Quand mercredi les vidéos ont roulé à la commission Charbonneau ; quand jeudi Lino Zambito, ex-entrepreneur, a détaillé le processus d’obtention de contrats publics à Montréal, dans bien des salles de rédaction il y a eu un immense sentiment de satisfaction. Enfin, la commission tant réclamée prenait sur elle un fardeau que les médias portent depuis des années.
Il faut le redire : les journalistes d’enquête ont travaillé d’arrache-pied pour mettre en lumière les stratagèmes, les liens douteux, les scandales qui entachent la gestion des contrats publics de construction au Québec. Ne serait-ce qu’au Devoir, que d’histoires incroyables notre collègue Kathleen Lévesque n’a-t-elle pas racontées à ses patrons au fil des ans, si incroyables que tout semblait relever du cinéma. Vraiment, des gens assis à la même table qui se partagent sans vergogne les contrats ? Et des menaces, des vraies ? Quoi, des piles d’argent comptant ? Allons ! Voyons ! C’était si… caricatural !
Il fallait donc vérifier, revérifier, et savoir que malgré tout, chaque fois qu’on publiait un reportage, la mise en demeure nous pendait au bout du nez. Ici comme à La Presse, The Gazette, Radio-Canada… Il n’y a pas de protection pour les journalistes qui touchent des dossiers sensibles, et il en a fallu des circonvolutions journalistiques pour arriver à raconter des histoires en dépit de ceux qui voulaient continuer leurs magouilles en paix.
Et non, les journalistes n’avaient pas exagéré. La mafia, apprend-on à la commission Charbonneau, distribue les contrats publics et prend sa cote, imposante, au passage, qu’il s’agisse d’égouts, de trottoirs, de déneigement… Lino Zambito, loquace, a centré son témoignage sur Montréal, mais il a été clair : « Je veux que ce soit compris : c’est pareil ailleurs. » Ailleurs comme Laval, la Rive-Sud, les Laurentides…
Ce que l’on a vu en deux jours à la Commission empêche désormais tout élu de se réfugier dans le déni. Il n’y a rien d’isolé dans ces pratiques : c’est un système, point, que tout dirigeant municipal un peu futé pouvait voir à l’oeuvre. Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, au premier chef, lui qui en avait été avisé de toutes les manières et qui aurait dû agir plutôt que de voir les centaines de millions de dollars d’argent public prendre des chemins détournés et criminels.
La loi ne permet pas d’annuler ainsi des contrats, rétorque l’administration municipale, et nous sommes tenus de respecter la règle du plus bas soumissionnaire. Très très légaliste, tout ça. Le courage politique, ç’aurait été de dire : vu toute l’information recueillie, chers Montréalais, pour ce contrat x ou y, nous ne choisirons pas le plus bas soumissionnaire, nous sommes prêts à aller en cour à cet égard, à perdre au besoin. Il y a des incohérences qu’une administration responsable ne peut plus cautionner. Mais le maire Tremblay, en dépit de l’indignation qu’il affiche publiquement, n’en a pas la volonté.
Un exemple ? L’entreprise Construction Mivela a encore obtenu le 12 septembre dernier, selon La Presse, un contrat pour prolonger une importante piste cyclable de Montréal. Mivela était pourtant jusqu’en janvier la propriété de Nicolo Milioto, intermédiaire entre la mafia et l’industrie de la construction, selon un enquêteur de la commission Charbonneau. L’entreprise est maintenant propriété de… son gendre.
Autre incongruité levée par la commission d’enquête : faire confiance aux policiers - mantra de l’ex-premier ministre libéral Jean Charest quand il refusait de bouger - a ses limites. Les corps policiers, jaloux de leurs territoires, travaillent en silo. Les policiers de la GRC sont donc restés assis sur leurs cassettes même quand M.Charest poussait ceux qui savent à contacter l’escouade Marteau. L’appel à la bonne volonté et au sens civique ne vaudra jamais les pouvoirs d’une commission quand il s’agit de sortir vraiment des eaux troubles.
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