Revue de presse

Vers une politique robotisée?

Robocall - élection fédérale du 2 mai 2011 volée


L'affaire des appels frauduleux continue de faire couler beaucoup d'encre, ce qui ne surprend personne. À travers le concert d'indignation, on trouve maintenant des analyses stratégiques alimentées par les sondages. L'opposition, largement épargnée jusqu'à présent, s'est fait reprocher ses excès rhétoriques, y compris par ceux que le scandale indigne.
Et il y a l'équipe éditoriale de SunMedia qui se distingue en prenant fait et cause pour les conservateurs. Elle affirme que cette affaire est le produit «de la meute anti-Harper — l'opposition, les médias de gauche vivant dans la bulle d'Ottawa — qui court derrière la balle brillante du jour en espérant y trouver plus de substance que de lustre». Selon SunMedia, cette meute aime ce genre de chasse. «Leur haine des conservateurs les a menés à pourchasser l'insulte de la prorogation, la mort du questionnaire long du recensement, le soi-disant scandale du "in and out", le traitement des détenus afghans et ainsi de suite. Ils pourraient bien courir après leur queue puisque les Canadiens, de toute évidence, n'y prêtent guère attention.» Selon SunMedia, toutes ces controverses ont été pilotées par les médias, l'opposition n'en ayant «pas l'intelligence». Mais chaque fois, cela ne mène nulle part parce que, dit la chaîne, les Canadiens se fichent de ce qui se passe dans la bulle ottavienne. Ils se préoccupent plutôt d'économie, d'emploi, de budget...
Politique robotisée
Cette affaire suscite de nouvelles réflexions intéressantes. Candidat conservateur lors de la dernière élection provinciale ontarienne, le chroniqueur Randall Denley, de l'Ottawa Citizen, se demande pourquoi les partis font des appels automatisés. Il avoue ne pas comprendre. Ces appels, dit-il, sont la pire forme de télémarketing. «Il est difficile de croire qu'un message enregistré puisse persuader un électeur de voter pour un politicien. Il est par contre très facile de croire que des appels insistants vont lui coûter son vote.» Les compagnies qui offrent ces services diront le contraire en notant que le gagnant y a eu recours. Le problème, note Denley, est que les perdants aussi. L'ex-candidat souligne que la première source de plaintes des électeurs est le trop grand nombre d'appels faits par tous les partis. Le gros de ces appels, dit-il, est le fait des partis, sous la direction de leurs stratèges et directeurs de campagne. Les candidats, eux, passent des mois à cogner aux portes et à parler aux gens.
Si les appels automatisés ne servaient qu'à rappeler aux gens d'aller voter, ça pourrait passer, dit-il, mais ce n'est pas le cas. Parce que les organisateurs sont convaincus que l'important est de faire entendre le nom de leur candidat à un maximum de gens qui l'ignorent. «Malheureusement, cette approche ramène la promotion des politiciens au rang de celle du savon. [...] Voilà peut-être le fond du problème. Si on ne vendait pas les politiciens comme du savon, les gens porteraient peut-être un plus grand respect aux individus et aux idées qu'ils représentent.» Mais pour cela, note-t-il, il faudrait aussi que les partis cessent de diaboliser leurs adversaires sous prétexte que cela fonctionne. «Les appels automatisés et les publicités négatives traitent les gens en consommateurs et non en citoyens. Les programmes sont taillés sur mesure pour répondre à leurs intérêts particuliers, comme si rien de plus grand ne comptait. Il ne faut pas s'étonner ensuite que tant de gens n'aillent pas voter. Ils ne font que refuser d'acheter un produit politique.» Denley déplore les appels trompeurs, mais, selon lui, le problème des appels automatisés, honnêtes ou non, est plus fondamental. «Ces appels déshumanisent la politique et les politiciens.»
Et la vie privée?
Craig McInnes, du Vancouver Sun, aborde l'affaire d'un autre angle. Ce qui le fait tiquer, ce sont ces banques de données assemblées par les partis. Quand ils font un appel chez vous, c'est parce que votre nom figure dans celles-ci. Les plus sophistiquées appartiennent au Parti conservateur. Ils y inscrivent depuis 10 ans environ tous les détails qu'ils peuvent sur pratiquement tous les électeurs potentiels, de la participation ou non aux élections aux contributions politiques, en passant par le parti favori, l'adresse, le numéro de téléphone et toutes les données permettant de bien cibler leur message. L'affaire des appels frauduleux attire les projecteurs sur ces banques de données car, pour viser juste avec ce genre d'appels, il faut avoir identifié ses cibles. Mais voilà le problème avec toutes les banques de données: elles peuvent être utilisées à mauvais escient et par quiconque peut y accéder, dit McInnes. En même temps, des gens acceptent que des entreprises suivent leurs traces sur la Toile et dressent ainsi un portrait de leurs habitudes de consommation. Selon McInnes, les partis font la même chose. Il n'en est pas choqué, mais il n'aurait pas cru que l'information assemblée par des partis politiques serve à lui nuire. «Ce qui ressort, c'est que je n'en sais pas assez sur ce que les gens savent de moi et qu'il existe peut-être un problème que je n'avais pas imaginé. À moins qu'il suffise de convaincre les marchands de poutine ou de politiciens que je ne vaux pas le détour.»


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