Compromis laïque

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« Mais la première religion qu’affronte aujourd’hui la laïcité n’est ni le catholicisme ni l’islam. C’est plutôt celle des droits individuels. »


C’est en 1936 que le premier ministre Maurice Duplessis décida, sitôt élu, d’accrocher un crucifix au-dessus du fauteuil du président de l’Assemblée législative. En guise de défi, le crucifix prit donc place au-dessus des armoiries de la Grande-Bretagne déjà bien en évidence. Le chef de l’Union nationale était alors un jeune réformiste qui arrivait au pouvoir après 39 ans de règne libéral. Allié à l’Alliance libérale nationale, qui proposait notamment la nationalisation de l’électricité, il était porté par le renouveau du nationalisme canadien-français du début du siècle.


Nous étions à quelques années de la crise de la conscription et plus d’une décennie après le célèbre congrès eucharistique mondial, où Henri Bourassa avait prononcé son mémorable discours dit de Notre-Dame. Le fondateur du Devoir y répondait de manière cinglante à l’archevêque de Westminster, Mgr Bourne, qui voulait convertir ceux qui immigraient au Canada… « par l’intermédiaire de notre langue anglaise » !


À une époque où la langue était perçue comme la gardienne de la foi, et la foi comme la gardienne de la langue, on comprend combien ce crucifix était loin d’être innocent. Surtout dans un pays dont le chef de l’État était (et demeure) un chef religieux. Bref, il s’agissait d’un symbole probablement aussi identitaire à cette époque que le fleurdelisé aujourd’hui, d’ailleurs adopté 12 ans plus tard par le même Maurice Duplessis.




 

Que ce symbole n’ait plus la même portée plusieurs décennies plus tard, on peut le concevoir. Comme on peut concevoir que son retrait soit ressenti par certains comme une négation de la résistance historique des Canadiens français.


Mais ce qui est le plus intéressant dans la perspective de son retrait, évoquée cette semaine par François Legault, c’est l’idée du compromis. En effet, dans la majorité des pays, la laïcité de l’État fut le résultat d’un compromis. Ce qui est, convenons-en, partout l’objet et le but du débat démocratique.


L’exemple vient de loin. D’aussi loin que 1905, date de l’adoption de la célèbre loi française de séparation de l’Église et de l’État. Une loi que personne n’a osé modifier depuis, tant elle demeure le socle même du consensus français sur la laïcité.


Ses pourfendeurs ignorent généralement qu’elle fut le fruit d’une âpre négociation qui permit de rétablir la paix religieuse après des décennies d’affrontements violents entre l’Église et la République. Dès la fin du XIXe siècle, après des années d’obstination, l’Église fera un pas en acceptant que son monopole sur l’éducation soit finalement ébranlé. Dans L’École, l’Église et la République (1871-1914), la grande historienne Mona Ozouf raconte ce jour de 1890 où, à Alger, à la surprise générale, l’orchestre des Pères blancs joua la Marseillaise, chose impensable auparavant. C’est à partir de ces années que l’on put enfin commencer à être républicain et catholique, croyant et laïc. Des mots que personne n’osait associer jusque-là.


Cette nouvelle réalité ne pouvait naître que d’un savant compromis. Si les catholiques faisaient un pas, les républicains acceptaient aussi, par exemple, de libérer un espace dans le programme scolaire pour que le ministre du culte enseigne l’éducation religieuse à ceux qui le souhaitaient. Ces compromis furent même à l’origine d’un « renouveau » du monde catholique enfin débarrassé de ce que certains appelèrent les « complications temporelles », dit Ozouf. Signe que la laïcité peut aussi être perçue comme une chance par les croyants.


Outre l’idée du compromis nécessaire, s’il y a une autre leçon à tirer de ce premier grand débat sur la laïcité, c’est la place centrale qu’y occupe l’école. Dès cette époque en effet, l’école ne sera jamais considérée comme un lieu parmi d’autres. Et elle est toujours perçue en France comme ce lieu pour ainsi dire « sacré » où se forment les jeunes esprits et qu’il importe donc de préserver de toute influence politique ou religieuse. En France, l’école sera d’ailleurs laïque bien avant l’État. Au passage, le mauvais procès que font certaines féministes aux militants laïques n’est pas justifié. Car ce sont eux qui, en rendant l’école obligatoire, la généraliseront aussi pour les filles.




 

Priorité à l’école et nécessité du compromis, voilà deux leçons historiques qui ne sont pas dénuées d’intérêt alors que s’ouvre chez nous le débat sur la laïcité. Si les enjeux de fond demeurent les mêmes, la question se pose évidemment dans un contexte radicalement différent. D’abord, la religion catholique n’est plus que l’ombre d’elle-même, au point où l’anticléricalisme de certains apparaît comme une pure obsession. L’islam, particulièrement dans sa version islamiste, se montre de son côté souvent étranger à toute idée de laïcité.


Mais la première religion qu’affronte aujourd’hui la laïcité n’est ni le catholicisme ni l’islam. C’est plutôt celle des droits individuels. Un individualisme allergique à toute forme de bien commun pour qui l’individu a tous les droits et l’homme est devenu un dieu. Longtemps le principal ennemi de la laïcité fut une Église rigide, intraitable et incapable du moindre compromis. C’est aujourd’hui ce nouveau culte des droits individuels. Un culte tout aussi rigide, intraitable et incapable du moindre compromis.

 





Une version précédente de ce texte comprenait une erreur de date en ce qui concerne le congrès eucharistique mondial où Henri Bourassa prononça son discours dit de Notre-Dame. Elle a été modifiée.








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