de son parti, mais aussi le premier ministre de tous les Canadiens. Et un premier ministre a le devoir de défendre l'intégrité du processus électoral et du système démocratique sur lesquels repose la légitimité de son gouvernement.
Depuis lundi, M. Harper et ses secrétaires parlementaires affirment plutôt que les allégations de l'opposition (et non la possible fraude) portent ombrage au vote légitime de millions d'électeurs. Le mot «démocratie» n'a jamais traversé les lèvres du premier ministre et n'a été prononcé pour la première que lundi par M. Poilièvre. Et chaque fois, pour dire aux partis d'opposition d'accepter le résultat de l'élection et la victoire... conservatrice.


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