De l'huile sur le feu

Laïcité — débat québécois



Les guillemets ne s'entendent malheureusement pas à la télévision et c'est une vraie calamité. Cette histoire de «débat» sur l'islam et la laïcité nous le montre une fois de plus. Le mois dernier, alors qu'il était au plus bas dans les sondages, Nicolas Sarkozy sortit un nouveau lapin de son sac. Le président français annonça qu'il organiserait un grand «débat» sur l'islam. Comme il arrive souvent avec les annonces présidentielles, le bruit médiatique a finalement tenu lieu de débat et le ballon s'est vite dégonflé.
Pendant que la gauche et la droite dénonçaient avec raison la stigmatisation des musulmans, on s'est aperçu que ce grand «débat» se résumerait à peu de choses. Pas de commission parlementaire, pas de comité des sages, pas de rapport ni de discussion au Parlement. Pour sauver la face, on se contentera, le 5 avril prochain, d'une réunion de quelques heures regroupant quelques membres du parti de la majorité. Autant dire rien!
Comme son prédécesseur, le «débat» sur l'identité nationale, celui sur la laïcité a donc fait pschitt!. Mais peu importe. Comme pour l'identité nationale, l'essentiel était d'appâter les médias et de provoquer une polémique virtuelle destinée à montrer que le président n'entendait pas s'en laisser imposer par le Front national et sa très médiatique présidente Marine Le Pen. D'ailleurs, l'annonce présidentielle faisait suite à une intervention de cette dernière contre les (très) rares musulmans qui priaient dans les rues. Pour ne pas être en reste, le président a simplement jeté de l'huile sur le feu.
Pour comprendre cette attitude, peut-être aujourd'hui suicidaire, il faut remonter à juillet 2010. Nicolas Sarkozy avait alors prononcé un discours à Grenoble stigmatisant les Roms. Il s'agissait d'un virage radical. Le président venait de décider que sa réélection en 2012 se ferait sur les thèmes de la sécurité et de l'immigration. Le candidat nous avait fait le même coup durant la campagne de 2007. «Sarko l'Américain», partisan du libéralisme et de la discrimination positive s'était soudainement métamorphosé en partisan de la loi et de l'ordre.
Ce «débat» sur la laïcité n'a pas d'autre cause que ce pur calcul politicien. Et il a produit les résultats escomptés, c'est-à-dire suffisamment de bruit médiatique pour annoncer aux 15 à 20 % de Français susceptibles de voter pour Marine Le Pen au premier tour que Nicolas Sarkozy ne se laisserait pas damer le pion. De là à savoir si le message est crédible, c'est une autre histoire. Il n'est pas certain que la recette qui a fait florès en 2007 soit la bonne pour 2012.
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Nicolas Sarkozy ne le sait peut-être pas, mais si la France n'a pas besoin d'un nouveau débat sur la laïcité, c'est parce que peu de pays en ont autant débattu depuis 20 ans. Plusieurs commissions se sont penchées sur la question et ont produit des rapports très sérieux. En 2004, la loi sur l'interdiction des signes ostentatoires à l'école avait été précédée de débats dans toutes les couches de la société. La France a été le premier pays européen à se saisir de cette question et il est probablement celui où les règles sont les plus claires et les mieux acceptées par tous.
Soyons honnêtes, cela ne veut pas dire que la France n'est pas aux prises, comme ailleurs, avec un certain prosélytisme musulman. L'apparition du voile islamique ne pouvait manquer de provoquer des frictions dans une société où la sécularisation est ancienne. C'est pourquoi ce pays, qui vivait en paix avec sa population musulmane depuis plus de 40 ans, a réagi le premier. Justement pour préserver cette paix.
On ne le répétera jamais assez, la France abrite les plus grandes populations musulmane, juive et athée d'Europe. Or, c'est un des pays où, pour peu que le président n'attise pas les braises, il y a le moins de conflits religieux. Les problèmes réels d'intégration des banlieues n'y sont jamais formulés en termes religieux. Depuis son adoption, la loi interdisant les signes religieux à l'école a été largement acceptée même chez les musulmans au nom d'une école où l'on est d'abord un citoyen avant d'être un Juif, un musulman ou un athée. Ce qui n'empêche pas les Français de protéger leur patrimoine religieux, et les cantines scolaires d'offrir dans la mesure du possible des menus sans porc à ceux qui le désirent. Car c'est une fois que les règles sont claires que les accommodements deviennent possibles. Pas avant.
Alors que le débat sur la laïcité vient d'être relancé au Québec par un avis du Conseil du statut de la femme qui brille par son intelligence, il serait dommage de repousser la laïcité dite «à la française» du revers de la main sous prétexte que Nicolas Sarkozy favorise ses intérêts politiques sur son dos. Car malgré une histoire et un contexte évidemment différents, il y a peu de domaines où ce pays a autant à nous apprendre.
C'est cela aussi l'«ouverture». Vous aurez noté les guillemets.


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