Compressions à Radio-Canada - Manque de personnalité

Radio-Canada et Harper

Coincée par un gouvernement qui boude sa société d'État et ne mesure le succès qu'à travers les cotes d'écoute, la Société Radio-Canada baisse les bras et retranche là où elle pourrait bâtir sa force et son originalité. Dans un univers médiatique où le privé règne en maître, le diffuseur public risque gros: perdre toute personnalité.
Les douces excentricités de Macadam Tribus ne seront plus. Le volubile Gregory Charles ne transmettra plus sa passion exaltée à Des airs de toi. Rare véhicule d'information destiné aux jeunes, RDI Junior disparaîtra. Les téléjournaux du midi en région tomberont au combat. Les bambins installés le matin devant la télé publique perdront du temps d'antenne.
Radio-Canada tronçonne, mais choisit de biens mauvais morceaux. Les compressions de 800 postes feront mal, et le bilan pourrait s'alourdir encore: si Ottawa refuse le plan de vente d'actifs proposé par la haute direction pour gagner des liquidités, les coupes pourraient être «encore plus profondes».
On comprend l'exaspération de la société d'État face à l'indolence du gouvernement fédéral: celui-ci croit que le succès médiatique se résume aux cotes d'écoute. Ottawa a maintes fois fermé la porte aux demandes de Radio-Canada, satisfaisant plutôt la gourmandise du secteur privé. Qu'on pense au nouveau Fonds des médias du Canada, cette créature obscure applaudie par les diffuseurs privés, mais qui retire à la SRC un financement garanti.
Ceci expliquerait donc cela? À Radio-Canada, on serait las de se heurter à un mur d'indifférence politique? Inquiets d'une fuite
des téléspectateurs au profit d'un marché fragmenté? Exaspérés de se voir refuser des redevances redistribuées avec prodigalité aux câblodistributeurs?
Il y a là en effet une quadrature du cercle dont le diffuseur peine à s'extirper. Dommage que, dans ce contexte, la société d'État ait oublié ses origines: fragilisée aujourd'hui par l'expansion du secteur privé, elle devait desservir au départ le plus grand nombre d'auditeurs et s'élever au-dessus d'intérêts strictement marchands.
Comme on s'éloigne de la noblesse de cette mission! C'est plutôt la «vedettisation» qui l'emporte maintenant, avec la surenchère salariale outrancière forcée par les stars du petit écran et du microphone. Était-ce bien à la SRC de placer un inabordable Match des étoiles à sa programmation? On en doute.
Pour toute riposte aux lamentations de la SRC, les conservateurs ont sans cesse évoqué le milliard versé en subventions à l'institution publique. Beaucoup d'argent, il est vrai, pour une gigantesque structure qui ne souffrirait peut-être pas de quelques coups de balai... envoyés aux bons endroits!
Le ménage que Radio-Canada annonce risque d'affadir sa personnalité justement là où elle pourrait la distinguer. Frapper sur l'information dans des stations comme Moncton, où les francophones sont viscéralement attachés au réseau public, est incompréhensible. Abréger la diffusion d'émissions jeunesse, renvoyant du coup le jeune public au tintamarre de Vrak.TV ou de Télétoon, n'a pas de sens. Amorcer la fermeture de bureaux à l'étranger, alors que la couverture de l'information internationale au Québec est famélique, est désolant.
Il faut critiquer, certes, mais aussi faire preuve d'indulgence. Si Radio-Canada cède ainsi à la course à l'auditoire, c'est peut-être qu'elle n'est pas traitée à la hauteur de son mandat. M. Lacroix le soulignait hier: alors que la BBC reçoit chaque année 124 $ par Britannique et que chaque Français verse 77 $ à la télé publique, le Canada ferme presque le peloton des grandes économies occidentales avec 34 $.
Il faudrait savoir où placer Radio-Canada sur l'échiquier des médias. Si on souhaite un diffuseur d'État qui s'élève au-dessus de la mêlée plutôt que de s'essouffler derrière, qu'on lui en donne les moyens. Si on veut plutôt le livrer aux diktats de la concurrence, qu'on le libère de ses chaînes.
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machouinard@ledevoir.com


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