Si l’humanité souhaite éviter la tragédie climatique que la science nous annonce, il est impératif de réduire radicalement les émissions de gaz à effet de serre et même de viser leur quasi-élimination avant la fin du siècle. Pour le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), un tel virage passe par une révolution dans notre façon de produire et de consommer l’énergie. Et celle-ci devra être lancée d’ici moins de 15 ans.
Dans un nouveau rapport complétant la plus importante synthèse scientifique sur le climat réalisée à ce jour, le GIEC constate que les émissions de gaz à effet de serre (GES) « ont progressé plus rapidement entre 2000 et 2010 qu’au cours de chacune des trois décennies précédentes ».
Cette hausse historique, attribuable essentiellement à la combustion accrue d’énergies fossiles comme le charbon et le pétrole, s’est concrétisée malgré « un nombre croissant de politiques de réduction » des GES, peut-on lire dans le rapport Changements climatiques 2014: atténuation du changement climatique, publié dimanche en vue de la conférence de Paris sur le climat qui se tiendra en 2015.
Au rythme actuel, la concentration de CO2 dans l’atmosphère devrait donc atteindre 450 parties par million (ppm) d’ici 2030 et poursuivre sur sa lancée. Or, si l’on dépasse ce seuil, le GIEC calcule qu’il sera de plus en plus difficile de limiter le réchauffement planétaire à 2 °C au cours du présent siècle. La communauté internationale s’est fixé ce plafond comme objectif pour éviter la concrétisation des effets les plus catastrophiques des bouleversements climatiques.
En l’état actuel des choses, la hausse pourrait facilement dépasser les 4 °C, selon les scientifiques du GIEC. Un tel bond aurait notamment des impacts dévastateurs sur l’agriculture mondiale, les pêcheries et la disponibilité de l’eau potable, en plus de provoquer une multiplication des événements météorologiques extrêmes et meurtriers.
Éviter le pire
Dans ce troisième rapport, le GIEC souligne toutefois qu’il est possible d’éviter le pire. Mais pour cela, « il faudra réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 40 à 70 % par rapport à 2010 d’ici le milieu du siècle et les éliminer presque totalement d’ici la fin du siècle ».
Et jamais depuis que la science a fait la démonstration de l’impact humain sur le climat le temps pour agir n’a semblé aussi court. En fait, sans réduction des émissions avant 2030, il sera très difficile de ne pas dépasser les 2 °C, et les options seront plus réduites. Ottmar Edenhofer, coprésident du groupe ayant rédigé le rapport, estime ainsi qu’il est essentiel d’« éviter de remettre à plus tard les efforts » dans ce sens et faire « des investissements considérables » pour produire et consommer différemment l’énergie.
Pour le GIEC, un tel virage implique « des bouleversements institutionnels et technologiques majeurs ». En fait, c’est pour ainsi dire tout notre modèle de croissance basé sur les énergies fossiles et notre mode de consommation de l’énergie qu’il faudrait revoir. « Le message de la science est clair : pour éviter des interférences dangereuses avec le système climatique, nous devons changer d’approche », selon M. Edenhofer.
Afin de respecter le seuil de 450 ppm, il faudrait bonifier substantiellement le recours aux énergies à faibles émissions. Leur part dans la production d’électricité devrait passer de 30 % aujourd’hui à 80 % en 2050. Selon le GIEC, cela comprend les énergies renouvelables et le controversé nucléaire, mais aussi un recours à la biomasse — composée de matières organiques végétales — qui serait jumelé à la capture et au stockage du carbone. Cette dernière technique existe uniquement à un stade expérimental et suscite un scepticisme certain au sein de la communauté scientifique.
Le GIEC conclut en outre à la nécessité de détourner une large part des investissements actuellement consentis dans les énergies fossiles vers celles dites à faibles émissions. Il est vrai que ce secteur constitue une source majeure de GES. À titre d’exemple, la production pétrolière et gazière au Canada est responsable de 70 % de la hausse des gaz à effet de serre enregistrée entre 1999 et 2012.
Parmi les autres avenues à envisager, on mentionne le développement des marchés du carbone, la réduction des subventions aux énergies fossiles et la reforestation. En matière de transports, le rapport souligne que la demande d’énergie pourrait être réduite de 40 % en 2050, notamment grâce à des mesures comme la réduction de la consommation des véhicules, une densification de l’occupation du territoire et le recours accru aux transports collectifs.
Place à la politique
Ce troisième rapport du GIEC complète la synthèse de la science du climat qui doit servir de base aux négociations en cours. Celles-ci doivent permettre de parvenir en 2015 à conclure un accord contraignant de lutte contre les changements climatiques.
« Le rapport du GIEC est clair : il n’y a pas de plan B. Il n’y a qu’un plan A, celui d’une action collective pour réduire les émissions dès maintenant, a déclaré dimanche Connie Hedegaard, commissaire européenne au Climat. Et la question maintenant est la suivante : quand est-ce que vous, les grands émetteurs, allez faire de même ? Plus vous tarderez, plus cela coûtera cher, plus ce sera difficile à faire », a-t-elle lancé à l’adresse des États-Unis et de la Chine.
Les États-Unis, qui connaissent un boom d’exploitation de pétrole et de gaz de schiste, refusent catégoriquement de se faire imposer une cible de réduction. Même chose pour la Chine, qui tire plus de 70 % de son énergie du charbon. Une situation pour ainsi dire bloquée qui risque de nuire aux négociations des prochains mois. D’ailleurs, pour le moment, une majorité de pays ne tiennent même pas les engagements volontaires de réduction qu’ils avaient promis en 2009 à Copenhague. L’effort des pays industrialisés n’atteint pas 20 % de réduction des émissions d’ici 2020, soit la cible minimale à atteindre.
À Ottawa, les documents officiels démontrent que le Canada ratera complètement les cibles de réduction de gaz à effet serre pourtant revues à la baisse par les conservateurs. À Québec, le nouveau plan de lutte contre les changements climatiques se fait toujours attendre.
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