CHUM et CUSM: les PPP pourraient être plus coûteux

Erreurs de comparaison et dépassements de coûts, dit le vérificateur général. Conflit d'intérêts potentiel impliquant un ancien d.g. du PLQ. L'ancienne ministre Monique Jérôme-Forget réagit

Ils se sont trompés et... enrichis


Québec — «Des PPP, on n'en fera plus au Québec», déplorait l'ex-ministre des Finances Monique Jérôme-Forget hier, en réaction à un rapport dévastateur du vérificateur général, Renaud Lachance, sur les projets du CUSM et du Centre de recherche du CHUM.
Celle qui, dès son arrivée au gouvernement en 2003, a vigoureusement promu les partenariats public-privé (PPP) comme mode de réalisation des grands projets, s'est confiée au Devoir. Elle note qu'en Ontario, «on ne construit plus qu'en PPP» et que la Nouvelle-Angleterre «s'y met aussi». Au Québec, au contraire, il y a eu «tellement de tollés» contre ce mode de réalisation qu'il ne sera tout simplement plus possible d'en faire. L'ex-ministre lâche, avec un mélange d'amertume et d'ironie: «Les gens vont être contents, on va continuer comme avant! La présidente du Conseil du trésor va dire: "Il y a un dépassement de coûts" et on n'en entendra pas parler.»
Maintenant conseillère spéciale au cabinet Olser, Mme Jérôme-Forget croit aussi qu'on oublie de manière commode que pour d'autres projets en PPP, comme la salle de l'OSM et l'autoroute 30, «tout est en règle».
Pas «financièrement rentables»
Cela ne semble pas être le cas des projets en PPP du Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CRCHUM) et du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), analysés par le vérificateur général Renaud Lachance dans son rapport déposé hier à l'Assemblée nationale. Selon lui, le mode PPP a été choisi à la suite d'une comparaison où on a noirci le mode dit «traditionnel»: «Les autorités publiques ne peuvent conclure que la signature des contrats avec les partenaires privés est financièrement rentable pour le Québec; pour le CRCHUM, une analyse quantitative sans erreur montre plutôt le contraire.»
M. Lachance parle de deux «erreurs» de l'Agence des PPP dans les comparaisons PPP-modes traditionnels. L'Agence — abolie en décembre 2009 et transformée en Infrastructure Québec (IQ) — aurait abusivement sous-évalué l'entretien des immeubles en mode traditionnel et surévalué celle en mode PPP. Même neuf, l'immeuble construit en mode traditionnel correspondait selon l'IQ à un «indice de vétusté» de 20 %. «Or, il est impossible qu'un bâtiment neuf présente un déficit d'entretien dès le début de son utilisation», écrit le vérificateur général. Au bout de 30 ans, l'IQ évaluait l'indice à 66 %, alors qu'un indice de 15 à 20 % est déjà considéré comme très élevé. Cette «erreur» a conduit l'IQ à soutenir que le PPP était préférable puisqu'il aurait permis d'économiser 33,8 millions de dollars. Lorsque l'on compare, écrit-il, le mode traditionnel est «plus économique d'au moins 10,4 millions de dollars».
En entrevue au Devoir, le p.-d.g. d'Infrastructure Québec, Normand Bergeron, a répondu hier que cela ne représente que 2 % seulement du montant total du projet, 470 millions. Il conteste du reste le terme «erreur» utilisé par le vérificateur général: «C'est une hypothèse qui est différente, voilà tout.» À ses yeux, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur l'aspect économique ou non des PPP.
Le vérificateur général souligne que les projets ont beaucoup évolué par rapport aux propositions des soumissionnaires. Au CUSM, la structure de financement a été révisée. Au CRCHUM, des dérogations accordées au consortium risquent d'influencer «les coûts d'immobilisations et de renouvellement des actifs».
Comme il l'avait fait en novembre 2009, lors du dépôt de son dernier rapport, le vérificateur général condamne la «complexité de la structure de gouvernance». Celle-ci «ne favorise toujours pas, dans certains cas, l'imputabilité des CHU, du directeur exécutif et de IQ».
Les coûts des deux projets ne cessent de croître, note le vérificateur général: «Les estimations de coûts d'immobilisations dépassent maintenant d'au moins 108,4 millions de dollars les 5,2 milliards de dollars annoncés en mars 2009.» Et cela ne comprend pas d'autres augmentations à venir. M. Lachance souligne que si l'autorisation de signer les contrats a été accordée au CHUM par le Conseil des ministres il y a trois semaines, les contrats ne sont pas encore signés. Son rapport devrait servir aux gestionnaires pour qu'ils fassent d'ultimes modifications.
Conflit d'intérêts?
Autre risque abordé par le vérificateur général: les conflits d'intérêts. M. Lachance met en relief le cas troublant de l'ajout d'une nouvelle firme, Fiera Axium Infrastructure (FAI), en février 2009, dans le consortium Accès recherche CHUM, qui s'est avéré l'unique soumissionnaire dans le projet du CRCHUM. Or, le président et chef de la direction de FAI est Pierre Anctil, ancien conseiller de Robert Bourassa et ancien président du Parti libéral du Québec. Jusqu'en juin 2008, M. Anctil était vice-président de SNC-Lavalin, firme qui se trouvait à superviser le processus de soumission puisqu'elle faisait partie des «équipes maîtres» de professionnels du projet du CHUM. M. Lachance estime qu'il y a là une entorse possible à l'appel de propositions qui prohibait ce type de liens sous peine de «disqualification du soumissionnaire». À l'observation du vérificateur général, IQ et M. Anctil ont répondu qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêts puisque la chose avait été divulguée et que le CHUM a approuvé la «modification de la composition du consortium». Pour M. Lachance, cela ne «suffit pas pour rendre la situation conforme aux documents d'appel de propositions».
Encore le bon choix
En Chambre, le critique péquiste Sylvain Simard a condamné la manière dont on a favorisé les PPP: «Les comparateurs publics utilisés ont été triturés, déformés, faussés, pour donner les résultats que le gouvernement attendait.» La présidente du Conseil du trésor, Monique Gagnon-Tremblay, a répondu que M. Simard avait un ton «alarmiste» et que le rapport du vérificateur général ne contenait «vraiment aucun fait nouveau». À ses yeux, les PPP, dans ces deux projets, sont encore le bon choix, mais «si les avantages n'étaient pas au rendez-vous, on [prendra] les bonnes décisions au bon moment».
L'ex-p.-d.g. de l'Agence des PPP, Pierre Lefebvre (ancien de PricewaterhouseCoopers), celui qui a piloté les études comparatives entre les modes traditionnels et les PPP, n'avait ni rappelé Le Devoir ni réagi à nos courriels au moment de mettre sous presse. Le 23 juin 2009, M. Lefebvre avait été muté au poste de secrétaire associé du Conseil du trésor. Il est, depuis quelques mois, devenu associé au groupe Secor. À l'Institut des PPP, qui fait la promotion de ce mode, le directeur général, Roger Légaré, a déclaré hier: «Avec la 25, la 30 et la salle de l'OSM, le Québec réalisera des économies d'un milliard.» La présidente de l'IPPP, Johanne Mullen, est vice-présidente principale et directrice principale chez PricewaterhouseCoopers.


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